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Lettre au Président de la République Mohamed Bazoum : Monsieur le Président Orano a obtenu ce qu’elle veut, c’est-à-dire l’uranium à moindres coûts pour la France et les déchets toxiques, la pollution de la nappe phréatique pour le Niger

Est-ce que vous connaissez, vraiment, l’état de votre pays ? Je vous ai vu arborer un large sourire à votre retour d’Angleterre où vous étiez parti prendre part à l’intronisation du roi Charles et je me suis demandé si vous savez réellement à la tête de quel pays vous êtes. J’ai eu l’impression que vous êtes dans un cocon et que vous ignorez tout de l’état de votre pays. Vous m’avez donné l’impression de ces pères de famille qui se font acclamer dans un bar parce qu’ils offrent tournées et pourboires intéressants aux serveuses alors que les rats ont depuis longtemps déserté sa maison pour manque du moindre grain. C’est pénible à dire mais c’est comme ça puisque le sourire que j’ai vu éclairer votre visage ne traduit pas l’état d’âme d’un chef d’État préoccupé par la situation de son pays et de son peuple. J’ai eu mal au coeur d’autant plus que je sais que vous étiez parti à Londres prendre part à des festivités en laissant le Niger entre les griffes acérées de la prédatrice Orano (ex Areva). C’est une fuite de responsabilité de votre part puisque j’ai appris que vous n’étiez pas d’accord avec Orano sur bien des points et c’est pourquoi d’ailleurs vous n’avez pas reçu sa délégation avant de partir. En fin de compte, le protocole est signé et vous, vous vous êtes donné bonne conscience en jouant aux abonnés absents comme si cela suffisait à vous exonérer de tout. Malheureusement, non car c’est votre gouvernement agissant en principe avec votre caution. À moins que ce soit celle de l’autre, votre prédécesseur qui tend, chaque jour davantage, à vous faire passer pour un simple régent sans autre pouvoir que celui qu’il voudrait bien vous concéder. Orano a obtenu ce qu’elle veut, c’est-à-dire l’uranium à moindres coûts pour la France et les déchets toxiques, la pollution de la nappe phréatique pour le Niger. Vous auriez dû rester à Niamey défendre becs et ongles les intérêts du Niger comme feu Mamadou Tanja, le bidasse, l’a fait. Vous, vous êtes allé loin à l’école et vous dites mieux comprendre les enjeux liés aux rapports entre États.

En vous voyant avec ce large sourire qui tranche d’avec le triste sort auquel vous avez livré le Niger face à Orano, je me suis demandé jusqu’où vous comptez aller les yeux bandés et les oreilles bouchées ? Jusqu’où comptez-vous conduire le Niger, gravement malade, en jouant à l’aveugle sourd et muet ?

Vous êtes un homme cultivé et cela, personne ne peut le nier. Vous connaissez sans doute mieux que moi l’histoire du Rwanda et de l’enfer dans lequel l’irresponsabilité et la stupidité humaine de certains de ses fils ont précipité tout un peuple. Vous connaissez également la sombre partition que la France, à laquelle vous vous accrochez tant, a joué dans cette tragédie humaine. Dites-vous bien que ça n’arrive pas qu’aux autres et que l’injustice, qui est le terreau de la gouvernance actuelle, est un ferment de la violence et des conflits sociaux. N’est-ce pas le laisser- aller, le sauf-conduit accordé à la radio mille collines, qui a engendré l’horreur humaine au Rwanda ? Or, les radios mille collines, il y en a chez nous, propageant leur discours de haine en toute impunité parce qu’ils se revendiquent d’une certaine catégorie de Nigériens à qui votre régime a offert le droit exclusif d’insulter, de honnir et de vouer aux gémonies d’autres citoyens nigériens au nom de leur appartenance à une composante de la nation.

Monsieur le “Président”

L’injustice a atteint un tel niveau que j’ai bien peur pour mon peuple. Si vous n’avez pas le même souci que moi, c’est que nos agendas et nos préoccupations ne sont pas compatibles. Vous avez récemment condamné, par un communiqué de votre gouvernement, la déclaration du comité Union Tillabéry et fait arrêter son coordonnateur Amadou Harouna Maïga. Vous l’avez fait condamner en l’accusant de chercher à créer une crise entre le Niger et le Burkina Faso et le Mali. Pourtant, le général Abou Tarka a tenu des propos plus graves, fustigeant et invectivant des pays frères avec lesquels, avant votre régime, le Niger a toujours entretenu des relations fraternelles et de bon voisinage. Est-ce que vous savez qu’il y a des gens dans ce pays qui ont osé publier sur Facebook des énormités que je ne peux me permettre de relayer ici, de peur de servir les desseins macabres de leurs commanditaires. Cela ne leur a pas coûté un seul jour de prison et j’imagine qu’il faut être le protégé d’hommes puissants pour braver ainsi loi et mettre le Niger en péril. Je ne pousserai pas le bouchon jusqu’à vous rapporter ce qui se dit dans certains milieux. Mais, je dois vous demander de tendre l’oreille car l’injustice est toujours suivie de révolte et la révolte conduit à la violence aveugle.

