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Levée de l’immunité présidentielle de Bazoum Mohamed : Un couteau à double tranchant pour le Cnsp ?

Bazoum Mohamed_Justice D’après des sources bien informées, la levée de l’immunité parlementaire du président déchu, Mohamed Bazoum, est pendante devant la Cour d’Etat. Il paraîtrait que les Conseillers à cette Cour n’arriveraient pas à se mettre d’accord sur les modalités juridiques de la levée de cette immunité, qui est une question jadis réservée au parlement dans un régime constitutionnel. Pourtant, il existe, en la matière, une jurisprudence, vieille de plus de treize années, qui était celle de la levée de l’immunité présidentielle de Mamadou Tandja, le 19 décembre 2010, par la Cour d’Etat mise en place par le Conseil Suprême pour la Restauration de la Démocratie (CSRD) du Général quatre étoiles, Djibo Salou, pour des infractions de droit commun, s’il vous plaît ! Du jamais vu dans le Niger contemporain ! Même dans le monde, ce sont des cas rarissimes de poursuites de droit commun engagées contre un président de la république (Noriega au Panama, Ould Abdel Aziz en Mauritanie). Faut-il le rappeler, l’ex-président Tandja avait été poursuivi, en 2010, pour deux principaux chefs d’accusation de ‘’détournement de fonds publics et de refus d’obtempérer à une décision de justice’’. Mais, aujourd’hui, pour des chefs d’accusation spécifiques qui ressortent au statut pénal du Président de la république (haute trahison, atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat, dépôts de déchets toxiques sur le sol national, violation du serment), l’on ne comprend guère les atermoiements des hauts magistrats pour trancher la question. Cependant, pour bon nombre d’observateurs avertis, les raisons de la lenteur de la Cour d’Etat tiendraient davantage des conséquences politicojudiciaires de cette décision que d’autres aspects de la question.

La levée de l’immunité de Bazoum pourrait entraîner celle d’Issoufou Mahamadou

D’après des sources proches du dossier, après la levée de l’immunité présidentielle de Bazoum, s’en suivrait celle d’Issoufou Mahamadou, dans une sorte d’entremêlée juridico-judiciaire que les juristes processualistes appellent, dans leur jargon,connexité. En effet, si l’immunité présidentielle de Bazoum venait à être levée par la Cour d’Etat, le président déchu serait alors mis en accusation pour les chefs d’accusation ayant motivé cette décision de levée d’immunité. Il comparaîtrait ainsi devant la Justice dans la peau d’un présumé coupable et aurait droit à un procès juste et équitable. Mais, il se trouve que Bazoum n’est pas n’importe quel justiciable, car c’est quand même un président démocratiquement élu, mais renversé par la force. A ce titre, les choses pourraient ne pas s’annoncer bonnes pour ses accusateurs actuels qui pourraient être obligés de prendre certaines décisions inattendues. En effet, une fois à la barre, l’accusé devra vouloir se défendre par tous les moyens qui lui seraient possibles afin de se tirer d’affaires. Autrement dit, le président déchu, Mohamed Bazoum, devra sortir de son silence pour faire face à ce dont il est accusé. Jusque-là, cloîtré dans sa résidence présidentielle depuis le 26 juillet 2023, Mohamed Bazoum devrait retrouver, soit une cellule, soit une résidence surveillée et présenté à la Justice. A la barre, ce serait un autre Mohamed Bazoum, dépouillé de sa personnalité antérieure de citoyen honnête, détrôné de son diadème présidentiel et mis sur le banc des accusés. L’on aura affaire à un homme dévasté par le chagrin et le remord qui voudrait se venger de tout le monde au Niger, à commencer par son ancien mentor politique, Issoufou Mahamadou, dont le rôle joué dans les événements de juillet dernier reste toujours énigmatique. On peut le deviner, l’enfant-maudit de Tesker en aura plein sur le coeur et risquerait de faire, à l’occasion de son procès, de graves révélations qui pourraient changer le cours actuel des choses. Il pourrait enfoncer son prédécesseur sur bon nombre de questions nationales dont eux seuls connaissaient l’existence et l’importance. On sait quand même que la présidence de Bazoum avait duré un peu plus de deux années au cours desquelles bien des choses pas très catholiques se seraient passées entre lui et Issoufou Mahamadou. Mieux, étant du système ‘’Guri’’ luimême, Bazoum était parfaitement au courant de certains secrets de la gestion antérieure d’Issoufou Mahamadou, dont la révélation pourrait conduire à demander des comptes à ce dernier par la Justice. C’est ce qu’un adage populaire Djerma enseigne : « Kargi ma soubou tiendi, soubou ma kondi tiendi », autrement dit, ‘’L’épine attire l’herbe, et à son tour, l’herbe attire le serpent’’. En d’autres termes, la levée de l’immunité présidentielle de Bazoum pourrait avoir un effet domino. Dans ces conditions, poussé jusque dans ses derniers retranchements, le président déchu et accusé pourrait être tenté de casser la baraque du régime de la renaissance, en procédant à des révélations stupéfiantes susceptibles d’entraîner des conséquences politico-judiciaires incalculables qui risqueraient d’éclabousser grand monde au Niger. Bazoum serait ainsi amené à balancer certaines choses jusque-là tues du fait de l’ancienne complicité politique ayant existé entre les deux personnalités. Ce serait, par exemple, le dossier de l’extradition vers la Libye d’un des fils de Kadhafi, Saadi Kadhafi, qui avait trouvé refuge au Niger, après la chute du régime de son père, en 2011. Ce pourrait être aussi le cas du passeport diplomatique nigérien délivré à l’ancien Directeur de Cabinet de Kadhafi, Bachir Saleh, en 2012. Il pourrait également s’agir de l’affaire de l’Uraniumgate dont les derniers rebondissements dans le journal panafricain, ‘’Afrique Intelligence’’, en 2023, avaient été attribués à l’entourage de Bazoum. Bref, dans maints dossiers chauds, l’accusé Bazoum pourrait faire mal à son ancien mentor politique. Dans ces conditions, au regard de la gravité des faits allégués par le présumé coupable Bazoum, pour la manifestation de la vérité, vérité pour vérité, la Justice n’aurait d’autre choix que de demander à entendre, à son tour, Issoufou Mahamadou. Ce qui contraindrait le Cnsp et le gouvernement de transition, désireux de rendre justice au peuple nigérien en tous lieux et en toutes circonstances, à procéder à la levée de l’immunité présidentielle d’Issoufou Mahamadou pour être entendu par la Justice.

