Skip to main content

Lettre au chef de l’État : Mon Général, La voie de la violence, ne l’oubliez pas, commence toujours par la voix de la violence

Le General de Brigade Abdourahamane Tiani J’ai appris que vous avez dans vos murs d’illustres hôtes venus du Bénin, notamment les anciens présidents Nicéphore Soglo et Yayi Boni. L’objet de leur séjour en terre nigérienne, on le sait, s’inscrit dans une démarché de considération et de respect pour le peuple nigérien. Elle est la traduction de la volonté populaire la plus répandue au Bénin voisin que Patrice Talon a fait preuve de zèle inégalé et le monde entier a compris à présent les raisons d’une telle mégalomanie de l’homme d’affaires-chef d’État du Bénin. Comme la majorité écrasante de vos compatriotes qui se sont jusqu’ici prononcés sur la question, je reste convaincu que le peuple béninois est tout aussi victime des bêtises de Patrice Talon que le Niger, deux pays frères et voisins liés par des relations séculaires de fraternité que la vénalité d’un dirigeant passager ne saurait hypothéquer. Comme on dit, les hommes passent, les États demeurent.

C’est au nom de ce principe, expression de la sagesse diplomatique sur l’erreur àne jamais commettre dans la gestion des affaires étatiques : greffer ses ressentis personnels sur les problèmes diplomatiques passagers. C’est l’erreur grossière que Patrice a commise et je vous demanderais de bien vouloir éviter de tomber dans les mêmes travers. C’est pourquoi je me fais humblement le porte-parole de cette masse silencieuse qui souffre énormément de la persistance de ce problème avec le Bénin, mais qui n’a pas voix au chapitre. Seuls résonnent, je le constate, les cris d’orfraie de ces fauves qui, sous la confortable couverture du patriotisme et de la souveraineté, stigmatisent et menacent quiconque s’aventure de parler d’apaisement et de dialogue. La voie de la violence, ne l’oubliez pas, commence toujours par la voix de la violence. Homme de paix, je ne peux donc que m’inscrire dans la droite ligne de ceux qui, peu nombreux, ont le courage de faire résonner leurs petites voix au sein du vacarme tonitruant des va-t-en-guerre. Voici un exemple de ce discours peu fréquent mais réaliste, tel que j’ai eu l’opportunité de le lire sur les réseaux sociaux : « Il faut de la mesure et de la pondération. On ne gère pas un État avec le coeur. Le Benin et le Niger n’ont aucun problème et Talon est éphémère. Il s’en ira tout au plus dans deux ans et avant ça, il se pliera. C’est bien Tanja qui a fait le choix du Benin pour des raisons économiques et de sécurité. Nous ne sommes pas plus patriotes que lui. On ne peut pas passer en pertes les énormes investissements. La raison doit prévaloir ».

Mon Général,

Le séjour de Nicéphore Sogle et de Boni Yayi, c’est le symbole de ces peuples béninois et nigérien épris de paix et de coexistence pacifique, de fraternité et de coopération mutuellement bénéfique, au grand bonheur des populations comme cela a été presque toujours le cas. À la tête de l’État nigérien, vous avez le devoir de ramener la balle à terre comme disent les footballeurs, histoire de dépassionner le sujet et de prendre les décisions sages dans l’intérêt du peuple nigérien. Un intérêt que ne doit ni compromettre ni assombrir de quelque façon que ce soit, car conforme au serment que vous avez fait de ne jamais trahir les attentes et les aspirations du peuple nigérien. Êtesvous sûr qu’en persistant dans cette fermeture de la frontière Bénin-Niger, que cela correspond aux attentes du peuple nigérien ? Assurez-vous qu’il en est ainsi, car je puis vous assurer que la vie de vos compatriotes est devenue difficile, les denrées alimentaires étant hors de portée des ménages aux revenus modestes.

