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A la découverte de Garié : Vie et préoccupations des habitants d’une île

Situé sur une île du fleuve Niger, Garié est un village du canton de Sinder, région de Tillabéri. Ici, le secret entre le fleuve et le village demeure toujours. En cette période de crue, la cote est à plus de 580, mais les autochtones ne s’en inquiètent guère. La fraicheur, due à la température très basse ne dérange personne également. Les eaux montent, se fraient un chemin et pénètrent jusque dans les habitations, où la vie semble suivre son cours normal, en cette journée du mois de décembre 2022.

«Nous sommes habitués. Nous passons beaucoup de temps dans le fleuve et nous sommes bien dedans. L’essentiel de nos activités se déroulent entre les coins du fleuve», dit avec joie Haydo Ousseini, un jeune homme de 19 ans du village de Garié, qui jouait avec ses amis au «hi-horo», un jeu de pirogue traditionnel, sportif et culturel, pratiqué par des initiés.

Garié, a été fondé en 1900. Les habitants de Garié sont essentiellement composés des ‘’Wogos’’, un groupe ethnique issu des Sonray, les descendants de Saka Mamar. Les principales activités de cette communauté sont l’agriculture, la culture de contre saison, l’élevage, etc. La population de Garié accorde également de l’importance à la recherche du savoir religieux, coranique. Du point de vue culturel, les ‘’Wogo’’ partagent beaucoup de valeurs socioculturelles avec le peuple Sonray.

De sa création à ce jour, le village a connu 7 chefs. Il s’agit successivement des honorables, Siè Morou, Alhadre Bakar, Issa Zounnou, Barey Alfa, Zibo Siè, Moussa Zibo et Boubacar Moussa. Aujourd’hui, ce village compte près de cinq mille âmes. 

L’actuel chef du village de Garié, le nommé Boubacar Moussa est un érudit. Placé à la tête de son village en 2013, Boubacar Moussa fait partie de ceux qui ont côtoyé les ancêtres. Ce qui lui a permis, au delà de son statut de chef, d’être une bibliothèque pour sa communauté, un véritable gardien de l’histoire de sa localité et de ses origines. «J’ai vécu avec nos grands-parents qui avaient une parfaite maitrise de notre canton et son histoire. J’ai eu la chance d’être en contact permanent avec les notables de notre chefferie. Je détiens également un grand bouquin dont le manuscrit remonte à plusieurs décennies. Ce bouquin écrit en arabe par nos ancêtres nous a permis de garder l’un de nos héritages le plus important, notamment l’histoire. Toute l’histoire de notre zone se trouve dans ce bouquin avec des précisions par rapport aux événements et leurs dates», explique Boubacar Moussa.

Selon Boubacar Moussa, son village a été fondé en 1900, mais il a fallu 1916 pour procéder à l’installation effective de la chefferie avec le 1er chef du village l’honorable Siè Morou. Le premier Chef du village de Garié est l’un des fidèles conseillers du Chef de Canton de Sinder de l’époque, l’honorable Sambayzé Bouwli. Chaque fois qu’une situation litigieuse se présente au niveau du canton l’honneur est fait à Siè Morou de donner son avis ou de trancher. La relation entre le chef de canton et son fidèle conseiller est tellement forte au point où Siè Morou est partagé entre son village Garié et le chef-lieu de Canton.

Dans leurs traditions, les ancêtres des habitants de Garié prévoient les événements, même les plus imprévisibles. Quand l’honorable Sambayzé Bouwli sentit ses forces épuisées, il a fait une confession par rapport à sa succession. Il porta alors son choix sur le chef du village de Garié pour lui succéder. Après le décès de l’honorable Sambayzé Bouwli en 1924, Siè Morou lui succéda conforment à la confession de son mentor. Ainsi, Siè Morou s’installa et laissa la gestion de son village, Garié, dans les mains de l’honorable Alhadre Bakar. Ce dernier est resté chef de village seulement un an car la mort l’arracha à l’affection des siens. A l’époque, les successions d’un chef à un autre se faisaient sans grand bruit. En effet, Siè Morou désigna un certain Issa Zounnou pour succéder à Alhadre Bakar.

