Skip to main content

M. Ali Béty, Haut-Commissaire à l’Initiative 3N : « Les défis qui se posent à l’I3N sont liés au fonctionnement des systèmes alimentaires »

Monsieur le Haut-Commissaire, après 11 ans (2012-2023) de mise en œuvre de l’Initiative les Nigériens Nourrissent les Nigériens (I3N), quel bilan exhaustif des actions coordonnées par l’institution peut-on dresser aujourd’hui ?

Je vous remercie pour m’avoir convié à cette entrevue portant sur la Stratégie de l’initiative 3N pour la Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle et le Développement Agricole Durable (SANDAD). Permettez-moi d’abord de faire un bref rappel sur cette initiative, adoptée et mise en œuvre depuis 2012.

Il s’agit d’une approche innovante de lutte contre l’insécurité Alimentaire et nutritionnelle qui prône la synergie et la complémentarité des actions des Ministères et institutions qui interviennent dans le secteur de la SANDAD tout en articulant le travail de préparation et de réponse aux crises avec le travail d’investissement de long terme. Elle s’articule autour de 5 axes qui sont : accroissement de la production ASPH, mis en œuvre par les Ministères de l’Agriculture, de l’Elevage et celui de l’Environnement ; approvisionnement des marchés, avec les Ministères, du Commerce, de l’industrie et entreprenariat des jeunes ; l’amélioration de la résilience à l’Insécurité Alimentaire et Nutritionnelle avec le ministère de l’Action Humanitaire et le DNPGCA ; l’amélioration de l’Etat nutritionnelle avec le Ministère de la Santé et enfin la création d’un environnement favorable à la mise en œuvre de l’initiative 3N sous la responsabilité du HC3N.

Plusieurs autres institutions de la République sont directement ou indirectement engagées dans la mise de l’I3N. Les actions dans ces différents axes sont en harmonie entre elles, selon un diagnostic, une planification et un suivi conjoint.

L’axe V de l’initiative 3N porte sur la Gouvernance du secteur, c’est-à-dire la coordination multisectorielle, la mobilisation des ressources et l’impulsion des reformes. Cet axe est sous la responsabilité du Haut-Commissariat à l’initiative 3N, le HC3N. Après 10 ans de mise en œuvre de l’I3N, un bilan a été réalisé. Ce bilan relève des réalisations, tant physiques que financières très encourageantes. Nous pouvons à titre illustratif, donner quelques chiffres et descriptions qualitatives sur les réalisations physiques pour la période 2011-2020 par axe de la stratégie de l’I3N.

Pour l’axe 1 : des superficies irriguées passant de 95 000 ha en 2010/2011 à 208 000 ha en 2020, pour une augmentation du volume d’eau mobilisé de +44% sur la période ; la production agricole irriguée en équivalent céréalier qui a été multipliée par 6, passant de 169 166 tonnes d’équivalent céréalier en 2010/2011 à 1 032 023 tonnes en 2020 ; l’ensemble des autres productions ont connu des taux d’augmentation compris entre 25% et 60%, avec 26% d’augmentation pour les cultures de rente, 52% pour les cultures céréalières, 51% pour la production de lait et 60% pour la production de viande et les actions de régénération et de restauration des terres ont permis de traiter 65 000 ha de dunes, 433 000 ha de terres dégradées et 489 000 ha terres régénérés en RNA.

Pour l’axe 2 : l’approvisionnement des marchés a mobilisé un peu plus de 17% des montants totaux investis sur la période de 2012-2020. Les investissements ont couvert en particulier la réhabilitation et la construction d’infrastructures de soutien et de développement de certaines filières, tels que les marchés à bétail, les comptoirs, les aires d’abattage, les centres de collecte de lait, les marchés de gros et de demi gros de céréales, entre autres. Le nombre de ces infrastructures est passé de 370 à 5 200 en l’espace de 10 ans.

Dans le domaine de la commercialisation des céréales on note, au-delà des évolutions engendrées par les orientations des législations et normes régionales et continentales, l’élaboration et l’adoption de la Stratégie Nationale d’Achats Locaux des Aliments auprès des Petits Producteurs (SNALAPP) qui a permis d’agir sur le volume des achats institutionnels de céréales réalisés auprès des producteurs locaux ou par l’intermédiaire de leurs organisations et unions et non plus uniquement via des commerçants. Ainsi, avant même l’adoption formelle de la SNALAPP, les achats institutionnels pour la reconstitution de la Réserve Alimentaire Stratégique (par l’OPVN) et du Stock National de Sécurité (par la Cellule Crise Alimentaire) ont commencé à avoir recours aux achats directs. Pour exemple, les achats locaux par la CCA ont connu une hausse importante à partir de 2016.

