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Lettre au chef de l’État Mon Général, Vous avez certainement les échos de ces cris de coeur et de dénonciation tous azimuts qui vous renseignent à suffisance que vous n’êtes pas sur la bonne trajectoire

Le General de Brigade Abdourahamane TianiVaut mieux tard que jamais, dit-on. C’est une sagesse de chez nous et vous la connaissez sans doute autant que moi. Vous avez mis un peu plus de huit mois aujourd’hui sans avoir fait inculper Issoufou Mahamadou alors qu’il est coupable de délits et crimes incontestables et que vous avez les pleins pouvoirs pour le faire. Huit mois au bout desquels la liberté prolongée de l’intéressé, que vos compatriotes assimilent légitimement à l’impunité, est en train de donner entièrement raison aux partisans de Bazoum Mohamed qui ont, tôt, déclaré qu’Issoufou Mahamadou est à la fois l’inspirateur et le grand bénéficiaire des évènements du 26 juillet 2023. L’arrestation et le jugement d’Issoufou Mahamadou, je dois vous le rappeler, n’est ni liée à une lubie quelconque de vos compatriotes, ni une demande fantaisiste de quelques personnes jalouses et vindicatives. Non, il ne s’agit pas de cela. Il s’agit d’une attente très forte du peuple nigérien qui souhaite voir des actes forts qui seront autant de balises et de repères pour une gouvernance meilleure, demain. Issoufou Mahamadou s’est rendu coupable de violations flagrantes de la constitution à maintes reprises, a plongé sa main dans le cambouis de scandales financiers de très grande ampleur et reste l’auteur de l’installation des bases militaires occidentales. Au niveau du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp), vous avez qualifié cela de haute trahison au regard des contours des accords y afférents et des conséquences désastreuses que notre pays a subies.

Alors, pourquoi n’est-il pas arrêté et poursuivi pour tous ces délits et crimes ?
Pourquoi avez-vous accusé Bazoum Mohamed de haute trahison trahison et non Issoufou Mahamadou ?

Ce sont là les interrogations avec lesquelles vos compatriotes m’embarrassent lors de nos échanges sur la vie de la nation. Il faut dire que je suis resté sans réponses, tout comme je le sais, vous ne pourriez pas vous-même répondre à ces questions, tant il apparaît clairement qu’Issoufou Mahamadou bénéficie d’un privilège que n’a pas Bazoum Mohamed. Pourtant, je vous l’ai rappelé la semaine dernière, si Bazoum est un serpent à sonnettes, Issoufou est certainement un mamba noir ou un taïpan du désert.

Mon Général,

Mieux vaut tard que jamais ! Vous devez sans doute y puiser la source d’inspiration nécessaire qu’il vous faut en ces temps de doute et de déception qui traversent le Niger. Vous avez certainement les échos de ces cris de coeur et de dénonciation tous azimuts qui vous renseignent à suffisance que vous n’êtes pas sur la bonne trajectoire. Vous avez la possibilité et le devoir de rectifier le tir afin de retrouver la confiance de votre peuple. Cette confiance, je dois le confesser, est en train de s’étioler à grande vitesse, tant vos compatriotes ont fait confiance au temps et le temps ne les a pas déçus. Non seulement vous n’avez pas fait inculper Issoufou Mahamadou, mais vos compatriotes ont constaté que pratiquement tous les ténors des graves scandales dont ils attendent les procès sont toujours hors de portée de la justice, certains ayant même eu la baraka de quitter le territoire national alors qu’ils étaient censés être sous surveillance policière. Vous devez savoir que cette façon de faire met mal à l’aise vos proches collaborateurs, y compris nous autres qui défendons becs et ongles le Cnsp et qui sommes obligés, tête baissée, d’admettre qu’au plan intérieur, rien n’a presque pas changé. On a beau être un soutien actif et inconditionnel du Cnsp, l’on doit avoir l’obligeance de reconnaître que la gouvernance d’hier n’a rien à envier à celle d’aujourd’hui en termes de prise en compte des attentes populaires.

Mon Général,

Ecoutez ces cris de coeur qui constituent l’âme du peuple nigérien. Vous avez fait le serment solennel que vous ne trahirez pas le peuple nigérien et vous devez vous interroger sérieusement sur la direction que vous avez prise, vos compatriotes ayant le sentiment que si le régime auquel vous avez dit avoir mis un terme n’est pas préservé, il est du moins en train d’être ressuscité. Vous devez sérieusement vous remettre en cause afin de démentir ces malheureux pronostics qui font de vous un simple cheval de Troie d’un certain Issoufou Mahamadou au nom de qui vous auriez destitué Bazoum Mohamed, le seul et unique but de l’opération.

Si vous su amorcer le juste combat pour la souveraineté nationale vis-à-vis de l’extérieur, vous avez toutefois pêché en ce qui concerne la justice à l’endroit du peuple nigérien. Un peuple qui se sent floué, tant il considère incompréhensible que ceux qui ont saigné le pays à coups de centaines, voire de milliers de milliards et qui ont des centaines d’immeubles visibles et connus, soient en liberté et jouissent tranquillement des fruits de leurs larcins. Vous ne pourrez convaincre vos compatriotes que lorsque vous aurez entrepris de rendre justice au peuple nigérien qui vous jugera, soyez certain, pour ce que vous aurez fait, en bien et en mal.

Mon Général,

Je sais que vous recevez beaucoup de messages et que les opportunistes en particulier vous inondent de lettres et de discours panégyriques, si bien que ceux qui ne sont pas plaisants sont vus comme l’expression d’une opposition au Cnsp. Il n’en est rien. Observez que ceux qui vous critiquent et qui vous blâment dans des audios le font sur trois sujets que je dois reconnaître très gênants pour vous-même. D’abord, le maintien en détention des prisonniers politiques civils et militaires ; ensuite la liberté dont jouissent les auteurs, coauteurs et complices de scandales inadmissibles et la prééminence des cadres du PndsTarayya dans l’administration publique. C’est dire que vous prêtez le flanc et on ne peut que s’incliner devant la pertinence de ces réprobations.

Observez également que ceux qui adressent ces panégyriques ne vous parlent jamais de l’impératif de donner la primauté à la justice et à des procès justes et équitables qui feraient la lumière sur les graves scandales qui ont jalonné les 13 années du régime Issoufou- Bazoum. Demandez-vous pourquoi ne le font-ils pas ?

Vous êtes face à un choix clair : ou bien vous faites droit à la demande, très forte, de votre peuple par rapport à la reddition des comptes des auteurs, coauteurs et complices de ces scandales ; ou bien vous continuez dans la logique observée. Dans le premier cas, vous regagnez totalement la confiance de vos compatriotes. Dans le second cas, vous aurez le soutien de ceux qui sont fidèles à Issoufou Mahamadou dans tout ce qu’il a fait de mal au Niger, mais vous serez obligé de gouverner exactement comme lui, c’est-à-dire le déni permanent des attentes et aspirations du plus grand nombre.

Mieux vaut tard que jamais, ne l’oubliez pas, mon Général.

Mallami Boucar (Le Monde d’Aujourd’hui)