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Une semaine de la vie d’un haut fonctionnaire de la République de Sahélie

Reunion NigerImage d'illustrationUne semaine de la vie d’un haut fonctionnaire de la République de Sahélie - Le service de l’Etat sous la pression des obligations familiales et sociales

D’un pays à l’autre, on observe, on le sait, de notables différences quant aux formes et modalités de l’action administrative, et d’abord quant à la disponibilité, l’engagement et les conditions de travail et de vie des hauts fonctionnaires qui l’animent. L’extrait du journal de l’un d’eux lève le voile sur la situation à cet égard en République de Sahélie.

Extrait du journal

J’ai pris la décision, assez rare sous nos latitudes, de me faire diariste et de commencer à tenir mon journal ; j’espère qu’en mettant les choses par écrit, noir sur blanc, je réussirai à comprendre pourquoi je cours toujours après le temps et l’argent.

Pourtant, vue du dehors, ma situation est plutôt enviable : titulaire d’un diplôme d’ingénieur en géologie, j’occupe actuellement un poste de Directeur Général au Ministère en charge des Equipements et des Transports. J’ai un salaire qui tourne autour d’un million de francs CFA (1500 euros) par mois en tenant compte des indemnités, ce qui, comparé aux revenus de la plupart de mes concitoyens, est évidemment plutôt confortable mais est paradoxalement la source pour moi de bien des tracas. Perçu comme ayant « réussi » dans une société pauvre mais qui s’urbanise et où les moyens de communication modernes ont avivé les envies et les besoins, je me retrouve investi, au nom de la solidarité, d’obligations multiples au bénéfice d’un groupe familial dont j’ai du mal à discerner les limites…

Lundi 4 mars 2024

- 7 heures

Comme tous les jours, avant mon départ au bureau, je laisse à mon épouse « les frais de condiments » de la journée, soit 5000 FCFA (7,5 euros), pour les achats courants ; mon épouse elle-même a une activité professionnelle rémunérée, mais il est admis que c’est à moi, le mari, d’assumer les charges du ménage. Nos grands enfants sont loin maintenant, installés dans la vie hors du pays, mais avec les parents et alliés plus ou moins proches des deux côtés, actuellement, nous ne sommes pas moins de douze à la maison.[1]

Mon épouse et moi avons considéré qu’il nous revenait d’accompagner certains jeunes membres de la « grande famille », et de les aider à démarrer dans la vie. En revanche, d’autres nous ont été « imposés » par leurs auteurs, aux yeux de qui, en raison de nos liens de parenté, nous ne faisons que notre devoir en les prenant en charge. En effet, selon une certaine conception traditionnelle, notre patrimoine est un bien commun et appartient donc à toute la communauté ; nous en sommes juste les gestionnaires.

Les jeunes que nous hébergeons mangent d’un bel appétit, quelques-uns n’hésitant pas, à l’occasion, à suggérer discrètement que si la nourriture était plus abondante et plus variée, ce ne serait pas plus mal…

- 7 heures 35

J’arrive au bureau après seulement une demi-heure de trajet, en dépit de la distance et des encombrements, car le chauffeur de ma voiture de fonction n’a pas son pareil pour se jouer des embouteillages. Il sait qu’il doit emmener Hannatou à l’école après m’avoir déposé au bureau.

Je me mets tout de suite au travail après avoir salué les quelques rares collaborateurs arrivés à l’heure. Je reprends le dossier d’appel d’offres de construction de la « Route rurale de Derzin », que nous devons finir de préparer, avant transmission à la Primature, à la fin de la semaine.

- 8 heures 40

Le Secrétaire général du ministère me fait appeler pour me demander où en est ce dossier. Je lui réponds que je compte le « boucler » d’ici deux jours et le lui soumettre. Il me fait observer que « nous marchons sur des œufs », notre Ministre ayant reçu des appels téléphoniques de plusieurs de ses Collègues du Gouvernement en faveur de tel ou tel soumissionnaire. Je regagne mon bureau.

