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Tribune : Du coup d’Etat de trop au coup d’Etat décisif

Aujourd’hui la CEDEAO s’insurge contre le coup d’Etat au Niger qu’elle qualifie, reprenant béatement les termes employés par la France, de coup d’Etat de trop…!

De ce fait la CEDEAO vient de démontrer de manière éclatante notamment pour ceux qui doutent encore, par son empressement et son «deux poids deux mesures» qu’elle est véritablement à la Solde des puissances extra africaines en l’occurrence la France. Outre le fait qu’elle s’éloigne de ses prérogatives et des préoccupations quotidiennes des peuples africains, la CEDEAO n’est plus l’instrument de l’émancipation (si tant est qu’elle le fut) des peuples africains et la résultante de la libre expression de leur Souveraineté politique et économique pleine et entière. Bien au contraire, elle traduit, sous les oripeaux de la démocratie et de l’Etat de droit, ni plus ni moins le bras économique et le bras armé des puissances occidentales en particulier de la France dans cette partie de l’Afrique.

Aujourd’hui la France se sert et peut se servir, en l’absence de la résistance des peuples et des parlements nationaux, de la CEDEAO pour exécuter au Niger le sale boulot qu’elle n’ose et ne peut plus faire (par le biais des  chantages aux aides de Développement et autres accords militaires de défense et de sécurité). L’ère des «Bob Denard» (célèbre commando barbare et criminel qui fomentait et perpétrait dans les années 60-80 des coups d’état ou qui déstabilisait les régimes légitimes en Afrique) est révolue.

Les prérogatives «politiques» illégales et illégitimes que s’est arrogées la CEDEAO (celles notamment de pouvoir lever une armée et de pouvoir s’attaquer impunément à un État souverain membre «récalcitrant» dans les hypothèses de coup d’Etat sans le mandat préalable du Conseil de Sécurité de l’ONU) sont en réalité un véritable levier aux mains de la France coloniale et impérialiste. Par le biais de la CEDEAO, la France pourrait ainsi exprimer son diktat à ses États membres sans craindre une résolution contraire de l’ONU ou le Veto d’un membre de son Conseil de Sécurité en l’occurrence la Russie puisque cette dernière dispose d’un véto sur ses résolutions.

Ainsi, par la possibilité de contourner le Conseil de Sécurité de l’ONU pour obtenir l’intervention militaire, la France (et tous les autres États qui exercent une influence réelle dans la région ou un contrôle effectif de la CEDEAO) pourrait ainsi continuer à entretenir son influence dans cette partie de l’Afrique et à exercer ses pressions directement sur les chefs d’Etat africains pour la sauvegarde de ses propres intérêts au détriment de ceux des peuples africains. Les chefs d’Etat africains doivent comprendre qu’aucun pays occidental ni aucun ressortissant occidental ne peuvent se sacrifier pour un État africain ou un ressortissant africain. Il n’y a qu’en Afrique et chez les africains que cela soit possible. L’homme noir préfère le lointain étranger à sa propre famille et à ses voisins immédiats. Il faut que cela change. Jamais un Etat non occidental ne sera prêt à se sacrifier pour défendre un autre État occidental à fortiori un État non occidental. Aucun conflit inter étatique ni aucune intervention militaire extérieure ne sont neutres quels qu’en soient par ailleurs leur habillage juridique et leur légalité. Ils revêtent nécessairement des enjeux géopolitiques et de considérations géostratégiques.

C’est pourquoi, au regard de ce qui vient d’être dit, la CEDEAO ne doit pas se voir doter ni pouvoir s’arroger (en violation de ses textes fondateurs) de prérogatives politiques et militaires exorbitantes. Si tel devrait être le cas, toutes ses décisions politiques à caractère militaire et sécuritaire doivent impérativement être soumises à la ratification des parlements nationaux et recueillir l’unanimité de ses membres à l’exception bien entendu du ou des pays concerné(s) par la crise politique. Révolus sont les temps où les chefs d’Etat africains décidaient dans les alcôves des palais et imposaient la marche et la voie à suivre à leurs peuples.

