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Tribune : Nous les Nigériens, nous voulons être respectés !

C’est le message qui a été prononcé récemment au Parlement britannique par deux nigériens membres de l’association des nigériens vivant en Grande Bretagne. Les membres du Collectif des Nigériens de la Diaspora (CND) ont aussi évoqué les réparations coloniales au Parlement Britannique, à Londres lors d’un événement panafricain convoqué par le Groupe Parlementaire Multipartite sur les Réparations Africaines (APPGAR), présidée par la britannique d’origine ghanéenne, Madame Bell Ribeiro-Addy députée travailliste à la Chambre des Communes (Assemblée Nationale) du Royaume-Uni. Ils entendaient sensibiliser les députés britanniques sur la situation que vit notre pays, et les souffrances qu’endurent nos populations suite aux sanctions inhumaines, iniques et inacceptables de la CEDEAO et de l’UEMOA.

« Jusqu’à récemment, vous n’aviez peut-être pas entendu parler de notre pays, le Niger. Il est souvent confondu avec le Nigeria, ancienne colonie britannique située au sud. Même en France, ancienne puissance coloniale, la plupart des gens ne connaissent pas le Niger. Nous sommes généralement appelés Nigérians et non Nigériens. Mais récemment, le Niger a fait la une des journaux du monde entier parce que le coup d’État militaire du 26 juillet a modifié l’équilibre du pouvoir international dans le Sahel de l’Afrique de l’Ouest.

Beaucoup de gens en Occident pensent que le coup d’État a été secrètement organisé de mèche avec la Russie ou d’autres forces extérieures. C’est parce que notre nouveau gouvernement a rapidement répudié les accords militaires avec la France. Le dimanche 24 septembre 2023, nous avions remporté une victoire historique lorsque le président Macron a confirmé à contrecœur le retrait de toutes les troupes françaises et de son ambassadeur aussi.

Nous, de la diaspora, soutenons les objectifs du coup d’État dans la mesure où nous pensons qu’il est temps que le Niger obtienne une véritable indépendance qui n’a pas eu lieu depuis le départ officiel de la France en 1960. Nous soutenons leur objectif de mettre fin à plus d’une décennie de mauvaise gouvernance et de corruption, de népotisme et l’impunité sous l’administration déchue. Nous condamnons également les sanctions illégales et inhumaines imposées depuis le coup d’État par la France, l’UE et même nos voisins de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Des sanctions qui étranglent actuellement nos populations déjà meurtries par l’insécurité et les douze dernières années de mauvaise gouvernance

En outre, nous nous opposons à la menace persistante d’invasion militaire de notre pays par la CEDEAO. Bien sûr, nous espérons un retour à la démocratie dès que possible, mais nous devons d’abord bannir les causes politiques profondément enracinées qui créent des coups d’État militaires et des coups d’État constitutionnels.

La France n’a jamais officiellement reconnu et encore moins présenté d’excuses pour la violence et la discrimination effroyables de sa conquête et de son règne sur notre pays, qui ont comporté des crimes majeurs contre l’humanité. Un récent film « Apocalypse africaine » sur la tristement célèbre mission Voulet-Chanoine qui a tué de manière barbare des dizaines de milliers de nos proches dans la soi-disant ruée vers l’Afrique a été projeté à la télévision et dans les cinémas au Niger et dans le monde, mais l’ambassadeur de France a refusé pour qu’il soit projeté au Centre Culturel Français de Niamey en 2022.

Cette culture du déni est répandue en France (et de la même manière ailleurs parmi les anciens États colonisateurs). Même en annonçant la semaine dernière le retrait militaire, M. Macron a nié toute responsabilité de la France dans la vie politique du Niger. Même si nous espérons sincèrement que cela sera vrai pour l’avenir, en termes d’histoire, M. Macron se trompe tout simplement.

Les Nigériens comme nous en ont marre car depuis plus de 50 ans la France dépend de l’uranium du Niger pour sa sécurité énergétique. On sait que les agriculteurs et propriétaires fonciers français ont été généreusement indemnisés lorsque leurs terres ont été réquisitionnées dans les années 1970 pour y construire des réacteurs nucléaires. Mais pour notre peuple, les mines n’ont apporté que le terrorisme, des conditions de travail dangereuses, une mauvaise santé et des rémunérations historiquement médiocres. Aujourd’hui encore, seulement 15 % environ des Nigériens ont accès à l’électricité. D’ailleurs, une grande partie de cette production est actuellement illégalement bloquée par notre principal fournisseur, le Nigeria voisin et frère.

