Skip to main content

Chroniques sahéliennes : LES NOUVEAUX HISTORIENS

Ayant beaucoup planché sur les leçons d’histoire de la 6ème à la classe terminale, à une époque où la qualité des enseignants et des enseignements ne faisait aucun doute, j’ai retenu de cette discipline sa capacité à éclairer le présent et baliser les chemins de l’avenir. J’aime aussi de l’histoire son caractère immuable : il n’y a pas plusieurs, mais une seule histoire de chaque peuple, de chaque pays, de chaque phénomène. Aussi, je suis tout à fait d’accord avec mon ami et confrère Alain Foka, qui lance sa grande émission Archives d’Afrique avec cet avertissement : «nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple, car un peuple sans histoire est un monde sans âme».

Je constate cependant que ces dernières années, on a un vrai problème avec l’histoire. Il m’est personnellement apparu à l’occasion des intronisations de chefs traditionnels. Lors de ces cérémonies pompeuses organisées pour marquer le début de règne de nos nouveaux sultans, chefs de canton et chefs de groupement, un notable de la cour est désigné pour présenter aux milliers d’invités l’historique de la chefferie. Et c’est là que vous êtes ébranlé dans votre conviction que l’histoire est immuable, unique. Il est en effet courant que dans cet exposé, vous entendiez une toute autre histoire. Pas celle qui est dans les livres, pas celle écrite par des historiens établis, bref pas celle que vous connaissiez et qui n’est pas toujours glorieuse. Mais une nouvelle histoire, une histoire réécrite, édulcorée, dans laquelle vous découvrez avec étonnement que la personne intronisée descend d’une très brave lignée guerrière, n’ayant jamais plié l’échine ni devant un colon ni devant un seigneur précolonial ; vous découvrez que l’entité territoriale qui vous reçoit était d’ailleurs un grand empire…dont les historiens n’ont malheureusement rien retenu ni des contours géographiques ni des combats contre l’envahisseur. Vous êtes surpris d’entendre que les vrais héros, ce ne sont pas ceux qui figurent dans vos livres, mais ceux qui ont été oubliés par les scribes.

A l’occasion des intronisations, chaque chefferie réécrit son histoire, en se donnant le bon rôle. Voilà une dérive que l’Administration et les historiens doivent arrêter, pour éviter aux jeunes générations la confusion entre ce qu’elles lisent et ce qu’elles entendent par-ci par-là. L’histoire est unique et non malléable. Elle doit le demeurer. Nul n’a le droit de se façonner une nouvelle histoire, et seuls les historiens professionnels ont le droit d’écrire l’histoire.

Quand Joseph Ki-Zerbo (1922-2006) décida de retourner aux racines de l’Afrique, d’en écrire l’Histoire, il était convaincu que «ce n’est pas avec les yeux qu’on tue le buffle». Il n’a pas écrit son ouvrage en un seul jour, il s’est moralement et matériellement armé et a mis plusieurs décennies à fouiller dans les traditions écrites et orales, à comparer, vanner, trier les résultats de recherche, avant de publier son indiscutable et magistrale Histoire de l’Afrique noire. Et voilà que, comme une insulte à nos braves historiens, nos sultanats, cantons et groupements regorgent brusquement d’historiens nouveaux, qui n’ont jamais ouvert un livre, qui ne sont munis d’aucun matériau objectif de recherche, et qu’on laisse réécrire l’histoire en un jour et pour une cérémonie d’un jour.

Par Idimama Koutoudi

Source : http://www.lesahel.org