- 11 heures

Un petit cousin de mon épouse (le fils de la fille de l’oncle de la maman de mon épouse), Mamoudou, dont je n’avais pas entendu parler depuis belle lurette, demande à me voir ; je n’ai pas trop le temps, mais je ne peux pas refuser. Je le reçois ; il me pose son problème : il vient d’arriver du village avec son fils Boubacar, qui est gravement malade ; il souffre de diarrhées et de vomissements et il faut l’hospitaliser d’urgence ; or il ne connaît personne à l’hôpital national à qui le recommander, ce qui lui fait craindre que l’enfant n’attende longtemps avant d’être pris en charge et, qu’en tout état de cause, il ne reçoive pas les soins qu’exige son état. Je passe une heure au téléphone avant de réussir à joindre mon ami le Professeur Souley, chef du service de médecine. Je lui pose le problème ; il me promet qu’il va faire de son mieux. Mamoudou me remercie chaleureusement en m’assurant de ses prières ; avant de me quitter, il me fait comprendre que l’hôpital ne sera sans doute pas en mesure de fournir les médicaments nécessaires et que ceux-là sont coûteux. Je lui glisse deux billets de 5 000 FCFA (15 euros).

- 12 heures 15.

Je reprends le dossier sur lequel j’avais commencé à travailler, non sans mal d’ailleurs, car cette interruption m’a passablement déconcentré.

- 13 heures

Le chauffeur me fait dire, par ma secrétaire, qu’il est parti chercher Hannatou à l’école pour la ramener à la maison.

Je dois prendre une petite pause pour me rendre à la salle de prières ; ce n’est pas loin : c’est un endroit bien aménagé dans les locaux du ministère, servant de lieu de culte pour les musulmans. La prière du début d’après-midi commence ici à 13 heures 15. Certains collègues quittent le bureau pour s’installer à la mosquée dès 12 heures 30 et y restent longtemps après la fin des oraisons pour se livrer à des invocations, et tout cela pendant les heures de service. Je me demande si ce comportement est conforme aux exigences de la religion ; questionné par moi, un marabout l’avait assimilé au vol d’un bien commun, et avait observé: « L’employé musulman doit respecter les contrats conclus avec son employeur. Allah (Qu’IL soit exalté et glorifié) dit : « Ô les croyants ! Remplissez fidèlement vos engagements… » Le Prophète (Que la paix et la bénédiction soient sur Lui) a dit : « Les musulmans doivent remplir les conditions de leurs contrats». Par conséquent, l’employé qui arrive à son travail en retard ou le quitte sans la permission du responsable du service, commet un péché ».

- 13 heures 40

Je retourne au bureau et me remets au travail quand des collègues viennent inopinément me rejoindre, pour parler (trop) longuement de politique ; je perds ainsi une bonne heure !

- 15 heures

Mon épouse me téléphone pour m’apprendre le décès d’un grand oncle à elle à Dirama, à 650 kilomètres de la Capitale; il s’agit du cousin de son père, l’aîné de la grande famille. Comme c’est un musulman, l’enterrement a lieu aujourd’hui même ; nous ne pouvons donc pas nous y rendre, mais nous devons absolument être présents aux cérémonies du troisième jour du décès, c’est-à-dire jeudi prochain. Il faudra donc nous mettre en route dès mercredi matin.

En conséquence, je ne pourrai pas venir au bureau du mercredi au vendredi, et je dois donc accélérer la préparation du dossier de la « Route rurale de Derzin ». Je le reprends sans tarder.

- 18 heures

Je quitte le bureau. Avant de rentrer à la maison, je fais un petit crochet par Festival, un bar-restaurant, où je retrouve après le travail, pour un moment de détente, une dizaine de camarades, promotionnaires de collège et de lycée pour la plupart, Nous commandons des brochettes de viandes de mouton accompagnées des boissons, alcoolisées pour certains, non alcoolisées pour d’autres. Quelques-uns profitent de l’occasion pour honorer des rendez-vous galants…

