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Gestion des ressources : Le pétrole du père, du fils et de «saint Pierre»

Le 2 avril 2021 a sonné le glas pour Pierre Foumakoye Gado qui a régné par procuration sur le pétrole nigérien. Une procuration d’Issoufou Mahamadou qui a dû, face à l’intransigeance du Président Bazoum Mohamed, lâcher son homme-lige. En compensation, et pour diviser la poire en deux, Bazoum accepte qu’il soit remplacé par Sani Issoufou dit Abba. Selon une source politique crédible, la bataille a été rude et c’est pratiquement au bout de plusieurs heures de chamailleries que l’ancien président et son successeur ont pu accorder leurs violons. Pour le nouveau président, tout sauf Pierre Foumakoye Gado. S’il a obtenu gain de cause, il n’est toutefois pas sorti de l’auberge puisque c’est à un autre Pierre Foumakoye Gado que revient la gestion du pétrole nigérien. Abba Issoufou n’est autre que le fils de l’ancien président dont la préoccupation est de garder la haute main sur la gestion du pétrole qu’il ne compte ni partager ni laisser à un oeil indiscret. Il en a fait son pré-carré, interdit à tout homme étranger à la famille.

Dès les tout premiers barils, l’ancien président a secrètement négocié, à l’insu de l’Assemblée nationale, un prêt de 1000 milliards auprès d’Eximbank de Chine, hypothéquant ainsi plusieurs années de production pétrolière.

Du début de l’exploitation du pétrole nigérien, en 2011, à ce jour, personne, à l’exception notable des membres du clan, ne sait grand-chose de la manne pétrolière.Seule certitude, dès les tout premiers barils, l’ancien président a secrètement négocié, à l’insu de l’Assemblée nationale, un prêt de 1000 milliards auprès d’Eximbank de Chine, hypothéquant ainsi plusieurs années de production pétrolière. Où sont passés ces 1000 milliards de francs CFA ?

C’est l’opacité totale. L’utilisation de cette manne est des plus incertaines. Le gouvernement n’a jamais informé sur l’usage fait de cet argent. L’école n’a pas été réformée et/ou modernisée, les Nigériens manquent d’eau potable jusque dans les centres urbains, y compris à Niamey, la capitale. L’armée manque d’armes, d’appareils et d’équipements adéquats. Quant à la santé, des hôpitaux ont, certes, été construits, mais dans le cadre de conventions particulières, notamment avec la Chine pour l’hôpital de référence de Niamey ou par le partenariat public-privé.

Le secteur, il faut le dire, est en plein boom et le contrôler confère à l’ancien président une marge de manoeuvre considérable.

L’ancien président a, donc, réussi, à préserver sa chasse gardée. Pour nombre de Nigériens, Abba Issoufou est là pour veiller sur les petits secrets malodorants de ce portefeuille stratégique qui échappe au contrôle de l’Etat. Le secteur, il faut le dire, est en plein boom et le contrôler confère à l’ancien président une marge de manoeuvre considérable. La production, selon les prévisions d’exploitation, connaîtra bientôt un bond prodigieux. De 20 000 barils/jour, le Niger passerait en fin avril 2021 ¯ l’échéance a été repoussée depuis lors ¯ à 120 000 barils/jour. Une rente multipliée par 6 qui ouvre de nouvelles perspectives d’enrichissement pour ceux qui, depuis 10 ans, gèrent le pétrole nigérien comme une entreprise familiale.

Géré par une sorte de trinité, le pétrole nigérien est, selon des sources concordantes, au centre de nombreuses interrogations. Véritable boule de gomme dont seuls quelques initiés agrégés autour de l’ancien président connaissent les secrets et les jardins qu’il arrose, le pétrole nigérien fait assurément l’objet d’une gestion opaque. Si les Nigériens s’interrogent sur l’usage et la destination réels des fonds générés par le pétrole, notamment les 1000 milliards d’Eximbank de Chine, Issoufou Mahamadou, Pierre Foumakoye Gado et Abba Issoufou, eux, s’interrogent sur les moyens à déployer pour conserver l’inviolabilité de ce dossier. Pierre Foumakoye Gado, le régent sortant, a montré, dès les premières années de gestion, des signes extérieurs de richesse.

