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Mme Gogé Maimouna Gazibo, Magistrat de carrière, Coordonnatrice de l’ONG Chroniques juridiques : «Je ne suis pas contre le quota, mais je suis contre la compréhension et l’application qui en sont faites»

Robe évasée en pagne, foulard attaché à la Mariam Makeba, c’est dans un style typiquement ‘’femme africaine authentique’’ que Mme Gogé Maimouna Gazibo nous a reçu dans les locaux de son ONG ‘’Chroniques Juridiques’’ au quartier SONUCI Koira Kano Nord de Niamey. Au centre de notre entretien ‘’le quota’’, une loi qui a permis au Niger, de faire un pas dans la réduction des inégalités du genre et de faire la promotion de la femme. Un sujet qui, visiblement, égratigne déjà cette magistrate engagée, en particulier la manière d’appliquer la loi sur le quota, la perception de l’émancipation de la femme. Mme Gogé est connue, pour ne pas faire des détours lorsqu’il s’agit de dire certaines vérités.

Le politiquement correct, n’est pas son dada. Elle préfère la vérité. Quitte à provoquer certaines susceptibilités sur certains sujets. Il est bien évident qu’il y a des inégalités, de la violence basée sur le genre, de la rupture d’égalité entre hommes et femmes au Niger. «Le nier, c’est faire preuve de manque d’objectivité, d’honnêteté», reconnait cette défenseure des droits humains. Cependant, pour Mme Gogé, le combat pour l’émancipation des femmes dans nos sociétés ne tient pas compte de la réalité du terrain et de nos valeurs culturelles.

«La manière par laquelle nous abordons la problématique n’est pas bonne à mon avis. Nous prenons des solutions qui marchent ou qui ont marché ailleurs avec des réalités culturelles différentes, avec des mentalités différentes et nous voulons les transposer dans notre société. Ça ne marchera pas. La solution qui a marché dans une société ou dans un pays n’est pas nécessairement bonne pour un autre», soutient-elle.

Emancipation de la femme et modèle familial

Pour Mme Gogé Maimouna, il faut dissocier les luttes dans le cadre de la promotion de la femme et pour la préservation de notre modèle familial. Certes, reconnait cette défenseure des droits humains, il y a des valeurs universelles dans le cadre de la promotion des droits humains, mais chaque société a son originalité, sa culture, ses valeurs, ses mœurs qu’il faut également préserver. «Dans le combat de la promotion de la femme, je n’ai jamais vu un pays, une culture ou une civilisation qui progresse en se reniant. Or en voulant faire la promotion des femmes on a souvent tendance à piétiner notre culture, à agresser nos coutumes alors que les deux peuvent aller ensemble», estime-t-elle.

Et c’est à cette ‘’réflexion intelligente’’ que Mme Gogé invite les différents acteurs. Suivant, nos us et coutumes, la femme africaine a des valeurs et les rôles qu’elle joue. Pour elle, nous avons un modèle familial auquel nous ne sommes pas prêts à tourner «Si aujourd’hui, je choisis d’être une femme soumise à mon mari, indulgente vis-à-vis de ma belle-famille, c’est aussi un choix une liberté de femme pour laquelle, je ne devrais pas être stigmatisée et insultée», soutient-elle. Mme Gogé Maimouna Gazibo déplore le fait qu’une catégorie d’acteurs et de partenaires pense qu’une femme battante, émancipée doit nécessairement être en contradiction avec les valeurs de sa société, qu’elle se doit d’être violente, agressive, insolente et vulgaire reprochant aux hommes d’être des bourreaux et non des personnes qui éduquent, scolarisent, protègent et aiment nombre de femmes fortes et fières. «Certes nous enregistrons des violences mais dans les deux sens et notre société ne saurait se résumer au nombre hélas d’hommes lâches qui pensent que les coups peuvent éduquer et discipliner une femme. Oui, il y a dans notre société des hommes qui se comportent mal, des coutumes à revoir, des coutumes néfastes et des pratiques traditionnelles à abandonner, etc. Mais cela ne justifie pas qu’on remette absolument tout en cause dans notre façon de vivre pour ressembler aux communautés profondément différentes de nous et qui, ont bâti des règles universelles conformes à leur modèle sociétal», explique-t-elle. «Pour moi, ma culture, c’est d’abord mon identité et elle peut évoluer positivement mais pas dans une accumulation complète et progressive», précise-t-elle.