- 20 heures 30

En arrivant à la maison, je trouve un nouveau pensionnaire, qui n’était pas annoncé, Moussa. C’est un des fils de mon plus jeune frère, Ibrahima (même père, même mère) qui, resté au village, est appelé à hériter de la charge de chef de canton de notre père lorsque celui-ci disparaîtra, et qui, pour l’heure, s’occupe des propriétés familiales. Moussa, 17 ans, a récemment obtenu le BEPC ; mon frère souhaite qu’il poursuive ses études en vue du baccalauréat dans un des bons établissements privés de la Capitale, et attend bien sûr de moi que je fasse mon affaire du gîte, du couvert et des frais de scolarité. Il va falloir « pousser les murs » et fouiller les poches…

Mardi 5 mars 2024

- 7 heures

Après avoir remis à mon épouse l’argent du voyage de demain, je suis en route comme d’habitude pour le Ministère. Je mets à profit le temps du trajet pour réfléchir à la façon dont je pourrais relâcher l’étau financier dans lequel je suis pris, et que, sachant le coût de la scolarité dans les lycées privés, la venue inattendue de Moussa va resserrer d’un cran. A court terme, il va sans doute falloir que j’intensifie la chasse aux perdiem : en repérant les sessions de formation organisées par différents projets auxquelles je pourrais participer, car, avec un peu de chance, je recevrai, en plus de mon traitement, jusqu’à 50 000 FCFA (75 euros) par jour ; surtout, si je réussis à être dans les « petits papiers » du Ministre, en me faisant envoyer pour des missions à l’étranger, particulièrement en Europe ou en Amérique du Nord qui, elles, peuvent rapporter gros : pas moins de 200 euros par jour ; de quoi, une fois les frais de séjour payés, m’aider à me remettre financièrement à flot, pour un temps au moins. Et tant pis si, en termes professionnels, je n’attends pas grand-chose de ces formations et de ces missions, et si, durant ces absences, les dossiers au Ministère restent au point mort. Ai-je le choix ? Une solution plus prometteuse pourrait être de me faire détacher pour m’occuper d’un projet de développement financé par des bailleurs bilatéraux ou multilatéraux, comme ont réussi à le faire certains de mes collègues ; une pratique qui a certes pour effet de priver la fonction publique nationale de talents dont elle a un cruel besoin, mais peut-on reprocher à chacun de « voir midi à sa porte » ?

7 heures 40

J’arrive presque à l’heure au bureau ; il reste une vingtaine de minutes au chauffeur pour déposer Hannatou à l’école.

Je m’occupe d’organiser mon départ, demain, pour les cérémonies du troisième jour, à Dirama. Le problème n’est pas l’autorisation d’absence, que je vais solliciter et qui me sera accordée, mais bien, compte tenu de mes actuelles « difficultés de trésorerie », l’argent des « frais de voyage » : carburant de mon véhicule personnel et cadeaux que nous allons devoir faire une fois sur place. Une idée me vient.

- 8 heures

Je me dirige vers le bureau du Directeur de Ressources financières et matérielles (DRFM), au moment où, venant juste d’arriver au Ministère, il s’apprête à y pénétrer lui-même. Après les salutations d’usage, il m’invite à entrer avec lui. Je n’ai pas de difficulté à lui exposer mon problème car nous sommes de la même région et peut-être même des parents éloignés. Nous n’appartenons pas au même parti politique, mais nous sommes quand même tous les deux de la « majorité » : il est du parti au pouvoir et moi d’un parti allié.

Je prends mon courage à deux mains : est-il en mesure de m’avancer personnellement un peu d’argent, en attendant le virement des salaires, pour que je puisse participer aux cérémonies du troisième jour du décès d’un de mes beaux-pères.

Après m’avoir écouté et présenté ses condoléances, le DRFM me propose une autre solution : arranger une mission de cinq jours à Dirama, pour visiter des chantiers. En plus des perdiem, cela me permettrait de bénéficier du véhicule de service avec le chauffeur et des bons de carburant. Il conclut en me disant qu’il va régler l’affaire avec le Ministre, qui comprendra ce problème social auquel tout un chacun peut être confronté.

- 8 heures 30

Je retourne dans mon bureau pour finaliser le dossier de la « Route rurale de Derzin ». Il est assez complexe car il y a beaucoup d’enjeux. Je dois le soumettre au Ministre ce matin même, avant de partir.