Monsieur le “Président”

Si je vous ai parlé des rivages dangereux vers lesquels nous conduit petit à petit l’injustice, ce n’est pas faute de sujets de préoccupation. C’est parce que je crois, comme feu Kountché — paix à son âme — qu’il n’y a pas meilleure fortune pour un peuple que la santé, la paix et la quiétude sociale. Je vous prie, au nom du Saint Coran sur lequel vous avez posé la main droite pour jurer fidélité et loyauté au peuple nigérien, de bien vouloir redresser au plus vite la barre, en faisant libérer Amadou Harouna Maïga et en sévissant sévèrement contre tous ces pyromanes qui cherchent à mettre le feu au Niger. Vous avez fait libérer des terroristes et personne ne vous a demandé des comptes et le danger contre le Niger réside là, pas chez un acteur de la société civile qui se bat avec courage pour la sécurité de son peuple, au péril de sa vie. Amadou Harouna vaut certainement 1000 fois mieux que ces terroristes libérés… au nom de la paix comme vous dites. Sortez une minute de votre station actuelle et supposez que vous soyez encore à l’opposition. Ne vous poseriez-vous pas facilement la question de savoir pour qui travaillerait le gouvernement, en libérant des terroristes alors qu’il est sans indulgence avec une catégorie de citoyens ? Servez-vous de cette hypothèse d’école pour changer de fusil d’épaule et sauver le Niger de la catastrophe.

Monsieur le “Président”

Ne vous habituez pas à ces chansons qui endorment un chef d’État au point de le transformer en schizophrène. Enlevez le bandeau qu’on vous a mis sur les yeux afin d’appréhender l’état actuel de la nation. Car, en plus de l’injustice qui est en train de plomber des décennies de combat pour l’unité nationale et la cohésion sociale, l’État aussi ne se porte pas bien. L’encours de la dette à laquelle vous avez eu recours systématiquement pour camoufler la réalité, est là, menaçant : de 2523,4 milliards en 2018, il est passé à 3510,4 milliards en 2020 avant de caracoler à 4727,2 milliards en juin 2022. Une croissance exponentielle qui inquiète vivement puisque la corruption, les détournements massifs des deniers publics, le trafic de drogue et l’enrichissement illicite cautionné de l’élite dirigeante ne vous permettant pas d’arrêter la tendance. Vous êtes pris, comme on dit, à la gorge. Un État qui doit emprunter, chaque mois, entre 30 et 60 milliards de francs CFA à l’UMOA pour payer les salaires et autres échéances de la dette n’a pas d’avenir.

Il y a une limite à tout, monsieur le “président” et sur le plan financier vous avez touché le fond. Comment un homme d’État peut accepter que son gouvernement manque du minimum pour faire face à ses dépenses de souveraineté alors qu’il compte dans ses rangs des hommes qui sont milliardaires en travaillant pour l’État ? Peter Obi, l’économiste nigérian, a donné sa sentence en ces termes : « Dans un pays où les gouvernants sont plus riches que les entrepreneurs, ils fabriquent la pauvreté ». C’est une autre facette, triste, de votre bilan décennal. Votre régime a échoué et ce n’est ni une vue de l’esprit ni une fantaisie d’un détracteur. C’est le constat, amer, d’un conseiller qui, depuis plus de 11 ans, informe, analyse et alerte sur les périls politiques, économiques et sociaux qui guettent le Niger. Or, vous connaissez mieux que moi les fortunes colossales qui ont été bâties sur le dos de l’Etat, expolié pratiquement de tout. Vous avez pourtant bénéficié d’un État plus que viable avec une situation financière enviable dans la sous-région. Vous avez tout détruit en une décennie.

Monsieur le “Président”

Issoufou Kado, que vous connaissez bien et que vous ne pouvez accuser d’être un détracteur, encore moins de faire du parti pris, a été très clair : « l’État du Niger, se doit de faire recours aux obligations du Trésor et bons du trésor sur le marché financier de l’UEMOA, d’une somme entre trente milliards et soixante milliards de francs CFA, selon le cas, à un coût d’intérêt très élevé du fait du délai court de remboursement par rapport aux emprunts extérieurs à longue durée, dont les taux d’intérêts sont préférentiels, pour pouvoir faire face aux dépenses de souveraineté, à savoir les salaires, les traitements des fonctionnaires, la liste des députés, les dépenses de fonctionnement et autres échéances de la dette publique ». Tout ça pour rembourser des prêts tel que celui des 1000 milliards d’Eximbank de Chine qui ont plutôt enrichi des individus que l’État.

Issoufou Kado ne s’est pas contenté de présenter la situation financière extrêmement difficile dans laquelle végète l’État. Il a mis également le doigt là où ça fait mal. Voyez ce que vous faites subir à cet État qui respire à peine sur le plan financier : un gouvernement pléthorique, des milliards de conseillers dans certaines institutions de l’État, des postes diplomatiques et consulaires créés pour caser la clientèle politique, un train de vie de l’État inutilement onéreux, etc. Si vous continuez à cautionner cette descente aux enfers sans réagir de façon vigoureuse afin de solutionner ces maux, vous ne pourrez pas empêcher à vos compatriotes de penser que le Niger actuel vous convient à la perfection.

Mallami Boukar