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Réponses au discours de Macron tenu devant les ambassadrices/ambassadeurs de France

En prenant aujourd’hui, encore une fois, la plume suite aux propos du président Macron nous sommes conscient que, se faisant, nous dérogions à l’appel que nous avions lancé il y a quelques jours à savoir qu’il n’y avait plus lieu de commenter les déclarations et petites phrases tenues par les autorités françaises car ce serait, en effet, les (re)mettre au cœur des préoccupations nigéro-nigériennes et au centre de nos existences. Or cela doit, à tout jamais, cesser parce qu’elles doivent être, désormais, considérées comme des épiphénomènes.

Nous allons rompre cet appel pour répondre point par point au discours tenu par Macron devant les ambassadrices/ambassadeurs de France afin de tourner définitivement, nous l’espérions,  la page de la France-Afrique. Nous le ferons en reprenant les passages saillants de son discours pour les décortiquer, y apporter les réponses et alerter l’opinion nationale et internationale sur les supercheries et les manœuvres politiciennes dangereuses auxquelles se livre toujours la France « pays des droits de l’homme » et « parangon de la bonne gouvernance » surtout en Afrique.

1) S’agissant du président déchu M. Macron fait observer et met l’accent sur le fait que je cite : « il est démocratiquement élu et issu d’une ethnie minoritaire ». Dans ce propos Macron  laisse sous-entendre sournoisement que l’origine ethnique minoritaire du président déchu pourrait avoir motivé le putsch. Or, la question des minorités ethniques n’a jamais été un problème au Niger pour accéder aux plus hautes fonctions politiques (même électives) même s’il est vrai qu’un temps sa nationalité fut contestée par une partie de la classe politique non pas en raison de ses origines ethniques mais en raison du doute sérieux qui existe quant à l’authenticité de son acte de naissance.

De deux choses l’une : soit son origine ethnique minoritaire est un problème au Niger auquel cas il ne devrait pas être élu si le vote est ethnique et si le scrutin est véritablement transparent et démocratique. Si ses origines ethniques étaient le problème son élection serait donc certainement entachée d’irrégularité car il ne serait pas élu démocratiquement si le scrutin était transparent puisque serait ethnocentriste et régionaliste. Le cas échéant son élection à la magistrature suprême serait ni plus ni moins que le résultat d’une fraude massive et d’un hold-up électoral auquel cas sa légitimité tombe. Soit, contrairement à ce que laisse sous-entendre Macron le problème n’est pas ethnique auquel cas il faudrait rechercher les réelles motivations du coup de force du 26 juillet. 

En vérité l’allusion sournoise faite aux origines ethniques du président déchu par Macron est l’argument politique le plus dangereux que peuvent manier ceux qui sont à court d’argument juridique ou politique. En vérité Macron veut voir le Niger sombrer dans une guerre civile à l’instar de celle qu’a connue le Rwanda. Les guerres ethniques (entre les Tutsis et les Hutus) étaient à l’origine du génocide de 1994.

En vérité Macron veut attiser (désespoir pour désespoir) les haines interethniques et appeler à la rébellion des ethnies minoritaires pour pouvoir soit justifier une guerre préventive (menée par ses troupes sur le sol nigérien) contre la persécution des minorités ethniques soit une intervention militaire au Niger par le droit à l’ingérence (doctrine Kouchner) au nom du droit international humanitaire de la protection des minorités persécutées. C’est ce prétexte juridique/politique qui a servi pour livrer une guerre notamment à la Libye, à l’Irak et à la Syrie. Encore aujourd’hui nous récoltons les conséquences néfastes de ces guerres dans ces pays et ces régions en termes de trafic d’armes et de drogue, de traite humaine, de trafic migratoire, terrorismes etc.

2) Macron affirme que le président déchu je cite : « mène des réformes courageuses engagées sur l’agenda international et le nôtre (français) ».

Dans ce propos de quel agenda parle Macron ? Celui de livrer les ressources naturelles du Niger et ses richesses aux capitales occidentales ? Celui de faire de la lutte contre le terrorisme et les flux migratoires vers l’Europe (qu’elle a contribué à générer par la guerre en Lybie) l’alpha et l’oméga de la gouvernance au Niger quitte à sacrifier les intérêts supérieurs du Niger,  à piétiner sa souveraineté nationale et à fermer les yeux sur les pires injustices, violations des droits humains et pratiques criminelles et corruptives ? Le président déchu est-il finalement pour s’aligner sur l’agenda international et français ou l’est-il pour défendre la souveraineté nationale et répondre aux aspirations légitimes des populations nigériennes desquelles il tient son élection ? Où est le courage ? Le président déchu a-t-il  été élu pour servir d’abord les intérêts occidentaux en l’occurrence français ou ceux du peuple nigérien ?