Sans complexe

Mme Gogé réclame sans complexe son attachement aux valeurs traditionnelles, qui fondent la place et la valeur de la femme. «Nous sommes des femmes africaines qui voulons continuer le modèle de la grand-mère tout en étant émancipées. Les sociétés promotrices de l’égalité homme-femme dans le couple ont supprimé la dote il y a longtemps. A l’inverse, chez nous, il appartient à l’homme de trimer pour économiser et prendre en charge les dépenses liées au mariage. Ensuite, il lui incombe la responsabilité de prendre entièrement en charge son épouse. C’est lui qui loge, nourrit, soigne et prend en charge la scolarité et les besoins des enfants», fait-elle observer. Pour Mme Gogé Maimouna Gazibo, revendiquer une égalité homme-femme dans un couple nigérien reviendrai naturellement à partager aussi équitablement les charges ou à imposer à la femme à y contribuer selon ses moyens. «Combien de femmes nigériennes sont prêtes à renoncer à la dot, à la valise et à tous les autres privilèges que nous confère notre statut de femmes grâce à la coutume et à la religion ?», s’interroge-t-elle.

Cet état de fait ne compromet en rien l’aspiration des femmes à jouir pleinement de leurs droits. «Moi, je me sens complètement l’égal de n’importe quel homme dehors, mais je me sens complémentaire à mon mari. Donc je ne veux pas apprendre à mes enfants à me battre contre cet homme parce que je veux être ‘’émancipée’’», soutient Mme Gogé qui invite les femmes nigériennes à faire la claire distinction entre le combat pour l’émancipation de la femme et le combat contre le modèle familial. «Certes les femmes doivent se battre pour défendre leurs droits, mais il nous faut aussi préserver notre culture. Et dans notre modèle familial, il y a un chef de famille qui est l’homme», explique-t-elle.

L’autre côté du quota

S’il est vrai que le quota a permis d’améliorer la représentativité des femmes dans les instances électives et de décision, il n’en demeure pas moins que cette disposition est loin d’avoir résolu les défis et les problèmes qui se posent aux femmes nigériennes dans leur grande majorité. Pour Mme Gogé, cette situation s’explique largement par l’idée qu’on se fait du quota. «Aujourd’hui dans l’imaginaire de tout le monde et surtout de la jeune génération de femmes, le quota est juste un concept qui permet de prendre beaucoup de femmes dans les instances représentatives et dans les hautes fonctions», explique-t-elle. Cette perception du quota fait abstraction de la compétence. Pour nombre d’acteurs, l’essentiel est qu’on ait une femme à un poste. Cela ne correspond pas à la vision que cette magistrate  a du quota.

«Lorsqu’on nomme une femme indépendamment de sa compétence juste pour satisfaire à un texte, c’est notre valeur intrinsèque qui est minimisée. Quand vous prenez quelqu’un pour juste boucher un trou, la personne a juste un rôle de figurant. Elle n’apportera aucun plus ; cela dessert la cause des femmes», estime Mme Gogé.

«Je ne suis pas une femme du quota, je suis une femme de mérite et je le revendique»

Pour une réelle promotion de la femme, Mme Gogé pense qu’une autre définition du quota s’impose. «Pour moi la meilleure définition du quota c’est qu’en cas de compétence égale, que la femme soit privilégiée puisqu’il y a suffisamment d’hommes au niveau des instances représentatives», dit-elle. Malheureusement, reconnaît-elle, elles ne sont pas en grand nombre sur le marché de l’emploi. Mme Gogé prend pour exemple, l’école de magistrature où on accède par concours. Ce qui fait que les femmes représentent moins de 10% des magistrats. «Au lieu de se battre pour arriver à compétence égale avec les hommes à arracher un poste, les filles pensent que par le quota qu’elles peuvent être promues sans étudier, sans compétences», regrette-t-elle.

Et c’est ce combat qui mérite d’être mené. «Ce sont des idées comme ça qu’il faut combattre et que je n’encourage pas personnellement», précise-t-elle. C’est pourquoi, chaque année, elle encourage, à travers ses initiatives, les filles à l’Université à concourir pour la magistrature, à mériter, à accéder aux mêmes diplômes que les garçons. «Je ne suis pas une femme du quota, mais une femme du mérite et je le revendique. Je suis d’accord qu’à compétence égale que la femme passe parce que la société a suffisamment donné pour les hommes», ajoute Mme Gogé.

Mais la défenseure des droits humains refuse, le rôle de figurante auquel une certaine perception du quota semble réduire la femme nigérienne. Le quota ne doit pas être qu’une simple affaire de chiffre. «Lorsque la femme est simple figurante, cela n’apporte rien aux causes que défendent les femmes. Il ne sert à rien d’avoir une assemblée 50% hommes et 50% femmes lorsqu’aucune femme ne se lève pour proposer un projet de loi en faveur de la femme. Quand on place une femme à un poste c’est aussi pour qu’elle parle au nom des femmes, qu’elles défendent la cause de la femme», explique Mme Gogé. Le plus important n’est pas le nombre. C’est pourquoi, la coordonnatrice de Chroniques juridiques propose qu’on revienne sur le concept du quota. «Il faut, certes des femmes, mais des femmes compétentes sinon le quota ne changera rien au quotidien des femmes nigériennes», ajoute-t-elle.

