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Lettre au président de la République (BM) Monsieur le Président, Avons-nous un contentieux avec le Mali ? Avons-nous un contentieux avec ...

Monsieur le Président, Avons-nous un contentieux avec le Mali ? Avons-nous un contentieux avec la Fédération de Russie ? Ou bien prenons-nous fait et cause pour une partie dont il n’y a pas lieu de citer le nom ?

Est-ce, donc, vrai qu’un avion militaire russe a été interdit de survoler l’espace aérien nigérien pour aller au Mali et qu’il a été, finalement, contraint de passer par l’Algérie ? J’ai bien vu la note d’information, mais je n’y croyais pas. Est-ce bien du Niger, de mon Niger, ce pays si respectueux des principes de bon voisinage et profondément attaché à ses relations séculaires avec ses voisins immédiats dont il s’agit ? Je ne reconnais plus mon pays. Déjà, du point de vue de l’intérieur, tout, absolument tout, a été si bouleversé que nos compatriotes continuent à penser qu’il s’agit d’un mauvais rêve, un cauchemar qui n’en finit pas. Moi, je n’en suis réellement surpris, tant votre position personnelle est si tranchée qu’on pourrait aisément l’assimiler à celle d’un Jean-Yves Ledrian ou une Françoise Parly, respectivement ministres des Affaires étrangères et des Armées français. Vous êtes si dur avec les frères maliens à qui vous devez reconnaître, en tout état de cause, la souveraineté nationale et un minimum de droit pour ceux qui le gouvernent de choisir la voie à suivre pour les Maliens. Qu’ils soient militaires issus de coup d’Etat ou hommes politiques arrivés au pouvoir par des élections, il n’y a pas de raison d’avoir les positions que vous avez vis-à-vis du Mali. Car, ce qui touche au Mali touche forcément au Niger. Et puis, entre nous, monsieur le Président, vous avez bien donné, depuis presque 11 ans, aujourd’hui, au Niger, des orientations que les Nigériens contestent et combattent avec véhémence et que seule l’usurpation des droits constitutionnels à la manifestation vous permet d’étouffer les mécontentements populaires.<p>
Vous le savez mieux que moi, « il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice ». Or, vous le savez parfaitement, c’est le cas du Niger depuis 11 ans. Grâce à des lois taillées sur mesure, faites à la têt du client, vous avez pu asseoir un pouvoir issu de hold-up électoraux et vous avez pu faire taire la plupart des voix discordantes qui vous dérangent. Avez-vous, monsieur le Président, une idée du nombre de vos compatriotes qui ont été interpellés et/ou embastillés et jetés en prison pour leurs opinions, leurs positions ou leur engagement politique ? Certes, la loi, c’est la loi et personne, en principe, ne doit se sentir investi d’une immunité vis-à-vis de la justice. Or, là également, vous le savez mieux que moi, de nombreux compatriotes ont connu les affres de la police judiciaire et/ou de la prison pour des raisons liées à la primauté de la force qui prime sur celle du droit tandis que d’autres font du trafic de drogue, d’armes, violent allègrement les lois de la République, s’attaquent délibérément aux fondements de la cohésion sociale et de l’unité nationale, détournent des milliards,…dans une impunité totale qui, en principe, vous enlève tout droit de parler de certaines questions.


Monsieur le Président,
La situation de notre pays, depuis près de 11 ans, ne nous permet pas, ne vous permet pas de critiquer un autre pays sur les questions liées à la République, à la démocratie et aux droits humains et le secrétaire aux droits humains des Nations Unies, Clément Voule, qui a séjourné dans notre pays du 6 au 16 décembre 2021, l’a clairement fait ressortir dans un communiqué de presse rendu public. Nous devons, nous autres Nigériens, faire profil bas lorsqu’on parle de certains sujets et surtout que ce qui ruine, aujourd’hui le Mali en termes d’intégrité territoriale, n’est pas si loin de nos portes. Notre devoir en tant que Nigériens, je le pensais, c’est de rester solidaires de nos frères maliens quoi qu’il en soit. Nos destins, en tant qu’États souverains dans leurs frontières originelles, sont intimement liés.