Le seul fait d’avoir trahi son serment en se mettant à la solde des puissances étrangères ne peut-il pas justifier qu’il soit déposé au nom de la Sauvegarde de la Patrie ou poursuivi pour haute trahison ? Par ailleurs, Macron ajoute que le président déchu est un « homme intègre ». Où est l’intégrité lorsque vous êtes soupçonné d’avoir des milliards dans vos comptes en banque ? Si cela est vérifié trente (30) ans de vie politique et syndicale peuvent-ils faire de vous (ancien instituteur) un milliardaire (multi millionnaire) intègre surtout lorsqu’on ne vous connaît aucune autre activité économique ?

3) Macron affirme  qu’il est inadmissible je cite « que la bonne politique serait de le (le président déchu) lâcher parce que maintenant il faut produire du local ». Par ces propos Macron démontre encore une fois la condescendance des Français à l’égard des africains et l’idée persistante et cruelle que les Africains et les Nigériens en particulier sont incapables de s’occuper de leurs problèmes et de résoudre leurs propres difficultés ; que nous serions  incapables de réfléchir par nous-mêmes, de nous-mêmes et pour nous- mêmes ; que nous ne serions pas en mesure d’inventer des solutions viables et pérennes ; que nous serions inaptes et immatures pour déterminer ce qui serait bon ou mauvais pour nous. Bref que nous devrions nous contenter des solutions venues d’ailleurs et nous satisfaire de la seule jouissance de nos maîtres. C’est pourquoi eux Français se sentent investis d’un devoir presque moral et d’un droit naturel ou divin pour voler à notre secours pour nous administrer et nous gouverner, êtres inférieurs que nous sommes, culturellement et économiquement arriérés. Un président français n’a-t-il pas affirmé que « le drame de l’Afrique est que l’homme noir n’est pas suffisamment entré dans l’histoire » ?

4) Macron affirme que je cite « le problème des Nigériens ce sont les putschistes qui les mettent en danger parce qu’ils abandonnent la lutte contre le terrorisme, parce qu’ils abandonnent une politique qui était économiquement bonne pour eux car ils sont en train de perdre tous les financements internationaux…». Faut-il rappeler à Macron que le Niger n’a jamais été autant endetté lourdement et massivement que sous le régime déchu et ce pour plusieurs générations hypothéquant ainsi toute initiative de développement et d’indépendance financière et économique. Jamais le Niger n’a été si gangrené par la corruption et la gabegie. Jamais de mémoire d’homme politique, le Niger n’a connu un régime (dit socialiste) aussi kleptocrate.

Faut-il aussi rappeler à Macron  qu’au bout de dix ans de présence militaire française et américaine sur le sol nigérien et qu’en dépit des moyens de renseignements et logistiques sophistiqués (drones à caméra thermique et infrarouge etc.) de leurs armées nous n’avions jamais connu de résultats tangibles en matière de lutte contre le terrorisme a fortiori de songer d’en venir à bout. Faut-il rappeler (comme par hasard) que les troupes françaises seraient parvenues à identifier les « mercenaires » de Wagner qui seraient en train de commettre, selon elles, un génocide en plein désert malien et creusant des fosses communes pour enterrer leurs victimes alors mêmes qu’elles avaient été incapables d’identifier les hordes de terroristes en plein désert et en rase campagne voire dans les localités qu’elles occupaient en dépit des moyens de renseignement et logistiques  sophistiqués dont elles disposent ? Face à ce constat nous sommes donc raisonnablement fondés à nous interroger et à réfléchir, même si l’on nous dénie ce droit, sur l’opportunité et l’utilité de notre coopération militaire avec certains pays occidentaux et la présence de leurs troupes sur le sol nigérien. C’est une question de bon sens.

5) Le président Macron déclare également je cite « notre politique est claire : on ne reconnait pas les autorités putschistes ; on soutient un président de la république qui n’a pas démissionné aux côtés duquel nous restons engagés. Et nous soutenons l’action diplomatique, quand elle le décide militaire, de la CEDEAO ». Par ces propos Macron vient encore une fois marteler sa volonté ferme, à peine déguisée, d’intervenir militairement au Niger, quoi qu’il en coûte (même au prix des milliers de vies humaines civiles et militaires). Et elle entend bien y parvenir en se servant et en instrumentalisant son bras armé (pour ses basses œuvres) qu’est la CEDEAO sous le fallacieux argument juridique et diplomatique au travers de la mise en œuvre des sanctions qu’elle aura décidées en application de son Traité alors même que (nous l’avions déjà relevé) la CEDEAO ne peut agir de la sorte sans violer ses textes fondateurs ni le droit international et sans outrepasser ses attributions. Les vies des africains (des nigériens et des ressortissants de la CEDEAO) valent-elles moins que celles des ressortissants français et européens qui ont été évacués pour préserver les intérêts économiques et politiques d’un Etat tiers à la communauté ? Dois-je rappeler que la CEDAO est une organisation sous régionale composée aujourd’hui de quinze (15) Etats membres. Par conséquent quatre (4) Etats (la Côte d’ivoire, le Sénégal, le Benin, et peut-être le Nigeria) ne peuvent, à eux seuls, décider d’aller en guerre contre un Etat membre le Niger en activant sa force d’intervention militaire. C’est quand même une décision gravissime qui doit requérir sinon l’unanimité du moins la majorité de ses membres. Nous en avons en mémoire les conditions dans lesquelles Ouattara a accédé au pouvoir. En vérité ces chefs d’Etats belliqueux, sans aucun sens des responsabilités, veulent instrumentaliser la CEDEAO et s’en servir comme bouclier en vue de se protéger contre d’éventuels soulèvements populaires ou coups d’Etats dans leur pays respectifs qui pourraient ou viendraient les balayer. Ces chefs d’Etats prêchent pour leur paroisse. D’ailleurs dans ce même discours, sous des airs de menaces à peine voilées, Macron mettait en garde les présidents de la CEDEAO s’ils n’intervenaient pas militairement au Niger car l’on comprendrait le sort qui leur sera réservé et le risque auquel ils s’exposent si une telle situation advenait dans leur pays.

