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La situation alarmante de Tillabéri : Entre devoir de patriote et risque d'anéantissement des communautés/ Par Hamma HAMADOU

SUIS-JE UN SALAUD OU JUSTE UN PATRIOTE, en disant craindre la fin de la coexistence pacifique dans cette région singulière qu’est Tillabéri qui abrite depuis des siècles 6 des 8 communautés ethniques que compte le Niger d’aujourd’hui, voire sa disparition programmée ?

Le Niger est UN et doit le rester en droit et en fait, mais sur la situation d’abandon sécuritaire dans la région de Tillabéri-là, faut-il se taire, s’exprimer ou s’en foutre ?

Je suis évidemment conscient que, dans le contexte nigérien, prendre parti sur cette tragédie, cette récurrence de l’effroi, lorsque vous êtes ressortissant de la région, ce n’est pas sans risque bien sûr, parce que, même en étant quelqu’un de bien, à un moment ou un autre, vous allez souffrir d’un conflit de valeurs.

Mais, se taire, c’est laisser la tragédie se perpétuer à des générations entières. Ne pas agir, c’est en être complice !

Je choisis donc, malgré moi, de prendre, aujourd’hui, le risque d’alerter et m’exposer sur ce sujet.

Factuellement, je pensais connaître la cruelle situation de la région, mais en allant faire campagne pour mon parti au titre des législatives partielles dans la Diaspora, j’ai été frappé, effrayé par le spectacle glaçant, souvent dans de modestes villages étrangers, de tous ces visages sympathiques de compatriotes qui ont émigré vers la côte ouest-africaine et qui sont venus à notre rencontre. Il suffit de leur demander d’où ils viennent : la réponse est simple ; ils viennent presque tous de Anzourou, Balleyara, Banibangou, Damana, Dargol, Dessa, Filingué, Gorouol, Gothèye, Karma, Mehana, Namaro, Sakoira, Tera, Zarmaganda… On a l’impression que des villages nigériens entiers ont été simplement essorés de tous leurs hommes valides qu’on a réinstallé dans un village béninois, ghanéen, ivoirien ou togolais pour laisser femmes et enfants au pays. Et ils sont essentiellement des gaillards, autant d’hommes actifs qui manqueront donc à la production dans leurs villages au Niger. Par dépit, beaucoup ne veulent même plus entendre parler de retour au pays, et je crains que nous n’en ayons naturellement perdu au moins le tiers, définitivement. Ils ne sont probablement pas dans les registres statistiques de réfugiés du HCR ou des pays d’accueil ni même du NIGER, mais, pour moi, ils sont sans aucun doute des réfugiés de la situation sécuritaire qui affecte malheureusement sur l’économie de la région de Tillabéri.

La sécurité, c’est le premier devoir de l’État. Malheureusement, sur ce plan, la région de Tillabéri semble devenue terra nullius pour longtemps.

Les populations, leurs chefs, leurs leaders religieux, sont chassés de leurs terroirs séculaires, dépouillés de leurs biens ou tués. De nombreuses écoles restent fermées depuis des années. Des groupes armés non étatiques prélèvent l’impôt. Des récoltes brulées ou confisquées. Des leaders régionaux emprisonnés pour un oui ou un rien. Des bases militaires étrangères installées illégalement quand et où elles veulent. Et, depuis un moment, c'est une radio étrangère s’y installe et émet dans des langues que la majorité des autochtones ne comprennent pas. Que d’exactions, de frustrations, d’humiliations, de souffrances exprimées ou pudiquement tues… ! Mais jusqu’où ira-t-on dans l’anéantissement de cette région ?

Tout se passe comme si on poussait la population à la révolte ou aux conflits communautaires.

Si cette situation -qui n’a que trop duré et je préempte qu’elle va malheureusement encore durer- est bien réfléchie, alors, c’est d’une cynique mais stratégique ingénierie d’orfèvre. Dans le cas contraire, nous sommes tous, nous et nos autorités, dans une ivresse coupablement déconcertante.

Nous, Nigériens, avons donc le devoir impérieux de nous unir, de mutualiser nos intelligences et nos fortunes, de nous donner un cap comme Nation idéalement sanctuarisée, de nous organiser dignement, courageusement ou nous périrons de notre naïveté, de notre lâcheté, de notre cupidité ou de notre couardise, les uns après les autres, à court ou moyen terme. Parce que c’est le destin promis aux peuples qui se couchent, se résignent devant l’adversité.

Alors agissons pour mettre fin à cette tragédie à laquelle nous sommes promis, maintenant !

Hamma HAMADOU