Dans les années 50, les descendants de Siè Morou ont quitté Sinder pour revenir s’installer à Garié après avoir perdu la chefferie suite au décès de leur père. «Quand les descendants de Siè Morou sont revenus à Garié, ils ont travaillé pour renforcer et agrandir leur chefferie. «A l’époque c’était Barey Alfa le chef du village de Garié. C’était la période où les blancs se sont installés sur notre territoire. Les blancs ne s’entendaient pas du tout avec le chef d’antan et ils décidèrent alors de le destituer. Les défenseurs et les ayants droit de la localité ont tout fait pour que les blancs renoncent à cette décision, mais en vain. Le garde de cercle avait décidé de ne plus travailler avec le Chef du village de Garié. Quelques années plus tard, les blancs ont fini par destituer le chef du village pour le faire remplacer par l’honorable Zibo Siè, le fils de l’ancien Chef de canton de Sinder, Siè Morou. Zibo a fait son temps, et mon père lui a succédé. Après le décès de mon père, Moussa Zibo, je suis le 7ème Chef de Garié», relate l’actuel Chef du village, l’honorable Boubacar Moussa.

«Ici c’est Garié, le foyer, le terminus de la fraicheur»

Plusieurs localités de la région de Tillabéri portent des noms proches de Garié, dont Gariel, Gari, etc. Selon M. Annafi, un ancien et détenteur de l’histoire de Garié, son village tire son nom du fait de la baisse de la température pendant la saison froide. Comme la zone est toujours submergée par les eaux, il est tout à fait naturel d’enregistrer une extrême fraicheur. Le village est considéré comme du ‘’gari’’, la glace en langue locale. «Il y a beaucoup de gens qui confondent Garié à Gariel. Il y a un autre village du nom de Gari toujours dans le canton de Sinder. Mais ici c’est Garié, le terminus de la fraicheur. A tout moment il fait extrêmement frais. Tu ne peux pas vivre ici sans être dérangé par la fraicheur. Nos activités principales sont la production du riz, du sorgho et les produits saisonniers de culture de contre saison. Nous pratiquons la pêche mais pas de manière professionnelle, car nous ne vivons pas de ce métier. Si tu vois quelqu’un avec un filet de pêche, c’est juste pour chercher un peu de poisson pour mettre dans la sauce», confie M. Annafi.

Le Centre de santé et le Collège : une nécessité urgente à Garié!

Sur une île, les pirogues sont indispensables. Garié ne fait pas exception à cette règle. Les principaux moyens de déplacement dans ce village sont les pirogues et les charrettes. Ces moyens de déplacement sont d’une grande utilité dans la vie de tous les jours, quand on sait que le village manque quasiment de certaines infrastructures sociales de base, notamment un centre de santé, des ouvrages hydrauliques de fourniture en eau potable, un établissement d’enseignement secondaire, etc.

Le village est électrifié depuis des années, et dispose de deux écoles primaires, une école classique et franco-arabe, ce qui est salué par tous. Cependant le manque de collège d’enseignement général et de centre de santé sont les sources de préoccupation pour les populations surtout quand on voit les conditions dans lesquelles les scolaires et les malades sont acheminés quotidiennement sur la rive gauche, à Tillabéri ville. Pour les habitants de Garié leur village mérite un collège et un Centre de santé. Ils en ont besoin en urgence. «On doit avoir un CEG dans ce village. L’école primaire de notre village existe bien avant 1974. Notre village est assez grand et nous avons suffisamment d’enfants au secondaire permettant de créer un CEG. Il y a également les enfants des villages qui sont plus proches. Nous avons des familles d’accueil pour des scolaires qui traversent chaque jour ce fleuve pour venir à l’école avec énormément de risque. Ça c’est un véritable problème. Si nous avons notre collège, tous les enfants issus des îles, comme Finari, Neyni, Yalwani, etc. resteront ici pour étudier. Nous sollicitons vivement et en urgence la création d’un collège et d’un centre de santé dans notre village. Nous avons eu la promesse pour la construction d’un CSI, mais on attend toujours. Nous espérons que cette promesse est sur la bonne voie», lance Hamani Hamadou, Imam du village.