Pour l’axe 3 : Le niveau de financement cumulé de l’Axe 3 sur la période 2011-2020 a atteint près de 860 milliards FCFA, en relation avec les Plans de Soutien annuels aux Populations vulnérables, une composante importante de cet axe mis en œuvre par le DNPGCA. Les distributions de céréales ciblées vers les ménages les plus vulnérables ont mobilisé un volume compris entre 20 000 tonnes et 100 000 tonnes selon les années, et les ventes de céréales à prix subventionné ont mobilisé entre 40 000 tonnes et 130 000 tonnes, avec un pic en 2012 année de grave crise alimentaire. Il s’agit là de 2 exemples d’instruments d’intervention auxquels s’ajoutent d’autres opérations comme les ventes subventionnées d’aliment bétail ou encore le paiement contre travaux d’intérêt collectif.

Pour l’axe 4 : Le niveau de financement cumulé de l’Axe 4 sur la période 2011-2020 atteint près de 220 milliards FCFA. Les taux de mobilisation, pour les 2 plans d’actions (2012-2015 et 2016-2020), ont été largement supérieurs à 100% ; le nombre d’enfants traités dans les centres de prise en charge de la malnutrition aigüe sévère, sur la période 2010-2020, a varié entre 330 000 et 430 000 selon les années. Les résultats de la prise en charge de la malnutrition dans ces centres présentent des taux de performance (taux de guérison, décès, abandon) supérieurs aux standards internationaux et en nette amélioration sur la période, même si les taux de prévalence des différentes formes de malnutrition ne montrent pas encore une tendance satisfaisante à l’amélioration et restent globalement stables à des niveaux trop élevés.

Pour l’axe 5 : le niveau de financement cumulé sur la période 2011-2020 a atteint 85 milliards de F CFA mobilisés sur une planification prévisionnelle d’environ 90 milliards F CFA pour l’ensemble de la période.

Ces ressources ont permis de mettre en place et maintenir fonctionnelles les instances de gouvernance aux niveaux central, déconcentré et décentralisé, d’impulser certaines réformes structurantes pour améliorer la performance du secteur et lever les goulots d’étranglement et de mobiliser des ressources sous diverses formes dont les projets. Le nombre de projets financés contribuant à la mise en œuvre de l’Initiative 3N a atteint 119 à l’issue du 2e Plan d’Action de l’Initiative 3N.

L’expérience de l’I3N est connue même hors des frontières du Niger. Mais concrètement, quelles sont les leçons apprises sur sa mise œuvre ?

L’expérience de l’i3N se fonde sur un engagement politique et est de conception purement endogène réalisée par des experts nigériens. Elle a en effet inspiré le monde entier et a été primée comme meilleure politique du futur. Elle a été elle-même conçue sur la base, des leçons tirées des politiques agricoles nationales et des longues années de lutte contre l’insécurité Alimentaire et nutritionnelle au Niger, de l’évolution du contexte sous régional et national, de notre potentiel et nos limites, enfin des évidences scientifiques disponibles.

Pendant la mise en œuvre de l’initiative 3N, le Niger a accéléré l’atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), notamment les OMD 1 et 7, en particulier la réduction de 50% du nombre de Nigériens souffrant de sous-alimentation. Ceci a valu au Niger les félicitations de la FAO, qui lui a décerné deux attestations de réussite en 2013 et 2015 pour son Initiative 3N. Grâce à cette Initiative 3N, le Niger a fait aussi partie des 7 pays distingués et lauréats du « Future Policy Award 2017 » et du 3ème Prix de Bronze décerné par le World Future Council (WFC) en collaboration avec le Secrétariat exécutif de la Convention des Nations unies pour la lutte contre la désertification (UNCCD) dans la catégorie « restauration des terres dégradées et lutte contre la pauvreté ».

Entre autres leçons apprises dans la mise en œuvre de l’i3N, nous pouvons relever, la meilleure convergence des interventions et la redevabilité des intervenants dans le secteur de la SANDAD, ce qui représente une condition sine qua none pour assurer une Sécurité Alimentaire et nutritionnelle durable, les bonnes pratiques dans le cadre des interventions pilotes n’impactent l’insécurité alimentaire et nutritionnelle que lorsque celles-ci sont portées à l’échelle du Pays et la maitrise des financements via un mécanisme de fonds commun peut faciliter une orientation plus efficace et efficiente dans l’utilisation des ressources.

Les actions de votre institution concernent aussi les volets nutrition et transformation agroalimentaire. Pourquoi le choix de ces deux volets ? Quel est à ce stade l’importance des investissements des acteurs de la SANDAD dans ces deux domaines ?

Comme rappelé plus tôt, l’axe 4 de la stratégie de l’I3N est consacré à l’amélioration de l’état nutritionnel des Nigériens.

