Skip to main content

Enurésie ou pipi au lit chez l’adulte : Entre méconnaissance des causes et tabous sociaux, le désarroi des personnes atteintes

Un adulte qui fait pipi au lit fait face à toute sorte de médisance et parfois de moquerie. Dans la société nigérienne, profondément ancrée dans la tradition, cela constitue un sujet tabou. En effet, le phénomène du pipi au lit est un problème connu chez les enfants. Cependant, pour des raisons multiples, il arrive que ce mal touche également beaucoup d’adultes et dans ce cas, on parle d’énurésie. Ce handicap pourtant involontaire amène les personnes atteintes à se renfermer sur elles mêmes les empêchant parfois de consulter les spécialistes. Les causes de l’énurésie chez l’adulte sont multiples et varient selon les croyances.

Selon, Omar Abdoul Karim, tradipraticien plus connu sous le surnom de  ‘’Docta’ ’ce problème est dû à trois causes. La première cause est liée à ‘’un rituel’’ que les nouvelles mamans ont tendance à négliger. D’après Omar Abdoul Karim, un bébé doit, pendant la période de la quarantaine être bien massé avec de l’eau chaude. On doit explique le tradipraticien lui ‘’brûler le bas ventre ‘’ avec une eau bien chaude afin de permettre à ses organes d’être bien solides et de bien retenir l’urine. «Quand ce n’est pas bien fait, ça donne ce problème de pipi au lit à l’âge adulte», affirme sans ambages Docta.

L’autre cause serait liée au surnaturel ; une œuvre de Sheytan. «La personne touchée par ce mal a tendance à faire des rêves dans lesquels il se voit dans une toilette. C’est Sheytan qui fait cela», explique avec grande conviction le tradipraticien. Enfin la troisième cause du problème de pipi au lit chez l’adulte serait d’après le tradipraticien dû à un mal qu’on appelle en Zarma ‘’yeni ‘’ ou ‘’sanhi’ ’en Haoussa. Il s’agit d’une infection, a-t-il argué, qui touche l’appareil urinaire.

Pour traiter ce problème, Omar Abdoul Karim a fait savoir qu’il y a des écorces spéciales qui permettent d’en finir définitivement avec ce mal. «Il y a des écorces spéciales que nous donnons aux personnes qui en souffrent comme ce qu’on appelle Gounbi-bi, une plante aux feuillages fins que nous prenons en brousse. C’est une plante très efficace et adaptée pour traiter tout mal aussi bien naturel que surnaturel» ajoute-t-il.  Outre cette écorce, le tradipraticien a évoqué une autre, ‘’Gonga-Banda’’. Cependant, Docta devait par la suite préciser que lorsque le problème de pipi au lit est dû à ce qu’on appelle «yeni», c’est l’écorce qu’on appelle ‘’’Komni-tanda kadji’’ avec une autre ‘’garbay-banda ou garbay-kadji ‘’qu’on fait bouillir ou utiliser comme infusion pour donner à la personne touchée par la maladie.

Que dit la médecine moderne ?

D’après Dr. Amadou Saminou, Chirurgien Urologue à la clinique Magori, l’énurésie ou le phénomène de pipi au lit chez l’adulte est un symptôme qui n’a rien à voir avec le surnaturel.

En effet a-t-il expliqué, dans le langage scientifique on parle d’énurésie lorsque ça survient après l’âge de 5 ans. «On pense qu’à partir de cet âge-là, l’enfant ou la personne est capable de contrôler son secteur vésical. Si après cet âge, la personne n’arrive pas à se retenir et continue de faire pipi au lit, on est en face d’un cas d’énurésie. L’énurésie n’est pas une maladie mais un symptôme. C’est-à-dire que c’est le signe d’une maladie», a nuancé l’urologue. Dr. Saminou a ajouté que l’énurésie ‘’n’est pas un drame’’. Il suffit d’en connaitre la cause pour la soigner. «Certes le traitement est long mais c’est efficace», a affirmé le chirurgien urologue avec un ton rassurant.

Les causes de ce symptôme peuvent être, selon le chirurgien urologue, fonctionnelles, organiques ou liées à une mauvaise hygiène de vie ou un trouble psychologique. «Elles sont fonctionnelles, lorsqu’il s’agit d’un défaut de fabrication de l’hormone antidiurétique qu’on appelle ADH. Elles sont organiques quand, cela est causé par une infection urinaire. Toutefois il faut préciser que la cause chez l’adulte qui est très importante c’est la mauvaise hygiène de vie. Par exemple, ceux qui boivent beaucoup d’alcool ou fume beaucoup, peuvent avoir l’énurésie», a argué le spécialiste. D’après Dr. Saminou, les personnes alcooliques ou droguées ont tendance à avoir des illusions. Il leur arrive de se croire dans une toilette en train d’uriner alors qu’en réalité ce n’est pas le cas. La cigarette est un facteur aggravant de l’énurésie selon ce spécialiste, elle agit au niveau du grisol, le muscle de la vessie et ça entraine des contractions.