Selon un grand commis du secteur ayant requis l’anonymat, Bazoum lui-même ne connaît pas grand-chose de ce dossier sulfureux du pétrole.

S’il est, d’un point de vue strictement financier, le plus grand scandale de l’ère Issoufou, le pétrole n’a curieusement pas fait l’objet d’audit à ce jour. La loi, tout comme le devoir d’informer sur l’usage fait des ressources et fonds publics, sont bafoués au dernier degré. Personne ne s’en soucie, pas même le Président Bazoum qui a pourtant promis une autre gouvernance économique proscrivant la corruption et les infractions assimilées. D’ailleurs, note un grand commis du secteur ayant requis l’anonymat, Bazoum lui-même ne connaît pas grandchose de ce dossier sulfureux du pétrole.

Après l’euphorie, les Nigériens sont à la désillusion. Leurs rêves, fous, se sont envolés, emportés dans les comptes bancaires et ambitions personnels qui se sont appropriés le pétrole. Comme l’essence du Nigéria, objet de fraudes massives qui occasionnent des pertes financières énormes au géant du sud, celle de Soraz a pris visiblement les mêmes chemins tortueux. Vendue dans la rue, au vu et au su de tout le monde, dans des conditions obscures que personne ne peut s’expliquer, le pétrole nigérien n’est plus évoqué que pour exprimer le regret de constater que le Niger n’a pu échapper au syndrome de la corruption qui a ruiné bon nombre d’Etats. La vente frauduleuse d’essence, qui a prospéré, couvre aujourd’hui toutes les régions, y compris Niamey qui en était jusqu’ici épargnée et où les tenants de ces essenceries mobiles ont dû, pour s’imposer et imposer leur commerce illégal, livrer un bras de fer contre l’Etat. Un bras de fer qu’ils n’ont pas, à notre grande surprise, perdu. Les étals de bouteilles se constatent aujourd’hui dans tous les coins de rue de la capitale, développant, parallèlement au trafic légal, un circuit de commercialisation informel qui tuera à terme, le commerce légal. Il semble que ce sont essentiellement des porteurs de tenue abusant de leurs attributs qui s’adonnent, impunément, à ce trafic de carburant.

De l’avis de sources politiques multiples, la gestion orthodoxe du pétrole, ce n’est pas demain, la veille. En tout cas, pas sous Bazoum Mohamed, le premier garant du bicéphalisme du pouvoir nigérien.

À côté de ce trafic devant lequel la douane, elle-même, a fait profil bas, il y a celui des gros bonnets, des particuliers étrangers coalisés à des nationaux qui achètent l’essence de Soraz dans une perspective d’exportation, mais qui la reverseraient sur le territoire nigérien après un détour trompeur au Nigéria, au Mali ou au Burkina. Des privilégiés VIP qui ont font leurs manoeuvres, presque au vu et au su de la police, de la douane et de la gendarmerie impuissantes. La raison des particuliers est, ici, plus forte que la raison d’État. Le Président Bazoum, que l’on accuse à tort ou à raison de nourrir le peuple nigérien d’intentions et de professions de foi, est de plus en plus interpellé pour apporter un peu plus de cran dans la lutte contre la corruption. Une lutte qui ne peut faire l’économie de la transparence et de la reddition des comptes des acteurs commis à la gestion des affaires publiques.

Entre-temps, le pétrole du père, du fils et de «saint- Pierre» va continuer à alimenter des comptes bancaires logés dans les paradis fiscaux.

Si le pétrole, la principale source de revenus du Niger est exempte de tout contrôle, il faut bien croire qu’il y a un État dans un État, un gouvernement fantoche qui fait figure d’ornement et un gouvernement de vérité qui est dans l’ombre mais qui tire les ficelles du pouvoir et gère à sa guise les ressources publiques. Et de l’avis de sources politiques multiples, la gestion orthodoxe du pétrole, ce n’est pas demain, la veille. En tout cas, pas sous Bazoum Mohamed, le premier garant du bicéphalisme du pouvoir nigérien. Entre-temps, le pétrole du père, du fils et de «saint-Pierre» va continuer à alimenter des comptes bancaires logés dans les paradis fiscaux. Bazoum a-t-il peur de faire auditer le secteur du pétrole ?

Laboukoye