En juillet 2021, notre organisation a rencontré l’ancien président Mohamed Bazoum lors d’un sommet mondial sur l’éducation à Londres. M. Bazoum nous a dit qu’aujourd’hui les Français n’achètent notre uranium que par faveur. Nous avons plus besoin d’eux qu’eux n’ont besoin de nous. L’économie mondiale d’aujourd’hui, poursuit-il, concerne davantage les technologies numériques telles que les entreprises de vente au détail comme Alibaba et Amazon. C’est à cause de ce genre de désobligeance que beaucoup au Niger ne pleurent pas la chute de M. Mohamed Bazoum.

Sa condescendance envers les Nigériens s’est également étendue à nos Forces de Défense et de Sécurité (FDS). Il a affirmé à plusieurs reprises qu’elles ne sont pas à la hauteur du défi terroriste et que les terroristes sont plus aguerris qu’elles. Beaucoup au Niger soupçonnent que cela fait partie d’un effort délibéré de déstabilisation visant à maintenir et à justifier la présence de l’armée française dans le pays.

En 2021, il existait des preuves oculaires convaincantes et bien documentées selon lesquelles les troupes françaises avaient abattu trois (3) jeunes manifestants nigériens, non armés et en ont blessé gravement plusieurs à Téra, près de la frontière avec le Burkina Faso. Les manifestants pacifiques s’opposaient au transport français d’armes de la Côte d’Ivoire vers le Mali dans le cadre d’opérations anti-insurrectionnelles contre les jihadistes de l’État islamique. Les gens étaient très surmontés et très émus car il s’agit d’une zone où plus de 500 civils ont été récemment tués et où plus de 100 villages ont été déplacés pour permettre l’expansion d’une base militaire française à proximité.

La réponse de Bazoum aux tirs a été d’arrêter les défenseurs des droits humains qui organisaient des manifestations et de déclarer que le départ des forces militaires françaises conduirait au chaos dans la région. Sous la pression, il a néanmoins organisé une simulation d’enquête sur ces meurtres. Mais cette enquête n’a trouvé aucune responsabilité imputable. Ainsi, les gouvernements français et nigérien se sont partagés à parts égales les indemnisations versées aux familles des victimes. De nombreux Nigériens pensent que notre ancien Président était à l’obligeance à la France à agir en toute impunité. Et cette position de soumission n’était pas si différente de celle de l’époque coloniale. La pénétration coloniale vit toujours.

Dans un communiqué publié et diffusé à la télévision publique, le vendredi 22 septembre, le porte-parole du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) le colonel-major Amadou Abdrahamane a affirmé que les représentants officiels à l’Assemblée générale des Nations Unies à New York avaient été empêchés de présenter des preuves démontrant que la France maintenait une emprise néocoloniale au Niger et fournissait même un soutien actif aux groupes terroristes. Encore davantage d’indices de déstabilisation, si cela est vrai. Les députés nous ont dit qu’il y a dix ans, lors de l’installation d’une base militaire française, il n’y avait aucun contrôle législatif. Cette forme trouble de démocratie doit cesser.

Notre pays arrive régulièrement en dernière position, ou à peu près, dans l’indice de développement humain des Nations Unies. Cela ne devrait pas être comme ça. Notre pays est riche. Outre l’uranium, il existe d’importants gisements d’or, de bauxite ou encore de lithium, essentiels à une transition verte mondiale. Et l’énergie solaire, dont nous disposons en abondance, est cruciale. Il n’est pas juste que ces ressources qui profitent tant à l’humanité tout entière et à la planète ne profitent pas également au peuple nigérien.

Lors d’une conférence de presse qu’il a animée, le lundi 4 septembre 2023 à son cabinet, le Premier Ministre, ministre de l’Économie et des Finances SE M. Ali Mahamane Lamine Zeine, annonça qu’à l’accession de la Mouvance pour la Renaissance du Niger (MRN) au pouvoir en 2011, le pays avait une dette extérieure d’environ 300 milliards de FCFA. Aujourd’hui après 12 ans d’exercice de pouvoir, la dette publique du Niger a augmenté de manière significative, passant de 300 milliards de FCFA en 2011 à 5200 milliards en 2023, composé de 3200 milliards de dettes extérieures et de 2000 milliards de dettes intérieures. Pourtant, l’éducation, la santé, la sécurité et l’agriculture n’ont guère progressé. Alors, où est passé tout l’argent ? Est-ce une coïncidence si cette période a également vu une prolifération de milliardaires parmi les classes politiques, commerciales et même dans la fonction publique ?