Cette question de nutrition est plus large qu’elle ne parait à première vue. Sur la base des évidences scientifique, nous avons piloté, conformément à notre rôle dans la gouvernance, l’élaboration d’une Politique Nationale de Sécurité Nutritionnelle (PNSN) qui est multisectorielle. Cette politique, au-delà du secteur de la Santé et de l’Agriculture, met aussi en avant l’apport et l’impact indispensables de l’éducation, de l’accès à l’eau hygiène assainissement, de la protection sociale, de la Communication et de l’environnement dans la nutrition.

Par ailleurs, pour que le secteur de l’Agriculture soit sensible à la nutrition, il faudra que la production agricole favorise une alimentation saine et diversifiée. Les aliments produits suivent tout un cycle avant la consommation. La transformation des Aliments locaux de consommation courante apporte une valeur ajoutée non seulement sur le plan santé et nutrition, mais aussi sur le revenu des producteurs. Sur le volet transformation des aliments, cela se fait actuellement sous forme d’accompagnement des acteurs de la transformation notamment les femmes transformatrices des produits locaux, mais également sous forme de projets de renforcement de capacité des acteurs de la transformation. Je peux citer entre autres, le Projet d’Appui à la Fortification des Aliments au Niger (PAFAN), piloté par le Ministère du Commerce, le Projet de Fortification des Produits Alimentaires de Consommation Courantes (FOPAT) piloté par le Ministère de l’agriculture.

Monsieur le Haut-Commissaire, après plusieurs années de mise en œuvre, quelles sont les principaux défis qui se posent aujourd’hui à l’I3N ?

Les défis qui se posent à l’i3N sont ceux liés au fonctionnement des systèmes alimentaires. Ce sont des préoccupations soulevées par les acteurs lors des diverses concertations, gouvernementales et indépendantes. Ces défis sont principalement stratégiques et opérationnels.

Au niveau stratégique : renforcer la redevabilité des acteurs et secteurs ; augmenter le volume de financement pour les Ministères et institutions de mise en œuvre de l’i3N ; impulser des réformes administratives et législatives assorties d’actes facilitant leur opérationnalisation ; au niveau Opérationnel ; Promouvoir les chaines de valeurs prioritaires des produits alimentaires à fort potentiel nutritionnel et commercial ; renforcer le Système d’information (Assurer des données statistiques de qualité et enfin renforcer les systèmes d’information et de suivi-évaluation sectoriels. promouvoir la vulgarisation et l’appui-conseil agricoles.

D’aucuns disent que l’I3N est dans la pratique absente sur le terrain, que répondez-vous ?

Les appréciations sont fonction de la compréhension et des attentes de chacun de nous. C’est malheureusement parce que certains ne comprennent pas l’I3N qu’ils ont tendance à simplifier leur point de vue en disant que l’I3N n’est pas sur le terrain.

Lorsqu’on comprend que l’i3N est une stratégie nationale faisant office de politique agricole nationale, mise en œuvre par plusieurs Ministères et administrations (Agriculture, Elevage, Environnement, Santé, Action Humanitaire, DPNGCA, HC3N, etc.) on dira plutôt que c’est tout ce qui se passe sur le terrain dans le secteur de la SANDAD qui est l’initiative 3N. 

Quels sont vos rapports avec les organisations paysannes et certaines structures de l’Etat qui interviennent dans les mêmes domaines que vous ?

Le HC3N, dans sa conception, se trouve être la structure centrale et de convergence dans la coordination des interventions des différents acteurs de mise en œuvre de la stratégie de l’Initiative 3N. Ces acteurs sont étatiques (AE) autant que non étatiques (ANE). Les acteurs étatiques sont des ministères et des administrations Maitres d’Ouvrage, et leurs structures rattachées (Agriculture, Elevage, Environnement, Hydraulique, Commerce, Industries et entreprenariat des jeunes, Santé Publique, DNPGCA, Action Humanitaire et Gestion des Catastrophes, Promotion de la Femme et Protection de l’Enfant, etc.). A ceux-là il faut ajouter l’ensemble des autres acteurs impliqués, publics ou privés, nationaux et internationaux. Les acteurs non étatiques sont formés par les ONG, associations, organisations des producteurs et acteurs privés. A ce titre, L’Initiative 3N constitue une référence pour la collaboration entre l’Etat, les Partenaires Techniques et Financiers, les Organisations des Producteurs, les ONG/AD, le secteur privé, etc., dans le cadre plus général du Plan de Développement Economique et Social (PDES 2012-2015, 2017-2021 et 2022 -2026) dans lequel l’I3N constitue l’Axe « Sécurité alimentaire et développement agricole durable ».

Dans cette famille d’acteurs, les Organisations Paysannes sont des acteurs importants qui contribuent à la mise en œuvre de l’i3N. Elles sont aussi bénéficiaires de l’i3N telles que les facilités dans le crédit agricole, les investissements structurants, le conseil Agricole, etc….

Propos recueillis par Ali Maman(onep)

Source : http://www.lesahel.org