La dernière cause de l’énurésie chez l’adulte relevé par le chirurgien urologue est celle psychologique notamment les événements malheureux tels que le décès, les séparations, un traumatisme, etc.

Un mal silencieux mais pernicieux

Dr. Amadou Saminou a, de mars 2021 à aujourd’hui reçu en consultation environ 10 patients dont plus de 80% sont des femmes adultes. Les patients, a confié l’urologue viennent généralement en consultation sous couvert des agents de santé. «Soit quelqu’un dans leur quartier est un infirmier, elle ou il va lui en parler et lui aussi vient à son tour dire qu’il a une nièce, une voisine qui a tel problème. Jamais, celui qui souffre d’énurésie ne vient en consultation comme le fait quelqu’un qui souffre d’un palu», a confié Dr. Saminou.

On retient que les femmes qui viennent en consultations chez l’urologue sont des ‘’femmes désespérées’’ qui n’arrivent pas à se marier à cause de ce mal dont elles souffrent silencieusement et des femmes divorcées ou en séparation avec leurs conjoints à cause de ce problème. «Lors des consultations je fais face à des femmes stressées, on sent que c’est un problème qui les dérange beaucoup et entrave leur épanouissement», a indiqué l’urologue.

Pourtant, le traitement est possible et efficace

Pour la prise en charge, le chirurgien urologue conseille dans un premier temps aux patients, ce qu’on appelle les mesures hygiéno-diététique. Il s’agit d’un certain nombre de comportements à adopter qui sont conseillés au patient notamment : la diminution de la consommation d’eau ou de boisson à partir de 18h (bon en fonction de son habitude). Et si la personne prend de l’alcool ou fume, elle doit arrêter. Ensuite Dr. Saminou prescrit à ces patients la desmopressine, une molécule qui joue le rôle de l’hormone antidiurétique qui concentre l’urine et permet aux reins de ne pas secréter continuellement les urines mais de les concentrer pour n’en secréter qu’une petite partie. A cela s’ajoute le système du réveil qui consiste à programmer l’alarme pour chaque 3 heures même si l’envie d’uriner ne se sent pas. Ce traitement selon le spécialiste a été efficace pour tous les patients sauf une qui jusqu’à présent n’arrive pas à avoir satisfaction.

Notons qu’en amont, Dr. Saminou a précisé qu’un petit bilan est fait pour voir si le patient ne souffre pas d’une infection urinaire. «On lui pose aussi un certain nombre de questions pour savoir si il boit beaucoup d’eau dans la soirée et généralement ils répondent oui. Alors on leur dit de ne prendre qu’une petite quantité juste ce qu’il faut» a-t-il ajouté. «Après ces facteurs là on associe un traitement qui est administré en fonction de la cause», a expliqué l’urologue.

Cependant précise Dr. Saminou, la prise en charge psychologique est très importante dans le traitement. D’après le spécialiste, il faut essayer de faire comprendre au patient que ce n’est pas la fin du monde. Il y a toujours une solution possible. «Ce n’est pas un drame en tant que tel ; il faut  consulter un spécialiste. La prise en charge peut être longue, mais elle est efficace», assure-t-il.

L’énurésie est un mal qui place les personnes adultes atteintes en situation inconfortable vis-à-vis de leurs conjoints et de leur entourage. Sujet tabou, ce mal touche à leur dignité. Il peut avoir une répercussion sur l’estime de soi. La méconnaissance des causes scientifiques de ce mal expose les personnes atteintes à toutes sortes de rituels supposés résoudre ce problème. Malgré les progrès de la médecine et la guérison qu’elle apporte, l’énurésie demeure encore un sujet tabou dans la société nigérienne.

Malgré qu’elles soient libérées de ce mal (guéries), les personnes ressources que nous avons contactées pour témoigner ont, ont toujours du mal à en parler. «C’était vraiment difficile et surtout très épuisant mentalement. A la limite ça m’a traumatisé au point où j’avais même peur de dormir les nuits. Il n’y’avait que ma mère qui le savait et elle était très compréhensive. Elle me réconfortait. Mais avec le traitement que m’a prescrit le médecin, je ne peux que dire Alhamdulillah», confie Melle K. B, une patiente qui a préféré gardé l’anonymat.

Une sensibilisation et une information sur les symptômes est d’une nécessité absolue pour aider ces personnes à s’ouvrir et à se libérer de ce mal insidieux qui les ronge et qui affecte leur amour propre.

 Rahila Tagou (onep)