Récemment, nous nous sommes joints aux communautés du Niger pour appeler à des réparations significatives pour la conquête et l’occupation coloniales de la France. Cela doit commencer par une reconnaissance, des excuses et un partage transparent des archives relatives à l’invasion coloniale française et à son règne de plus de 60 ans. Ensuite, nous devons répondre au besoin urgent d’un soutien financier et logistique ciblé, non pas sous forme de charité ou d’aide au développement, mais comme réparation du préjudice historique et continu causé par plus d’un siècle d’inégalité de traitement. Il faut également transformer les termes de l’échange et, bien entendu, la politique migratoire. Depuis trop longtemps, la France reçoit de nous mais ne nous donne rien. Comme l’a déclaré l’actuel Premier ministre nigérien SE M. Ali Mahamane Lamine Zeine au New York Times en août, nous ne rejetons en aucun cas les Français ni même la France. Certains d’entre nous ont été formés en France, beaucoup ont grandi avec la langue française. Mais nous voulons être respectés. Pour reprendre les mots du grand poète et syndicaliste nigérien Abdoulaye Mamani : «Cassons la résignation !»

Le président de transition du Burkina Faso voisin, SE le Capitaine Ibrahim Traoré, avait raison lorsqu’il citait en juillet son inspirateur le Capitaine Thomas Sankara : « L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort ». Sankara a également déclaré que « Un militaire sans formation politique n’est qu’un criminel en puissance. ». Beaucoup de panafricanistes comparent le Colonel Assimi Goita, le Capitaine Ibrahim Traoré et le Général de Brigade Abdourahamane Tiani, au Capitaine Thomas Sankara. Dès qu’on parle du Capitaine Sankara, il nous vient directement à l’esprit un leader rigoureux, sincère, patriote, intègre et un travailleur acharné avec comme priorités : l’éducation, la santé, l’agriculture & l’élevage, l’artisanat local, la justice et l’assainissement des finances publiques. En quatre (4) ans de gouvernance il a fait de grandes réalisations avec une capacité à mobiliser et faire participer son équipe et son peuple à sa vision.

Il est très tôt de faire cette comparaison mais les signes sont bons car au niveau de l’Alliance des États du Sahel (AES), nous voyons des présidents militaires axés sur le nationalisme, le patriotisme, la sécurité, la justice et l’égalité pour leurs peuples. Nous partageons cette orientation et croyons que les réparations pour le colonialisme sont également au cœur de cette préoccupation. Les trois (3) présidents de l’AES ont la chance et la plume d’écrire leurs propres histoires comme Sankara avait écrit la sienne.

Il est aussi important de rappeler cet évènement au parlement britannique s’est tenu à la veille du 65ème anniversaire du référendum du 28 septembre 1958. Profitant de l’occasion M. Kader Mossi Maiga a rendu un vibrant hommage à Djibo Bakary, le père de la résistance contre la Françafrique, le leader charismatique du parti Sawaba qui s’opposait à la domination coloniale française et poussait à l’indépendance.  M. Maiga a aussi dénoncé l’exclusion illégitime du Niger de la 78ème session de l’Assemblée Générale de l’ONU, tout en exigeant aussi la levée des sanctions sans délai et sans condition à l’encontre du Niger par la CEDEAO.

A son tour, Dr Sahidi Bilan a brillamment présenté le Niger et les différentes raisons qui ont conduit au coup d’État du 26 juillet 2023. Des raisons telles que la mauvaise gouvernance, l’injustice, la corruption et le népotisme dont ignorent les médias et la communauté internationale. Il s’est ensuite appesanti sur la maturité et la résilience du Peuple nigérien et des autorités nigériennes de sortir la tête haute de cette impasse politique afin d’éviter tout risque de déstabilisation dans la sous-région comme ce fut le cas en Lybie.

Enfin M. Bachir Abdou a aussi protesté contre la politique étrangère de la France à l’égard de l’Afrique qui est pleine de contradiction, d’hypocrisie et de deux poids, deux mesures. Nous trouvons incohérent que M. Macron accuse l’empire ottoman (la Turquie) d’avoir perpétré un génocide contre les Arméniens, cependant, qu’il incite et soutient activement l’intervention militaire illégale et inhumaine de la CEDEAO contre le Niger. Il a aussi qualifié les civils combattant Ukrainiens de patriotes, tout en qualifiant ceux du Burkina Faso des mercenaires. Où est la logique disait M. Bachir Abdou ?

Kader Mossi Maiga et Sahidi Bilan

Membres du Collectif des Nigériens de la Diaspora (CND), un réseau fondé en 2020

Source : https://www.lesahel.org/