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Lettre au président de la République (BM) : Monsieur le Président, Je vous souhaite de faire la paix avec votre conscience en regardant la France telle qu’elle est pour le Niger, pas pour vous.

 

Je vais vous le dire clairement : vous avez énormément déçu. Vous avez déçu, en peu de temps et face à la toute première véritable épreuve. Ce que vous êtes est apparu au grand jour, au grand dam de tous ceux qui, par vos premiers discours et vos promesses d’une gouvernance meilleure, faites devant de nombreux acteurs sociopolitiques que vous avez reçus, à votre initiative. Ces compatriotes, et plein d’autres éparpillés sur cette vaste étendue de territoire dont on essaie de nous voler ou plutôt de nous arracher de force une partie que l’on dit très riche en métaux précieux et pétrole. Vous avez profondément déçu l’espoir que vous avez fait naître chez ceux de vos compatriotes qui ont bien voulu vous faire confiance, tant vous avez séduit par ce style de gouvernance qui tranche nettement avec les pratiques malsaines de l’autre, je veux dire votre prédécesseur. Vous avez déçu car vous avez promis et la parole, dans notre société, lie énormément celui qui l’avance.

La colonne française qui a tiré à balles réelles sur les manifestants civils nigériens à Téra n’a de respect pour aucune vie nigérienne. Elle a tiré à balles réelles sur des populations civiles nigériennes que vous avez juré, la main sur le Coran, de défendre et de protéger, en tous lieux et en toutes circonstances. Ce sont une vingtaine de vos compatriotes qui ont été froidement visés par des balles assassines d’un pays que vous considérez ami du Niger. A ce jour, quatre de ces compatriotes sont morts, dont deux sur le coup. 18 ont été blessés par ces balles, dont 11 grièvement. C’est parmi eux que deux ont finalement rendu l’âme.

Monsieur le Président,

Votre responsabilité est directement engagée. La veille ou l’avant-veille exactement, vous avez claqué la langue pour magnifier et louer cet ami français qui serait là, presque à titre humanitaire, pour nous aider à vaincre l’ennemi qui veut manifestement remettre en cause l’intégrité territoriale de notre pays. Vous l’avez fait avec un tel zèle que j’ai cru avoir affaire à un diplomate français faisant un plaidoyer pour son pays. Vous l’avez si bien fait que le ministre des Affaires étrangères français, Jean Yves Ledrian et Emmanuel Macron ont dû sabler le champagne, persuadés qu’ils ne pourraient pas eux-mêmes défendre les intérêts français avec tant de verve, tant d’enthousiasme et tant de conviction. J’en ai été scandalisé, comme tous les Nigériens qui vous ont suivi faire ce bel plaidoyer pour la France, au détriment, bien sûr, de votre pays dont la richesse la plus convoitée par la France, l’uranium, ne représente plus grand-chose pour votre client, pour parler comme les avocats.

Dans ce drame qui endeuille le Niger, il est choquant de constater que vous avez manifestement cautionné, admis et accepté cette tuerie française. C’est le plus bel exemple de soumission à la France qu’un chef d’Etat nigérien pourrait afficher et vous l’avez fait sans état d’âme. Exactement comme vos amis français qui ont tiré sur nos frères. La contradiction entre ce que vous avez dit publiquement, 48 heures auparavant à propos de vos relations avec de la France, et cette absence que vous avez opposez suite à cet évènement tragique de Téra est flagrante.

Votre absence est d’autant plus choquante pour vos compatriotes que vous avez clamé haut et fort, 48 heures avant le drame, que vous n’êtes pas soumis à la France. En tuant des Nigériens, sur le sol nigérien, la France n’a pas fait autre chose que de vous démentir ; montrer à quel point vous êtes un soumis qui est prêt à la servir, soit-il au prix des vies de ses compatriotes.

Monsieur le Président,

Arrivez-vous, vraiment, à dormir après cette douche froide que la France vous a imposée ? Arrivez-vous à trouver le sommeil après ce cinglant démenti de ce que, vous, le président de la République du Niger, professez et tambourinez, 48 heures avant que vos amis français ne vous fassent taire, en posant un acte aussi grave, sur le sol nigérien et vis-à-vis des Nigériens ? La palme, c’est que malgré le communiqué officiel de celui qui est désormais l’ancien ministre de l’Intérieur, Alkache Alhada, la France rejette la responsabilité des tirs à balles réelles sur la Gendarmerie nationale. Or, les douilles ramassées sur place indiquent bien que les tirs viennent bien des forces françaises ; à moins, toutefois, que les gendarmes nigériens aient emprunté leurs armes. Ce n’est pas ça, le problème puisque, tout concorde à soutenir que c’est bien l’armée française qui a tué vos compatriotes.

Le problème, c’est que vous n’avez toujours pas cru protester par lettre officielle et demander, sinon réparation, du moins excuses publiques de la part de la France. Le fait est pourtant assimilé à un acte de guerre, selon les spécialistes. Selon toute vraisemblance, c’est ce ridicule jeu de chaises musicales que vous comptez opposer à cette tuerie de vos compatriotes par la France. Que-ce que ça signifie ?

Au minimum, même lorsqu’on est si soumis, on limoge le ministre fautif, ne serait-ce que pour faire semblant. Non seulement, vous n’avez rien demandé à la France, en termes d’explications, mais vous êtes incapable de sanctionner, à la hauteur des faits incriminés, le premier responsable du gouvernement. Je considère, personnellement, que vous êtes doublement soumis : à la France bien entendu, mais également à une autre force, endogène, cette fois.

Monsieur le Président,

J’ai essayé, au-delà de la passion et de l’interprétation facile des faits, de me faire une opinion juste du drame de Téra. Un fait, tangible est là : c’est la France qui a tiré sur vos compatriotes et tué certains.  Mais ? pourquoi l’armée française a-t-elle tiré, à balles réelles, sur les Nigériens aussi facilement alors qu’elle restée bloquée à Kaya, au Burkina Faso pendant cinq jours ? J’ai essayé de comprendre et votre jeu de chaises musicales semble fournir l’étincelle qu’il faut pour appréhender, peut-être, les enjeux véritables de ce qui s’est passé à Téra.

Je me suis dit que si vous vous êtes contenté de changer de place à Alkache Alhada, l’auteur du communiqué officiel incriminant l’armée française, c’est que vous n’avez pas objectivement les moyens de le renvoyer purement et simplement du gouvernement. Et si vous ne l’admettez plus à la tête du ministère de l’Intérieur, c’est sûrement parce qu’il ne vous inspire plus confiance et que, en l’occurrence, vous lui reprochez sans doute l’accusation portée contre la France dans le drame de Téra. J’en suis arrivé à m’interroger sur ce qui a pu vous motiver à faire remplacer Alkahce Alhada que l’on dit très proche de l’autre, par un de vos fidèles lieutenants. Le communiqué d’Alkache Alhada serait-il inspiré ailleurs et par des motivations insoupçonnées ?

Monsieur le Président,

En toute honnêteté, mon esprit a vagabondé vers les hypothèses les plus folles. Je vous laisse le soin d’y faire face puisque vous êtes seul à connaître le drame intérieur qui vous déchire. Mais, quoi qu’il en soit, je garde l’œil, persuadé que Téra aura une suite. Que Dieu garde le Niger ! Quant à vous, je vous souhaite de faire la paix avec votre conscience en regardant la France telle qu’elle est pour le Niger, pas pour vous.

Mallami Boucar