- 9 heures 05

Le Ministre me fait appeler dans son bureau ; il me dit que le DRFM l’a informé du décès de mon « beau-père » ; il me présente ses condoléances. Il a ordonné de m’envoyer en mission à Dirama pour visiter les chantiers ; je pourrai profiter de l’occasion pour participer aux cérémonies. Je le remercie chaleureusement. Avant que je ne le quitte, il me demande d’achever le dossier « Route rurale de Derzin » et de voir tout cela avec le DRFM.

- 9 heures 30

Je jette un dernier coup d’œil sur le dossier ; il est fin prêt et je pense, en mon âme et conscience, que le choix fait entre les différents soumissionnaires est conforme à l’intérêt général ; les critères aussi bien techniques et que financiers sont respectés. Je m’apprête à le classer quand le DRFM tape discrètement à ma porte et entre sans attendre d’y être invité. Il me dit qu’il vient de la part du Ministre : ce dernier va m’envoyer cinq jours en mission à Dirama, avec voiture, bons de carburant, chauffeur et perdiem ; en retour, il souhaiterait que je l’aide sur le dossier « Route rurale de Derzin » car il est lui-même sous la pression du Premier Ministre et du parti ; il propose que le marché soit attribué à Elhadj Kassa, un des grands commerçants qui a financé la dernière campagne électorale du parti au pouvoir. Mon interlocuteur sort de mon bureau, sans attendre ma réponse, en me disant au revoir du bout des lèvres.

Je reprends le dossier « Route rurale de Derzin » ; je me rends compte que l’offre d’Elhadj Kassa est classée loin derrière celle qui a été sélectionnée et ne remplit même pas les normes techniques minimales exigées pour l’attribution du marché. Que faire ?

- 11 heures

Je clos le dossier « Route rurale de Derzin » et prie mon assistante de confirmer ma demande d’autorisation d’absence de trois jours, à partir de demain ; je dois quitter le bureau au plus tard à 12 heures 30.

Après réflexion, j’ai pris la décision de ne pas me compromettre pour une mission de cinq jours ; ma conscience ne me le permet pas. En outre, ce dossier est très délicat ; l’homme d’affaires dont la proposition est classée en première position a aussi ses entrées en politique et peut-être est-il même déjà informé.

- 13 heures

J’arrive à la maison ; mon épouse est absente. Elle est certainement partie au marché pour acheter les cadeaux à apporter à la famille. Je fais mes ablutions avant de partir à la mosquée.

- 13 heures 30

A mon retour, j’appelle Elhadj Sadou, un grand commerçant de notre parti pour lui exposer mon problème et lui demander une avance de 200 000 FCFA (300 euros), en attendant le virement des salaires. Il me propose 150 000 FCFA (230 euros) en arguant que les temps durs ; lui-même n’arrive plus à obtenir des marchés alors que son parti est dans la majorité.

J’appelle ensuite Mounkaila, mon neveu, l’apprenti mécanicien, pour lui annoncer qu’il va devoir nous conduire demain à Dirama pour trois jours, et l’inviter à avertir son patron, le chef de garage. Avant de rentrer à la maison, ce soir, il devra faire un crochet chez Elhadj Sadou pour prendre la « commission » que celui-ci me destine.

Je prends un moment pour faire une petite sieste et préparer ma valise pour le voyage de demain.

 - 20 heures

Mon épouse rentre à la maison ; elle me dit que les courses n’ont pas été faciles car ce que je lui ai donné n’a pas suffi pour se procurer tout ce qu’elle voulait. Elle a dû ajouter de son argent personnel pour acheter divers petits cadeaux à sa famille, à laquelle elle n’a pas rendu visite depuis longtemps. Après une longue discussion, j’accepte de lui remettre 50.000 FCFA de plus, prélevés sur les 150.000 FCFA que Mounkaila m’a apportés ce soir de la part d’Elhadj Sadou.

Mercredi 6 mars 2024

- 6 heures 30

Nous quittons tôt la Capitale pour profiter de la fraîcheur de la matinée ; il fait très chaud à partir de midi en cette période de l’année. J’ai demandé à Djibo, l’apprenti de taxi de brousse, de se joindre à nous ; on ne se sait jamais : mon véhicule aura bientôt dix-sept ans et je crains qu’il ne nous lâche en cours de route.