C’est pourquoi, au vue des multiples défis auxquels l’écrasante majorité des femmes nigériennes font face, en particulier dans les zones rurales, Mme Gogé s’interroge sur la manière dont nous abordons les questions d’égalité, d’équité, d’accès à l’éducation, d’autonomisation de la femme. 

Pour changer cette donne, «nous devons mettre en avant deux critères qui me paraissent objectifs en l’occurrence la compétence et le mérite. Il faut que les femmes aient envie de travailler, de mériter. Je ne voudrais pas être à un poste parce que je suis une femme, mais je veux être à un poste parce que j’ai le Curriculum Vitae (CV)  qu’il faut, parce que je le mérite», déclare sans ambages Mme Gogé. Et c’est seulement à cette condition que la jeune génération de militantes de l’émancipation de la femme honorera le combat mené par les pionnières (premières femmes africaines et nigériennes). «Ces pionnières ont dû sacrifier beaucoup pour imposer la thématique de la femme. Grâce à leur combat, aujourd’hui, une femme peut réussir sa vie professionnelle et sa vie conjugale, et être un modèle. Mais je ne veux pas que nous nous diluons dans l’universalité. Nous avons quelque chose à défendre, nous avons des valeurs à préserver», estime la Coordonnatrice de Clinique Juridique qui souligne la nécessité de changer de stratégie pour exiger la compétence et le mérite à côte du quota.

Bio express de Mme Gogé Maimouna Gazibo

Diplômée de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature, ENAM (Niamey-Niger), Mme Gogé Maimouna Gazibo a intégrée dans le corps de la Magistrature en Janvier 2005. Elle a exercé les fonctions de juge des mineurs, de juge d’instruction. Elle a servi dans l’administration pénitentiaire, à la direction des affaires pénales et des grâces. Elle fut également Directrice générale de l’Agence Nigérienne pour la Lutte contre la Traite des Personnes et le Trafic Illicite de Migrants (2013-2020). Magistrat de carrière Mme Gogé Maimouna capitalise 18 ans d’expérience dans le domaine judiciaire dont elle est une experte avérée dans la lutte contre la criminalité transnationale organisée, la traite des personnes, les trafics illicites des migrants, la cybercriminalité et les infractions connexes.

Ainsi, elle a été sollicitée, en sa qualité d’expert, et à la demande de certaines institutions internationales comme de l’Organisation des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), dans certains pays comme le Mali, le Bénin, ou la Côte d’Ivoire pour aider dans la réflexion en vue de la création d’un cadre juridique national et institutionnel de lutte contre la Traite des Personnes

Parallèlement, elle est coordonnatrice de ‘’Chroniques Juridiques’’, une ONG qui explique les textes juridiques en français facile et en langues locales pour les personnes en situation de vulnérabilité. Mme Gogé Maimouna Gazibo fait ainsi la promotion des droits humains. A ce titre, elle reçoit au quotidien des femmes qui ont un problème de divorce, de répudiation, de garde d’enfants pour les conseiller, les orienter, les référer et leur apporter une assistance juridique gratuite. Mais, cette assistance ne se limite pas exclusivement aux femmes. «Certes 90% des personnes que reçoit l’ONG sont des femmes, mais très souvent la clinique reçoit aussi des hommes victimes de violences conjugales, des hommes qui ne sont pas heureux avec leurs épouses, dans leurs couples», précise la Coordonnatrice de Chroniques Juridiques.

Naturellement, cette ‘’femme de droit’’ s’est vu décerner plusieurs distinctions aussi bien au Niger qu’à l’étranger. On peut citer entre autres, le Trophée, l’Influenceur de l’Année 2020 au Niger par Tarmamun Mu décerné le 21 Mai 2020, le Trophée, Femme d’Impact 2021 décerné à Cotonou par Lumière communication ; le Prix de la lutte contre la Traite des Personnes décerné en 2018 à Abuja par l’Union Européenne, la CEDEAO et le Centre International pour le Développement des Politiques Migratoires ; Femme de l’année 2018 au Niger de la Télévision Nationale ORTN ; Prix du meilleur Manageur de Service Public à vocation sociale de l’année 2018, décerné par Africa Média Communication à la tête de l’Agence Nationale de Lutte contre la Traite des Personnes 2013-2020, etc.

Par Siradji Sanda(onep)

Source : http://lesahel.org/