Les allers-retours pour le CEG, un calvaire pour les élèves et leurs parents

Pour les parents des élèves du 1er cycle du secondaire, la création d’un établissement d’enseignement secondaire à Garié est un vieux souhait toujours exprimé par les populations. L’unique solution pour aller à l’école c’est la pirogue. Selon Hadiza Soumaila, la création d’un CEG permettra de maintenir les enfants à l’école et de réduire les risques, les souffrances des élèves et le taux d’échec scolaire. «Les enfants viennent au même moment au bord du fleuve. Nous demandons toujours aux autres de les prioriser. J’ai peur quand je vois ces enfants entassés dans les pirogues», s’indigne Hadiza Soumaila qui a deux filles au collège.

Ce jeudi 15 décembre, il est 14h 20mn. Mariama Souley, une jeune demoiselle en classe de 3ème et ses camarades viennent de traverser le fleuve de retour de leurs écoles, situées à Tillabéri ville. Elle a l’air pressé. Elle doit rentrer rapidement, car elle a un cours de rattrapage dans l’après midi. «Notre grand souci c’est le fait de traverser chaque fois le fleuve pour aller à l’école», confie la jeune élève.

Si pour certains la traversée du fleuve est un acte banal et simple de la vie quotidienne, pour d’autres cela implique beaucoup de danger. En matière de pirogue, le risque zéro n’existe pas, surtout en cette période de crue où le fleuve déborde. «Nous sommes exposés à des grands risques. Comme les élèves ne paient pas sur le coup, certains piroguiers font des surcharges pour ne pas faire plusieurs tours. Si on est nombreux dans la pirogue tout peut arriver. On ne le souhaite pas mais le danger peut vraiment arriver. Pendant la décrue c’est l’hippopotame qui nous agace. Parfois à cause de l’hippopotame, on est obligé de prendre un long trajet afin de contourner cet animal et cela a un impact négatif sur le trafic», témoigne Abdoul-Wahidou Abdoulaye, élève en classe de 1ère A au CES Tillabéri.

Le prix de la navette est de 100F CFA, une autre équation à résoudre par les parents. En effet, pour faciliter cette navette aux élèves une solidarité mécanique s’est créée. Les élèves ne paient pas les frais de pirogue dans l’immédiat. Le Chef de village, les parents d’élèves, les responsables de classes et les piroguiers se sont entendus sur un abonnement mensuel de 500f CFA par élève quel qu’en soit le nombre de tours effectué. A la fin de chaque mois, le chef du village récupère les frais d’abonnement pour remettre aux piroguiers. 

Les usagers des pirogues ont mis en place une règle : priorité absolue aux élèves. Peu importe le nombre de clients, les élèves sont toujours prioritaires, surtout les jeunes filles. «Nous savons que c’est difficile pour un parent qui a par exemple 3 enfants à l’école d’assurer chaque matin les frais de pirogue, de récréation, etc. C’est pourquoi nous avons décidé de maintenir un prix mensuel de 500F par élève. Et chaque fin du mois, ce sont les élèves eux-mêmes qui collectent l’argent pour le donner au Chef de village qui paye à son tour les piroguiers. On partage cette somme à part égale entre piroguiers», confie M. Drissa Sayni, un piroguier.

En attendant une issue heureuse pour leurs préoccupations, les habitants de Garié plaident urgemment pour la création d’un collège et la construction d’un centre de santé pour l’amélioration des conditions de vie des populations locales.

Par Abdoul-Aziz Ibrahim, ONEP Tillabéri
Source : http://lesahel.org/