Je ne suis pas justement certain que les informations sur les prix des produits alimentaires courants vous parviennent. C’est pourquoi je me fais le devoir patriotique de vous informer que les sacs de riz, de maïs et de mil sont exorbitants et que de nombreux compatriotes ne savent plus à quel saint se vouer pour se tirer d’affaire. Le sac de riz, dans le meilleur des cas, est à 15 000FCFA et celui de maïs à 38 000 FCFA. Quant au sac de mil, celui qui est consommé par la majorité écrasante de nos compatriotes, il est à 40 000. Pouvonsnous continuer à parler de résilience à nos compatriotes sans leur donner les moyens de le faire ? Pour parler vrai, « TayiTawri – Haya Sandi ».

Mon Général,

La résilience du peuple nigérien, que nous célébrons à longueur de journée, est un défi énorme et lorsqu’on n’a pas l’habitude de manquer de quoi s’acheter un kilo de riz — ce qui n’est pas à la portée de tous les ménages aujourd’hui — on ne peut pas comprendre que c’est «TAYI TAWRI – HAYA SANDI». Que l’on soit sous les lambris du pouvoir ou pas ; que l’on ait les moyens financiers de s’offrir le super basmati, un riz très cher ou pas, on ne doit pas oublier que le Niger, c’est 26 millions de personnes dont certaines n’ont ni de quoi manger toute l’année, ni de l’eau potable à boire. Chacun de nous doit savoir que notre premier combat est celui d’offrir à nos compatriotes de quoi manger et de quoi boire. C’est le prix à payer pour une résilience des populations. Parler de résilience à des populations qui triment à trouver un kilo de riz ou tout autre céréale convenable pour manger et tenir debout, c’est certainement leur demander plus qu’il ne faut et plus qu’ils ne peuvent. À la limite, c’est une demande indécente, particulièrement dans un contexte où l’État n’a pas été capable de faire respecterl’application de prix fixés après concertation avec les organisations patronales des commerçants importateurs de céréales.

C’est là où le bât blesse et les Nigériens ne comprennent pas que le gouvernement ait fixé des prix, non pas de façon autoritaire mais de concert avec les commerçants, mais que rien de tout ce qui a été arrêté ne soit respecté.

Est-ce le gouvernement et le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp) qui sont faibles face aux commerçants ou existet- il une chaîne de complicités qui fait des populations le dindon de la farce ?

Comment expliquer que ce qui marche dans les autres États de l’Alliance des États du Sahel (Aes) n’ait pas connu le moindre début d’application chez nous ?

Pourquoi cette flambée des prix des denrées de première nécessité alors que l’Etat a consenti de grandes facilités aux commerçants ?

Pour mémoire, voici les prix du riz, tels que fixés et pompeusement annoncés selon les régions. Le prix du sac de riz de 25 KG pour 5 à 25% est fixé à 13 500 FCFA à Niamey, 13 675 FCFA à Dosso, 13 825 FCFA à Tahoua, 13 925 FCFA à Maradi, 14 000 FCFA à Zinder, 14 375 FCFA à Diffa, 14 125 FCFA à Agadez et 13 650 FCFA à Tillabéry.

Mon Général,

Si je rappelle à votre bon souvenir cet épisode douloureux, c’est parce que, derrière cette initiative, votre nom a été évoqué par votre ministre du Commerce qui a indiqué dans son point de presse, en février 2024, que la mesure s’inscrit dans le cadre des instructions que vous avez données afin d’alléger aux citoyens les difficultés d’accès aux produits de première nécessité. Or, il se trouve que, sauf votre respect, cette décision gouvernementale n’a jamais été respectée. Dans tout ça, ce qui est surprenant, c’est le silence du gouvernement face à cette situation douloureuse. C’est comme si les populations sont laissées à ellesmêmes, livrées poings et mains liés à des commerçants taxés de véreux et irrespectueux des engagements pris. Pourquoi ce silence inexplicable ?

Mallami Boucar (Le Monde d’Aujourd’hui)