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Morts et censure au Niger : L’Assemblée nationale, chape de plomb de la vérité de la justice

Le 28 novembre 2021, des soldats français tirent à balles réelles sur les manifestants à Téra et tuent, en fin de compte, trois d’entre eux et blessent 17 autres, dont 11, grièvement. Mais la France réfute cette version des faits. Et suite au message à la nation du Président Bazoum qui a souligné avoir exigé des autorités françaises une enquête en vue de sanctionner les militaires qui se seraient rendus coupables d’actes répréhensibles, Françoise Parly, la ministre des Armées de la France rétorque, dès le lendemain, « qu’il y a eu déjà une enquête interne qui a montré que face à des manifestations d’une grande violence, les soldats ont fait preuve de la maîtrise nécessaire et ont eu la réaction adéquate ». Une situation totalement ambiguë que les députés de l’opposition ont décidé de clarifier afin de déterminer les responsabilités. Interpellés une première fois par deux députés de l’opposition aux fins de répondre aux interrogations de l’heure, les ministres de l’Intérieur et de la Défense ont carrément refusé de déférer à la convocation du parlement. Une attitude dénoncée avec virulence au sein de l’opinion nationale qui y a relevé un mépris total à l’endroit de l’Assemblée nationale.

Selon l’article 121 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, « les débats sur les interpellations et les questions d’actualité sont retransmis en direct sur les antennes de la radio et télévision nationales ».

Renégociée sans doute en coulisses, la séance avortée le …décembre, est finalement retenue pour le samedi … Le pouvoir, visiblement opposé à tout débat public sur ce drame, a trouvé, entre-temps, un moyen plus subtil de faire avorter les discussions. Des discussions qui, selon l’article 121 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale doivent faire l’objet de diffusion radiotélévisée en direct. « Les débats sur les interpellations et les questions d’actualité sont retransmis en direct sur les antennes de la radio et télévision nationales ». Nonobstant cette disposition, la majorité parlementaire va imposer son diktat en votant, au niveau du bureau, une résolution pour un huis-clos. Autant dire pour la censure. L’Assemblée nationale, qui est, en principe le temple de la démocratie, est le recours trouvé pour refuser ce débat que les ministres de la Défense et de l’Intérieur ont préalablement fui. L’astuce a marché. Les députés de l’opposition, qui n’entendaient pas s’associer à la violation de l’article 161 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale décidée par la majorité, ont unanimement opté de boycotter la séance.

L’Assemblée nationale comme chape de plomb afin de faire barrage à la manifestation de trois vérités essentielles.

Selon l’opposition parlementaire qui a manifesté sa condamnation par divers actes de communication dont une déclaration publique, il est clair que le pouvoir veut manifestement tenir les auteurs et les commanditaires de la tuerie de Téra à l’abri de la justice et c’est l’Assemblée nationale qui est utilisée comme chape de plomb pour la manifestation de la vérité. Pour la majorité parlementaire, ce n’est pas la première fois que l’Assemblée nationale décide d’un huisclos sur des questions sensibles. Une excuse qui n’est pas suffisante pour justifier une violation, par l’Assemblée nationale, de son propre règlement intérieur. Outre qu’elle est en porte-à-faux avec le texte qui régit le fonctionnement du parlement, la décision de faire les débats à huisclos enlève au peuple nigérien son droit à l’information tel que stipulé par l’article …de la constitution. L’opposition parlementaire, a souligné que le pouvoir a ainsi utilisé l’Assemblée nationale comme chape de plomb afin de faire barrage à la manifestation de trois vérités essentielles : empêcher au peuple de savoir qui a tiré, qui a autorisé de tirer à balles réelles sur les manifestants et quels sont les montants réels qui ont été détournés au ministère de la Défense nationale.

Un manque de confiance du pouvoir sur la question.

Pour la majorité parlementaire, qui relaie sans doute la position du gouvernement sur le sujet, il s’agit d’éviter de parler de questions de stratégies sécuritaires en direct. Kalla Moutari, ancien ministre de la Défense à l’époque l’Italie cherchait à s’installer et que la France s’y opposait, a notamment expliqué qu’eux, les parlementaires, peuvent parler de choses qui ne doivent pas être dites et qu’en direct, il n’est pas possible de rattraper d’éventuels ratés. L’opposition parlementaire a vite fait de balayer l’argument d’un revers de main, déclarant qu’il ne s’agit non pas de parler de stratégies sécuritaires, mais d’apporter des réponses claires à des questions précises qui sont contenues dans la lettre adressée au gouvernement. Détail de cette seconde séance avortée de débats sur la tuerie de Téra, ce ne sont plus les deux ministres attendus qui doivent faire face aux députés de l’opposition, mais plutôt le Premier ministre. Un changement qui, pour certains observateurs, traduit un manque de confiance du pouvoir sur la question.

Dès le lendemain des évènements, Niamey a étalé, sans gêne, sa volonté d’endosser la responsabilité de la tuerie.

Le refus de la majorité parlementaire de faire les débats, conformément au règlement intérieur de l’Assemblée nationale, n’a pas été véritablement une surprise. Dès le lendemain des évènements, Niamey a étalé, sans gêne, sa volonté d’endosser la responsabilité de la tuerie. Pour le laisser entendre, le ministre de l’Intérieur, qui s’est précipité à publier un communiqué incriminant l’armée française, perd son poste et le haut commandant de la gendarmerie nationale est aussi relevé de ses fonctions. Une manière de dire que l’un et l’autre ont commis des fautes qui doivent être sanctionnées. Quid de la déclaration du Président Bazoum qui a dit, dans son message à la nation, avoir exigé des autorités françaises une enquête sur les évènements de Téra ! Manifestement un simple effet d’annonce. La véritable position du gouvernement sur la question est portée par la majorité parlementaire qui a manoeuvré pour empêcher les débats publics.

Doudou Amadou