- 13 heures

Le voyage se passe sans encombre. La route a été colmatée par endroits, mais, globalement, elle est en bon état. Par prudence et pour éviter de faire chauffer le moteur, j’ai demandé à Mounkaila de rouler doucement.

Nous prenons une pause à Ninko, près de la frontière avec la République de Kossota, afin de déjeuner et prier, et nous en profitons pour faire le plein de carburant, qui est moins cher ici car provenant du pays voisin, producteur de pétrole.

- 18 heures

Nous atteignons à Dirama sans problème ; nous partons directement au domicile de mes beaux-parents, où mon épouse va passer la nuit. Après de brèves salutations, je continue chez Issa, un promotionnaire du lycée, qui va m’héberger avec le chauffeur et le mécanicien.

- 18 heures 30

J’arrive chez Issa, qui habite une grande villa ; il est originaire de Dirama, où vit sa seconde femme qu’il a épousée il y a juste une année. Issa est un haut fonctionnaire du Ministère du Plan ; il est présentement le coordonnateur d’un grand projet dans le domaine de l’agriculture. Le siège officiel du projet est dans la Capitale mais les activités se déroulent principalement dans la région de Dirama. De ce fait, Issa passe le plus clair de son temps ici, où il est donc actuellement en mission.

Issa m’installe confortablement dans la chambre d’amis et indique aux deux jeunes la chambre extérieure dans laquelle ils vont passer la nuit.

- 20 heures 30

L’épouse de Issa nous sert un repas copieux. Nous profitons de l’occasion pour échanger sur le contexte socio-économique et politique du pays, mais aussi sur nos situations personnelles. Je lui fais part des difficultés financières que je traverse malgré mon salaire, régulièrement payé mais jamais suffisant pour boucler les fins de mois. Je lui révèle que je me suis endetté auprès de la banque pour achever la seule maison que je possède ; j’ai emprunté également de petites sommes d’argent auprès de quelques commerçants et de collègues. Je lui raconte aussi les échanges avec le DFRM et le Ministre avant mon départ.

Issa me parle à son tour de sa situation ; ma foi, il ne se plaint pas ! En tant que coordonnateur de projet, sa rémunération est au moins égale à trois fois son salaire de la fonction publique. En plus, il est toujours en mission et chaque fois qu’il sort de la Capitale, il reçoit des indemnités conséquentes. Outre cette maison à Dirama, il en possède deux autres dans la Capitale, dont celle qu’occupent sa première épouse, ses enfants ainsi que plusieurs autres personnes de la grande famille et de son parti politique. Il a aussi acheté des parcelles dans plusieurs localités du pays ; il a enfin deux vergers dans les environs de la Capitale.

Concernant les questions d’éthique, il m’avoue que, dans les premiers temps, il réagissait comme moi, mais qu’il a fini par céder. Lors des dernières élections, en sa qualité de cadre du parti au pouvoir, il a reçu d’un grand commerçant de sa région une importante somme d’argent, pour faire campagne dans son village et alentour, et « acheter » des voix au bénéfice des candidats « officiels ». La nomination au poste de coordonnateur a été sa récompense. Mais il continue à « renvoyer l’ascenseur », en attribuant des marchés publics à certains commerçants et en recrutant des protégés des barons du parti. Il poursuit en me recommandant, si je veux m’en sortir, de rejoindre le parti au pouvoir. Il peut m’y aider, si je le souhaite. Sinon, même mon poste actuel de Directeur général pourrait être menacé. Il conclut en me dévoilant ce qui n’est plus en fait qu’un secret de polichinelle : mon parti sera bientôt « concassé », avec le ralliement de plusieurs de ses barons au parti au pouvoir !

Avant d’aller nous coucher, il me remet une enveloppe contenant sa participation aux cérémonies du troisième jour de mon « beau-père ».

Jeudi 7 mars 2024

- 8 heures 30

Issa m’accompagne au domicile de ma belle-famille où il rencontre mon épouse et lui présente ses condoléances. Il est venu dès le premier jour du décès et a même participé à l’enterrement au cimetière.