Voilà pourquoi la levée éventuelle de l’immunité présidentielle de Bazoum pourrait déboucher sur celle d’Issoufou Mahamadou, du fait de l’ancienne complicité politique qui avait scellé leurs destins respectifs !

Quelles conséquences pour le Cnsp, en cas de procès contre Bazoum ?

Mettre en accusation une personne quelconque ne signifie nullement que l’affaire ira jusqu’au procès définitif, d’autres issues peuvent être obtenues pour régler le différend en question. Cela pourrait conduire à un non-lieu judiciaire, à une grâce présidentielle ou une amnistie. C’était déjà le cas de Mamadou Tandja dont l’immunité présidentielle avait été levée en 2010 par la Cour d’Etat de l’époque, mais jamais, l’affaire n’avait été vidée par un procès, car quinze mois après sa détention préventive, la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Niamey avait rendu une ordonnance de mise en liberté de l’ex-président et toutes les anciennes charges avaient été abandonnées contre lui. Ce serait, peut-être, pareil pour le cas de Bazoum, qui pourrait déboucher sur un abandon des chefs d’accusation par les instances juridictionnelles habilitées. Dans le cas échéant, un procès politique s’ouvrirait pour vider l’affaire. Dans ces conditions, certaines révélations de Bazoum pourraient avoir des conséquences dévastatrices pour le Cnsp, principalement pour son Président, le Général Abdourahamane Tiani, qui avait été le Chef de la Garde Présidentielle de celui qui est aujourd’hui à la barre. On sait pertinemment que le procès en question sera public et médiatisé, et la parole de l’accusé y sera directe et tranchante. Alors, Bazoum pourrait-il, à cette occasion, nous apprendre davantage sur les conditions de son renversement, ainsi que les vraies motivations des putschistes, autres que celles données dans leurs premières déclarations publiques ? Ce serait-là, apparemment, le grand risque que courrait le Cnsp, si jamais un procès en bonne et dueforme devait avoir lieu contre Bazoum. Comme on peut le voir, ce serait-là, manifestement, un couteau à double tranchant pour la crédibilité politique du Cnsp, si toute la logique judiciaire de cette affaire devait aller à son terme.

Cependant, on peut présumer que si le Cnsp tenait réellement à faire juger Bazoum, c’est qu’il serait sûr et certain de son ‘’truc’’, c’est-à-dire qu’il ne risquerait rien dans ce procès, les preuves de la culpabilité de Bazoum seraient ainsi claires et nettes comme eau de roche pour être réfutées même par une défense compétente et aguerrie. Espérons, tout simplement, que ce procès ne sera pas une boîte de Pandore, mais bien une belle occasion de rendre justice au peuple nigérien qui n’en demande pas plus au Cnsp !

Par Ali Koma  (Le Canard en furie)