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Agadez : Autopsie d’un mal très profond, légendaire

Quand on parle d’Agadez, beaucoup voit une ville minée par l’insécurité où les citoyens tombent sous l’effet des crimes les plus rocambolesques ! Eh oui ! Les crimes à Agadez sont une réalité et il ne se passe pas 48 heures sans qu’un odieux meurtre ne soit enregistré. Plusieurs raisons d’une contingence accrue peuvent expliquer cet état de fait. Mais attention à ne pas se limiter à l’arbre qui cache la forêt car se serait rater les bons éléments d’analyse.

A priori, on peut dire que la ville d’Agadez paie le prix du développement. Comme à Niamey, Maradi, Zinder et les autres grandes villes du pays, Agadez est aussi un centre urbain en plein épanouissement ? Agadez grandit, s’élargit, se peuple de plus en plus et finit par devenir un grand centre très attractif. Attractif non pas seulement par son charme et la richesse de ses infrastructures, mais par les activités en tout genre qui s’y mènent. Pôle économique au voisinage des grandes entreprises qui extraient et traitent plusieurs ressources minières du pays, dont l’Uranium d’Arlit. Voilà un élément très déterminant dans l’explication des contingences qui minent la vie des populations d’Agadez.

Néanmoins, penchons-nous un tant soit peu sur les crimes générés par l’évolution, le développement de la ville ; car, tout développement a un prix. En effet dans une ville dont la population évolue vers le million d’habitants, une ville au voisinage de quatre poudrières (L’Algérie, La Libye, Le Mali et le Tchad), une ville qui a échappé de justesse au sort de Gao envahie et prise en otage par les groupes armés déstructurés et éparpillés suite à l’assassinat de Kadhafi…quoi de plus normal que des crimes de développement ne se multiplient ? Les vols, les règlements de compte, les abus de confiance, la jalousie, le proxénétisme, l’avarice, l’égoïsme, la cupidité… sont autant de tares que nous avions héritées des pratiques mafieuses générées par l’évolution et le développement. Franchement on ne saurait faire des omelettes sans casser des oeufs. Ce climat d’insécurité règne aujourd’hui dans toutes nos grandes villes surpeuplées où des chômeurs se débrouillent comme ils peuvent dans un environnement sulfureux. Soit.

Malgré tout ce que nous avions précités comme éléments de causes, il faut évoquer la responsabilité de l’Etat par l’intermédiaire de l’autorité décentralisée. En effet, l’une des causes de l’insécurité grandissante à Agadez est la prolifération de sites aurifères artisanaux. La découverte et la mise en exploitation subite de nombreux sites aurifères a transformé Agadez et ses environs en des endroits très dangereux où la gâchette est très facile. L’un des sites le plus célèbres est celui d’Ibarkaten qui abrite des centaines d’exploitants qui ne cessent de se duper à tour de rôle. En effet aujourd’hui il est très difficile de sortir l’or d’Ibarkaten pour le mener jusqu’à bon port sans que l’on ne soit attaqué par des malfrats. Qui sont-ils ? Ce sont pour la plupart les exploitants eux-mêmes qui entretiennent des groupes armés. Ils se nuisent, se font mal dans un environnement de terreur, de menaces en tout genre. Même si l’or arrive à arriver à bon port dans la capitale, il en demeure qu’il est loin d’être sécurisé. On a encore en mémoire plusieurs vols commis sur des bus en déplacement, certains à la sortie même d’Agadez. Le plus gros acte a été enregistré sur un bus de la SONITRAV où une quantité d’or d’une valeur de 200 millions a été subtilisé par des bandits armés juste à 15 km de la sortie de la ville.

Au vu de nombreux dangers consécutifs à l’exploitation des sites aurifères, le gouvernement et les autorités régionales ont pris des mesures conservatoires dont la fermeture de plusieurs exploitations (Trous) clandestins. Cette mesure a contribué à diminuer les accidents sur les sites ; cependant, elle a produit un effet boomerang incontrôlable. En effet, les jeunes exploitants habitués à manipuler l’argent dans des cérémonies fastidieuses se sont retrouvés pour la plupart sans ressources. Ils sont des jeunes arrivés très vite sur le tas, n’ayant aucune expérience réelle de gestion des affaires. L’argent qu’ils gagnent est gaspillé lors des cérémonies tellement que seuls les Touaregs ont le secret. Il n’est pas rare de voir un jeune se lever et verser tout d’un coup plus d’un million de francs sur un guitariste ou une jeune danseuse de Tendé. Dans la ville, ces jeunes aiment se pavaner dans des parures richissimes et des véhicules Toyota dernier cri de plus de 50 millions. Tout autour d’eux, ces nouveaux parvenus ont mis en place des groupes mafieux versés dans le proxénétisme et le trafic de stupéfiants. Car, de l’or au trafic de stupéfiants il n’y a qu’un pas à franchir ; et ces jeunes ont réussi à le franchir. Pour dire que ce sont toutes ces ramifications qui se retrouvent subitement mises en branle par la décision de chasser plusieurs exploitants des sites aurifères. Que peuvent faire des individus habitués à jouer avec de l’argent ? A leur nombre il faut aussi ajouter tous ceux venus de la Libye qui ont perdu aussi leurs affaires. Voilà comment la ville d’Agadez a fini par se retrouver avec une proportion élevée de jeunes privés de leurs sources de revenus. Faute d’autres choses à faire qui procurent de l’argent aussi facilement que l’or et le trafic, plusieurs se sont alors reconvertis dans le banditisme armé. C’est ce qui explique en grande partie la prolifération des attaques, des vols et des crimes dans la ville d’Agadez.

Somme toute, ne faisons pas ce que nous avons l’habitude de faire : chercher le problème ailleurs alors que nous l’avons sous les bras. Certains spécialistes parlent même d’un plan conçu à volonté pour créer une autre zone d’insécurité. Nous ne savons pas là où ils sont allés chercher de telles chimères. En réalité, Agadez ne souffre que d’une insécurité résiduelle exacerbée par l’arrêt de certaines activités. La fermeture des sites aurifères et la maîtrise de plus en plus efficace des circuits de trafic des stupéfiants ont fait perdre leurs emplois à plusieurs jeunes. Trouvons juste le moyen de relever ces jeunes, de leur proposer autres choses décentes à faire et le problème est résolu. Ne commettons pas les mêmes erreurs qui ont engendré la rébellion : démotiver les gens de leurs activités jugées indécentes et leur braquer les yeux, sans aucun accompagnement.

Amadou Madougou