En tout état de cause, si d’aventure la CEDEAO venait à intervenir militairement au Niger, et si d’ici là elle ne lève pas ses sanctions iniques et inhumaines infligées à la population nigérienne cela aura un effet boomerang certain sur l’ensemble des pays de la sous-région (et ce au-delà des États belliqueux ayant opté pour l’intervention militaire) avec des conséquences ravageuses et dramatiques insoupçonnées. En effet, elles pourraient, immédiatement ou à terme, soit entraîner certains États dans la spirale et l’escalade de la violence, soit conduire à des soulèvements populaires qui viendraient balayer les autorités légales et légitimes en place et la chute de leurs régimes parce que devenus, de fait,  impopulaires et illégitimes. Il ne faut pas perdre de vue que,  par et au-delà des frontières administratives, les populations des Etats de la CEDEAO notamment celles qui tiennent l’économie locale  (entreprises, commerces, artisanats, etc) sont interdépendantes à tous égards.

Ce qui explique notamment que les effets des sanctions économiques et financières infligées au peuple nigérien se font aussi sentir dans certains États membres (le Benin, la Côte d’Ivoire et le Nigeria) avec lesquels le Niger commerce énormément. De plus, les ethnies qui composent les États respectifs de la CEDEAO sont communes à plusieurs États. Par ailleurs, dans nos réalités africaines, il n’y a pas véritablement de séparation, ni de frontière réelle entre les États. Il n’y a de frontières et de séparation que les frontières administratives héritées de l’époque coloniale. Ces frontières ne sont qu’artificielles et abstraites pour la majorité des peuples africains de la CEDEAO car elles ne tiennent compte d’aucune réalité ethnique et sociologique ni continuité géographique. En outre, de nos jours la dimension de brassage inter ethnique et interculturel vient renforcer la cohésion de ces mêmes peuples, leur interdépendance et la solidarité interétatique.

C’est la raison pour laquelle, les chefs d’Etat africains de la CEDEAO doivent avoir pleinement conscience des risques réels d’une «rwandisation» de l’Afrique de l’ouest et surtout des États du Sahel, rwandisation qui ne profitera qu’aux multinationales et aux puissances occidentales qui opèrent dans cette zone (notamment du Sahel) depuis des siècles en vue du contrôle de leurs ressources minières et pétrolières. Faut-il le rappeler, aux lendemains de la seconde Guerre mondiale, De Gaulle s’était catégoriquement opposé à l’impérialisme américain et la présence des bases américaines sur le sol français au nom de la sauvegarde de la souveraineté nationale française. Pourtant, il avait toutes les raisons de les y autoriser.

En Afrique et particulièrement francophone la lutte contre le terrorisme et le jihadisme ne doit pas servir de prétexte à l’annexion de ces États. De même, le coup d’Etat du 26 juillet ne doit pas donner lieu à la substitution de l’ancien «maître» par un nouveau. Le Niger doit rester et demeurer souverain.

S’agissant des coups d’Etat au Niger, en leur temps, nous les avions déplorés et condamnés énergiquement à la suite de celui qui fut perpétré par M. Salou Djibo pour renverser le régime «tchazartchiste « de feu Tandja. Nous avions qualifié cette série de coup d’Etat de ritournelle car ayant des airs de déjà vus et avec à chaque fois les mêmes conséquences. A l’époque, nous mettions déjà en garde contre les dangers d’un énième recommencement auquel nous renvoie chaque coup d’Etat. Hélas l’histoire ne nous a pas démentis. Nous aurions tant souhaité avoir tort ! En effet, à l’exception de celui du 15/04/74 de Feu Kountché, tous les coups d’Etat au Niger (et ailleurs en Afrique à l’exception du Ghana sous J. Rawlings et du Rwanda sous P. Kagamé) ont toujours été un échec vers la bonne gouvernance et l’émergence d’un Niger nouveau. À chaque fois ils ont suscité d’immense espoir et une espérance au sein des populations qui voyaient en leurs auteurs des «messies» qui venaient les délivrer de leurs malheurs et leurs souffrances. Les coups d’Etat étaient à chaque fois l’occasion d’entrevoir des perspectives enchanteresses. Mais hélas, très vite les espoirs et les espérances sont déçues et les promesses trahies. Très vite les régimes qui succèdent à ceux qui ont été renversés par un coup d’Etat tombent dans les mêmes travers (voire pire) au point qu’on en vient à regretter ceux d’alors qui furent renversés.

