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Tribune : Et si vous faisiez le pari de nous écouter

A la suite du sommet extraordinaire de ce dimanche 10 décembre 2023, la CEDEAO réitère la demande de libération de Bazoum et sa famille, et l’adoption d’une feuille de route pour une transition de courte durée pour revenir à l’ordre constitutionnel au Niger. Et de donner au CNSP un délai de deux semaines pour engager ses directives, faute de quoi, la CEDEAO menace de maintenir les sanctions actuelles, voire de recourir à la force. Aujourd’hui, le communiqué final a innové en rajoutant la possibilité de sanctions ciblées contre les membres du CNSP.

Hormis nos tristement célèbres apatrides qui courent de sommets en sommets depuis le 26 juillet 2023, et que nous avons encore vus aujourd’hui s’afficher sans vergogne avec la pancarte du Niger devant eux, je disais donc qu’hormis ces apatrides, il se trouve peut-être des Nigériens pour se réjouir du maintien des sanctions. Si ces Nigériens existent, je n’ai pas eu l’opportunité de tomber sur leurs publications ou leurs manifestations de joie… Par contre, toute l’après-midi, sur les réseaux sociaux, cela a été un florilège de réactions indignées, mêlées de colère, avec un sentiment indicible de révolte. Pour ma part, je trouve insupportables la tendance à poser des ultimatums et la menace de recourir à la force. Je perçois cela comme un profond irrespect ajouté à beaucoup de dédain et de mépris vis-à-vis du peuple Nigérien.

En gros, la position martiale des faucons de la CEDEAO peut être transcrite ainsi : vous faites ce qu’on vous dit ou nous déversons notre colère sur vous, quitte à liquider quelques nigériens pour vous faire jouir du bien-être lié à l’ordre constitutionnel ! En lieu et place d’une intégration économique et sociale, la CEDEAO nous brandit les foudres de la guerre pour notre bonheur ! Je continue à penser qu’il s’agit d’un déni surréaliste de notre droit à la vie, à la libre orientation de nos projets politiques, à notre auto-détermination pour ce qui est bon pour nous ou non. Nous n’avons vraiment pas besoin que des amis extérieurs, quels qu’ils soient, viennent nous dicter ce qui est bon pour nous ou non. Nos frères africains de la CEDEAO se seraient-ils découverts des vertus impérialistes ou néo-colonialistes en cette fin d’année 2023 ?

Dans le fonds, je ne sais pas s’il faut déplorer l’aveuglement ou la mauvaise foi de nos distingués dirigeants de la CEDEAO : comment peuvent-ils ne pas voir, entendre et comprendre que le peuple nigérien est majoritairement acquis au bouleversement politique en cours ? Comment peuvent-ils ignorer l’immense cri du cœur de millions de Nigériens qui se sont sentis délivrés du joug d’un pouvoir faussement démocratique, peu soucieux des dispositions constitutionnelles, connu pour son avidité sans limite à puiser dans les deniers publics ou privatiser les ressources communes, qui a mis la justice sous coupe réglée, et réduit au silence ses principaux adversaires au sein de la classe politique, de la société civile et des journalistes ? Si vous nous écoutiez davantage, vous comprendriez que pendant treize ans, les Nigériens ont subi avec une certaine résignation (parfois coupable?) la négation de l’ordre constitutionnel, la corruption de la démocratie, le dévoiement des institutions publiques pour le bon vouloir des princes qui nous dirigeaient. Le Coup d’Etat du 26 juillet 2023 a interrompu cette gestion autocratique hypocritement estampillée du label démocratique par nos partenaires extérieurs. Les Nigériens vivent avec un grand soulagement la fin de ce système qu’ils ont tellement honni.

Si vous nous écoutiez, vous comprendriez la soif d’émancipation idéologique, mentale, économique politique et militaire du peuple nigérien, et de nos frères sahéliens du Burkina Faso et du Mali. Emancipation vis-à-vis de tout ce qui représente la main mise et la domination de l’ancien colon sur nos pays. Malgré les vicissitudes omniprésentes, les défis multiples et complexes, l’incertitude du chemin à parcourir, la soif d’auto-détermination et de réelle indépendance est indiscutable. C’est la voie que nous voulons suivre, en toute responsabilité, conscients des obstacles, mais aussi portés par une vision tellement prometteuse de prendre en charge nos destins collectifs, décomplexées de toute aliénation à des puissances extérieures.

Augustes dirigeants de la CEDEAO, si vous nous écoutiez et preniez le temps du dialogue avec nous, vous ne penseriez jamais à qualifier l’Alliance des Etats du Sahel de structure « fantôme ». Vous êtes sans doute portés à estimer que nos trois Etats figurant parmi les plus pauvres du monde, ne pourraient pas s’émanciper de la tutelle protectrice des prétendus géants ouest-africains. De la même façon sûrement que la CEDEAO est sous influence des puissances extérieures qui contribuent à son financement, et donc en mesure d’imposer quelques orientations… Si vous nous entendiez, vous comprendriez que les militaires qui nous dirigent font partie des forces vives de nos pays, que nous les percevons comme des boucliers à la gloutonnerie des hommes politiques, auxquels tout le monde accorde (particulièrement nos amis extérieurs) un blanc-seing parce qu’ils sont des civils ! Lister la liste des forfaitures commises par ces dirigeants civils contre leurs propres peuples, prendrait des pages et des pages, je ne m’y attarderai donc pas. Mais je dirais simplement que les transitions auxquelles nous aspirons au Burkina Faso, au Mali et au Niger, devront (i) aboutir à des systèmes politiques respectueux de la justice sociale et des droits humains, et des mécanismes efficaces de séparation des pouvoirs et de sanctions des dérives autoritaires, (ii) autoriser l’émergence de forces armées suffisamment outillées pour protéger l’intégrité territoriale de nos pays, (iii) créer les conditions pour l’émergence de citoyens dotés du pouvoir adéquat pour être parties prenantes des décisions publiques.

Si vous faisiez le pari de nous écouter, vous comprendriez que nous ne voulons pas de transitions courtes qui reproduiront les travers d’hier, mais plutôt des transitions utiles qui autoriseront une émulation républicaine par laquelle nous déciderons de la façon dont la chose publique sera gérée dans nos pays. Si la CEDEAO veut concrétiser « l’impératif de réengager le dialogue avec les pays sous régime militaire » et réellement « s’attaquer à certaines causes de l’intervention militaire », selon les mots du président Tinubu, il est essentiel de ne pas nous dicter ce que devront être nos transitions, ni leur durée. Aidez-nous plutôt à aboutir à des gouvernances vertueuses qui ne laisseront plus la place à de futurs Coups d’Etat !

Le 10 décembre 2023

Omar Tankari,

Citoyen Nigérien, Sahélien, Africain.

Source : https://www.lesahel.org

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