Lorsque j’ai appris que le Niger a refusé le survol de son territoire, du côté d’Agadez, à un avion militaire russe qui va au Mali, je me suis demandé si notre pays agissait ainsi à l’encontre du Mali ou de la Fédération russe ? Est-ce le Niger, mon pays, qui a contraint l’avion russe à changer de trajectoire ou c’est plutôt le fait de ces forces militaires étrangères installées sur le sol nigérien et qui se comportent en territoire conquis au point de tirer, à balles réelles, sur des compatriotes manifestants ? Avons-nous un contentieux avec le Mali ? Avons-nous un contentieux avec la Fédération de Russie ? Ou bien prenons-nous fait et cause pour une partie dont il n’y a pas lieu de citer le nom ?

Je suis réellement désorienté, pour ne pas dire couvert de honte de voir mon pays prendre des positions aussi tranchées sur des questions qui, dans le pire des cas, doivent requérir de notre part une totale équidistance. Avez eu l’occasion de parcourir quelques lignes de l’excellente thèse de doctorat de Mamoudou Djibo ? Invitez-le à vous en procurer une synthèse sur la diplomatie nigérienne depuis 1960, particulièrement vis-à-vis de pays belligérants ou à contentieux quelconque. Vous serez assez édifié pour ne pas rectifier votre ligne de conduite et celle de l’État vis-à-vis du Mali.


Monsieur le Président,
Vous connaissez assez bien sans doute la position courageuse, pleine de dignité et d’honneur, que le Président Diori Hamani a eue face à la France qui avait, déjà, essayé de désintégrer le Nigeria avec la guerre du Biafra en soutenant, en finançant et en armant ouvertement le chef sécessionniste biafrais Odumegwu Ojukwu. Lors de cette guerre du Biafra, le Président Diori a pris fait et cause pour le Nigeria fédéral alors que l’ancienne puissance coloniale et certains pays africains du précarré français en Afrique étaient ouvertement engagés aux côtés de la sécession biafraise.

Où se situe la différence qualitative ? C’est que Diori Hamani avait une très forte personnalité, savait se faire respecter et faire respecter son pays et son peuple. Nonobstant son obédience francophile, son amitié avec le célèbre Jacques Foccart et sa proximité ¯ certains parleraient volontiers d’assujettissement à son frère ivoirien ¯ avec son contemporain et non moins chef d’État Houphouët Boigny, le Président Diori ne s’est pas toujours, systématiquement, aligné sur la position française face à des situations pourtant cruciales. Je me demandais ce que serait la position du Niger si c’était aujourd’hui.

 Monsieur le Président,
À propos de vos rapports en tant que gouvernants nigériens, je m’interroge sincèrement sur les motivations et les desseins, tant ils sont en net décalage avec les attentes et les aspirations du peuple nigérien. Je pose la question de savoir si la France pour un pays, un peuple, ou si elle est pour des hommes. En attendant d’obtenir une réponse à cette interrogation qui n’est pas exclusivement mienne, je voudrais vous inviter, en restant dans le sillage de chefs d’État tels que Diori Hamani et Seyni Kountché, à méditer sur les rapports entre la fidélité qu’on vous reconnaît vis-à-vis de la France et la loyauté que vous devez à votre pays et à votre peuple. Laquelle doit primer et laquelle prime chez vous ? En tout état de cause, je suis peiné d’entendre parler de la fidélité du président nigérien vis à-vis d’un autre pays. J’en suis d’autant plus peiné que l’évocation de cette fidélité est assimilée à un dévouement aveugle qui vous réduit presque à un sous-préfet local de ce pays. Si cela est faux, et je le crois, croyezmoi, c’est que vous avez un discours mi-figue, mi-raisin lorsqu’il s’agit de la France et personne, pas même les autorités françaises, je suppose, ne comprend réellement ce que vous voulez et où vous allez.

Mallami Boucar