6)  Macron déclare je cite « Ni paternalisme. Ni faiblesse. Sinon on est nulle part ». A son corps défendant Macron démontre encore une fois le paternalisme de la France à l’égard des Etats africains. Sinon de quel droit vous autorisez-vous à vous sentir obligés d’intervenir dans les affaires nigéro-nigériennes ? Êtes-vous là pour défendre un régime et un Homme ? Où devriez-vous tenir à un devoir de neutralité du reste comme tous les autres pays. Votre passé colonial vous octroie-t-il  un droit naturel et légitime sur la gouvernance au Niger. Rien ne peut expliquer ni justifier votre ingérence dans les affaires internes du Niger si ce n’est justement votre paternalisme. Ensuite, vous ajoutez « sinon on (la France) n’est nulle part ». Devriez-vous forcer votre présence et obliger les peuples à vous accepter et à coopérer malgré votre échec patent sur tous les plans ? Vous inviter à partir serait intolérable venant d’un pays que vous aviez colonisé et maintenu tant d’années sous votre joug ? Partir serait une forme de faiblesse ? Vous voulez être partout par la force en violation de la souveraineté des Etats et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Si comme vous le prétendiez et le vantiez l’Afrique a besoin de la France, de ses aides au développement et des bienfaits de son œuvre civilisatrice et qu’elle ne peut dès lors se priver de ces aides et ces apport, alors partez ! Car tôt ou tard ils finiront par faire appel à vous ? Qui serait perdant dans cette rupture, n’est-ce pas les africains ? Eh bien partez maintenant ! Même l’ONU (organisation mondiale) retire ses troupes du Mali à la demande des autorités putschistes. L’opération est à sa deuxième phase. Elle doit être terminée d’ici le 31 décembre. Pourquoi êtes-vous partis du Mali et du Burkina Faso, deux pays dont les autorités sont issues de ‘’putsch’’.

Mais diantre si c’est l’Afrique qui a tant besoin de l’occident et bien déguerpissez lorsqu’on vous le demande sans vous égosiller sur la légitimité des autorités officielles. Laisser nous mourir de faim, de soif et de maladie…..

Comprenez ceci :

60 ans d’aide et de présence militaire qui nous maintiennent dans la servitude et la dépendance, ça suffit. 60 ans d’exploitation de nos ressources naturelles qui vous enrichit et nous appauvrit, ça suffit. 60 ans de coopération militaire et de défense qui nous rend davantage vulnérable et saigne nos finances publiques, ça suffit. 60 ans de pillage organisé et de pratiques prédatrices, ça suffit ; 60 ans de désindustrialisation de l’Afrique, de sabotage de nos outils de production et de notre tissu industriel, ça suffit ; 60 ans de bâillonnement du peuple et de protection de régimes corrompus et kleptocrates, ça suffit ;  60 ans de complicité de détournement de fonds publics et des aides au développement, ça suffit. 60 ans d’hypocrisie et de simulacre de démocratie, ça suffit.

Pour conclure, une question : pourquoi ne pas appliquer au président déchu sa propre doctrine et approche de la justification du putsch au Tchad ? Pourquoi ne pas vouloir faire le même pari de la stabilité de la région et d’un retour progressif à l’ordre constitutionnel, certes, mais nouveau ? Car, en effet, les risques d’une intervention militaire et le chaos qui en résulterait sont tels qu’elle rendrait hypothétiques non seulement le retour du président déchu (s’il demeure en vie) mais aussi l’application de la constitution et le retour à l’ordre constitutionnel ancien. Par ailleurs, avec quelles forces de défense et de sécurité va-t-il gouverner ? Les troupes françaises ? Si le droit doit être appliqué dans sa lettre et dans son esprit les conséquences pratiques de sa mise en œuvre et les modalités de son application doivent également être prise en compte.

ISSA Mahomed-Laouel

Juriste en droit économique et des affaires, en droit immobilier

et métiers de l’urbanisation (France)

Source : https://www.lesahel.org