 C’est pourquoi le coup d’Etat du 26 juillet 2023 doit être le coup d’Etat non pas de trop mais décisif en ce qu’il doit permettre la transformation radicale de la Société nigérienne, de ses  mentalités et des pratiques de mal gouvernance et d’injustice afin de favoriser l’émergence d’un Niger nouveau. Pour se faire, le CNSP doit avoir l’audace politique, la main ferme et la volonté inébranlable de mettre plusieurs chantiers sur l’ouvrage. Notamment :

– un moratoire dans le secteur des ressources  minières et pétrolières jusqu’à la refonte et l’adoption d’un nouveau code minier et pétrolier suffisamment protecteur des intérêts vitaux et stratégiques du Niger; la refonte des codes : minier, pétrolier, investissement; la réécriture des manuels et programmes scolaires et universitaires; l’adoption d’un plan de sortie progressive du Fcfa (à tout le moins le soustraire du contrôle de la France. «La monnaie c’est la liberté frappée»); la réforme de l’appareil judiciaire de l’état; la réforme de la fonction publique (avec obligation d’évaluation des fonctionnaires); la réforme de l’enseignement privé et public; la confiscation de tous les biens mal acquis depuis la conférence nationale à nos jours (la justice doit passer); le règlement de tous les dossiers de détournement des fonds publics (défense, mine, pétrole, douane etc.), d’évasion fiscale, de surfacturation, d’attribution illégale de marchés publics, Etc.; l’audit des sociétés d’Etat depuis la conférence nationale; la suppression des institutions et organismes publics et para publics inutiles et budgétivores; la dissolution des fondations qui servent d’écran aux détournements, blanchiments et autres activités criminelles; la nationalisation des grandes sociétés dans les secteurs stratégiques et de souveraineté (eau, mine, banque, pétrole, télécommunications, etc.); la réquisition et/ou l’’expropriation et/ou l’interdiction de vente des terres agricoles jusqu’à assurer notre autosuffisance alimentaire; la réforme du code électoral; la suppression des avantages et privilèges non essentiels ou leur réduction; l’interdiction des fonds politiques (comment comprendre que la politique est l’activité la plus lucrative au Niger? Être politique rapporte bien davantage qu’être opérateur économique ou haut fonctionnaire !); la suppression de certaines strates administratives ou instances territoriales (le mille feuilles administratif); l’institution de nouveaux critères d’éligibilité et de droit de vote; la réforme de la Constitution qui doit prendre en compte nos réalités et nos expériences ;- Etc.

En conséquence de ce qui précède et au vu de l’ampleur des missions qui l’attendent, le CNSP n’a pas droit à l’erreur. Il n’a pas le droit de rater le coche. Il n’a pas le droit de trahir les aspirations du peuple souverain nigérien qui lui sert aujourd’hui de bouclier et de légitimité face aux pressions extérieures exercées de toutes parts. Par conséquent, de sérieux gages doivent être donnés au peuple nigérien. Des garde fous doivent être érigés afin qu’un retour en arrière et à l’ordre ancien ne soit plus possible. Ceci passe par le refus de la confiscation du pouvoir par un quarteron de politiciens véreux qui ont toujours placé leurs intérêts personnels et partisans au-dessus de ceux de l’Etat Nigérien et des Nigériens qu’ils sont censés servir.

La génération actuelle se posera en sentinelle de la justice sociale et économique et de la bonne gouvernance en vue de l’émergence d’un Niger véritablement nouveau afin de ne pas nourrir le terreau d’un nouveau coup d’Etat. Celui du 26 juillet doit être le coup d’Etat décisif.

Et si malgré tout le CNSP  se loupe et ne parvient pas à redresser la barre ce coup d’état sera celui de trop. Et le Niger n’en voudra pas et l’intervention militaire de la communauté internationale et de la CEDEAO aurait été justifiée…..

ISSA Mahomed-Laouel

NB : L’article a été rédigé le 11 août 2023

Source : https://www.lesahel.org