Mon épouse me prend à part pour me dire que le montant que nous avons prévu de donner à la belle famille est vraiment modique par rapport à ce que ses cousines ont offert ; pour éviter ridicule, je dois compléter et je sors discrètement trois billets de 10.000 FCFA de l’enveloppe qu’Issa m’a remise.

Il n’y a pas eu de cérémonie à proprement parler ; juste une lecture du Coran par plusieurs marabouts. A cette occasion, deux bœufs et plusieurs dizaines de pintades et de poulets ont été égorgés. La concession était pleine de monde durant toute la journée. Issa est resté avec moi jusqu’à la fin de la soirée. J’ai retrouvé plusieurs connaissances que j’avais perdues de vue et nous avons passé la journée à parler de tout et de rien, et principalement de politique.

Le soir, avant de partir, je salue la belle famille, car nous devons prendre la route demain matin très tôt, pour retourner à la maison.

Vendredi 8 mars 2024

- 6 heures 30

Je dis au revoir à Issa et à son épouse en les remerciant de leur hospitalité. Issa me rappelle les conclusions de notre conservation de la veille et me promet de s’occuper de ma « migration » vers le parti au pouvoir ; il m’assure que tout va bien aller et que l’incident avec mon Ministre n’aura pas de suite.

- 6 heures 50

Je passe au domicile de ma belle-famille pour prendre mon épouse, qui est déjà prête. A ses côtés, une de ses nièces qui souhaite rentrer avec nous. Elle a échoué à plusieurs reprises au baccalauréat, série A, et veut maintenant s’inscrire dans une école privée de la Capitale pour suivre une formation en santé de niveau moyen. Mon épouse n’a pas réussi à la dissuader ; son père, cousin de ma femme (et fils de l’oncle décédé), a « mis la pression » car nous n’avons aidé jusque-là aucun de ses enfants.

- 12 heures 30

Le voyage de retour se déroule sans anicroche ; à Ninko, nous faisons une pause pour le déjeuner, les prières et le plein de carburant.

- 17 heures 30

Je suis de retour à la maison ; la semaine tire à sa fin.

Je vais, pour une fois, profiter d’un samedi et d’un dimanche tranquilles, sans obligations sociales ; j’ai une excuse toute trouvée pour « déserter » les trois mariages auxquels je suis invité : je dirai que j’étais à Dirama….

Espérons que la semaine qui va commencer sera plus calme et me réservera moins de surprises !

Mai 2024.

Boubacar Baïdari[2]

Daniel Gouadain[3]

[1]- 1. Talata, la fille de la sœur (même père, même mère) de mon épouse, lycéenne, 19 ans ;

- 2. Hannatou, la fille de la cousine de mon épouse (fille du cousin du père de mon épouse), élève à l’école primaire, 10 ans ; mon épouse l’a « adoptée » à la suite du décès du mari de sa cousine du côté paternel ;

- 3. Biba, la fille de la sœur (même père) de mon épouse, étudiante, 23 ans ;

- 4. Djama, fille de la fille du cousin (fils du frère - même père - du père de mon épouse) de mon épouse, « fille de maison », qui aide dans les tâches ménagères, 17 ans ;

- 5. Mamane, le fils de ma sœur (même père, même mère), apprenti tailleur, 27 ans ;

- 6. Ali, le fils d’un militant de mon parti politique, lycéen, 18 ans ;

- 7. Souley le fils d’un cousin de mon épouse (fils du frère - même mère - du père de mon épouse), revendeur, 18 ans ;

- 8. Djibo, l’ami de Mamane (fils de ma sœur), convoyeur de taxi brousse, 27 ans ;

- 9. Abdou, le fils de ma sœur (même père), étudiant, 26 ans ;

- 10. Mounkaila, le fils de mon cousin (fils du frère - même père - de ma mère), 28 ans, apprenti mécanicien.

Boubacar Baïdari[1]
Daniel Gouadain[2]

[1] Professeur à l’Université Abdou Moumouni de Niamey (Niger).

[2] Professeur des universités (françaises) honoraire.

[2] Professeur à l’Université Abdou Moumouni de Niamey (Niger).

[3] Professeur des universités (françaises) honoraire.