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Tribune - Des rives du Niger aux berges de la Volga : Les enseignements de la Victoire - Par Dr Farmo Moumouni

Farmo Moumouni 1Que n’a-t-on pas dit hier et aujourd’hui, à la place du Niger, pour le Niger, de ses relations avec la Russie ? Que le Niger n’irait pas à Moscou. Que si d’aventure le Niger franchissait la Volga, il paierait pour sa témérité.

Autant en emporte le vent.

Le Niger ira où bon lui semble. Avec son uranium, il ira où ses intérêts se trouvent. Chez lui, il conviera les hôtes de son choix. Il prendra toute décision concernant son devenir en toute souveraineté.

Je suis sur les rives de la Moskova, en attendant de me rendre à Téhéran, au pied des Monts Elbourz. Ici, je n’ai vu ni colonialisme ni condescendance. J’ai cherché en vain dans le comportement de l’interlocuteur un signe d’arrogance, l’ombre d’un complexe de supériorité.

Hannibal et Pouchkine, nos semblables, nous ont précédés.

J’ai vu le visage de la Victoire au Musée qui lui a été dédié. Nous nous sommes regardés, les yeux dans les yeux. J’ai entendu sa voix suave parlant de dignité et d’honneur aux peuples. Je narre pour nos enfants, je dis à votre intention, et rapporte à notre pays, les enseignements dont Victoire m’a instruit.

Les mêmes ennemis impitoyables, une même souffrance humaine, nous rapprochent. Une résilience héroïque, l’intuition d’un salut commun, nous fédèrent. Et nos consciences meurtries fraternisent. Et nos volontés de vaincre se soutiennent.

J’ai vu à Moscou le tribut qu’un peuple paie à la liberté, à l’indépendance, à la souveraineté. J’ai vu sous les bombes, sous l’embargo, dans le feu, dans la famine, au milieu du sang, au milieu des larmes, les efforts déployés, les sacrifices consentis, l’abnégation, le dévouement au service de la patrie.

Vingt-six millions d’hommes, de femmes, d’enfants, militaires et civils, morts pour la patrie. Ressuscités au cœur de la mémoire collective, ils auréolent l’histoire de la Russie et la perpétuent.

Vingt-six millions de Nigériens et de Nigériennes, vifs, que l’on veut esclavagiser, que l’on veut coloniser, que l’on veut dépouiller de leurs biens.

Nenni !

Nous ne sommes ni bois d’ébène ni bêtes de somme. Le Niger n’est pas Terra nullius.

Nous avons décidé d’être Maîtres chez nous. Maîtres de nos richesses. Maîtres de nos choix et de notre destin. N’en déplaise aux oppresseurs de toute espèce et aux larbins de tout acabit. Mais il nous faut un ancrage et une permanence.

L’ancrage, c’est l’enracinement dans notre histoire. La permanence, c’est l’assurance que la mémoire collective garde notre vécu commun, présent. Ce sont là, les sources principales auxquelles le patriotisme s’alimente.

Que les premiers coups de fusils meurtriers tirés par l’envahisseur retentissent dans nos mémoires, et nous tiennent en alerte. Et que s’entendent dans nos villages, les cris des enfants apeurés, les pleurs des femmes effarées, des femmes violées, le crépitement des greniers en feu, le beuglement, le bêlement du cheptel fuyant l’incendie.

Je vous parle de l’arbitraire colonial, de son mépris, des dévastations du code de l’indigénat, de l’impôt de capitation, des travaux forcés, de l’exploitation éhontée, de l’indépendance factice, pour que ne s’oublient pas, pour que ne soient pas vaines les exactions, les souffrances et humiliations subies ; pour que l’on se souvienne du martyre, du calvaire vécus par nos pères ; des scènes macabres de nos mères éventrées, des scènes obscènes de nos filles pendues ; pour que l’on entende le râle, le dernier soupir de nos frères égorgés, décapités, fusillés.

J’emprunte, avec vous, de Sansane Haoussa à Zinder, le couloir de la mort, parsemé de massacres, de pogromes, pour que vous honoriez nos morts, pour que vous sentiez l’odeur de leur sang versé, pour que vous vous recueilliez sur les charniers.

Je vous y emmène pour que vous voyiez derrière la colonne Voulet-Chanoine, les hordes d’hyènes, les meutes de chiens, de chacals, et au-dessus d’elles, les nuées de vautours et de corbeaux attendant de se nourrir de cadavres, attendant de se repaître de la chair de nos ancêtres.

Je vous ramène sur les sentiers de la bravoure, sur le chemin de l’honneur. Je vous parle de résistance héroïque, de combats épiques de nos archers, de nos lanciers, de nos cavaliers affrontant les fusiliers et canonniers ennemis.

Je vous parle de Mangou, la reine aux yeux de panthère, de la femme allant au-devant de l’ennemi, à la tête des hommes. Je vous parle de ceux qui ont choisi la mort plutôt que la honte :

Amirou Oumarou, mort pour la patrie. Décapité ;

Alpha Seybou alias Chaibou dan Makahou, mort pour la patrie. Décapité ;

Amadou Kouran Daga, mort pour la patrie. Décapité ;

Kaocen ag Kedda, mort pour la patrie. Pendu ;

Firhoun al Ansar, mort pour la patrie. Trahi.

Peuple, mon peuple, c’est pour toi que je trempe mon calame dans l’encre de l’histoire. C’est à, toi que je destine cette épître en lettres inaltérables. Je l’ai écrite pour toi, toi qui a résisté, toi qui résiste aux agressions du colonisateur attardé, aux assauts conjugués de l’Occident en déclin qui ne saisit pas le sens irréversible, irrépressible, inéluctable de notre libération, de notre indépendance, de notre souveraineté.

Elle s’adresse à la jeunesse intrépide, éveillée, réveillée, rassemblée aux quatre coins du pays ; debout sur la place de la Résistance, le patriotisme chevillé au corps, refusant la sujétion.

Elle s’adresse aux Forces Armées Nigériennes vaillantes, celles qui après la débâcle de Dien Bien Phu ont infligé à la France la plus humiliante des défaites, sans coup férir, à Talladjé. Tel est le fait d’arme de l’ancienne colonie pénitentiaire, de la colonie exhibée comme « la plus déshéritée de l’Afrique occidentale française (AOF) » dont on disait que si elle « n’existait pas il ne faudrait certes pas l’inventer ».

La défaite de Talladjé, est à la fois déconstruction des mythes coloniaux et augure de nos victoires à venir, notamment celle du franc, sur cette France indécrottablement suffisante.

Farmo M.