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Transition politique et défis liés à la refondation de l’Etat et de la gouvernance : Par Abdourahamane Oumarou Ly

A en juger par les prises de parole et les écrits, l’heure de la refondation a sonné. Et comme l’a si bien asséné Victor Hugo : « il n’est rien au monde d’aussi puissant qu’une idée dont l’heure est venue. »

Les évènements du 26 juillet 2023 sanctionnent en réalité la crise de la gouvernance, qui a entaché la période post Conférence nationale souveraine (CNS), marquée par une instabilité politique et institutionnelle chronique. Pourtant, ce conclave était censé conduire à une transformation socio-politique et économique qualitative du pays. Le désenchantement démocratique qui en est résulté questionne profondément sur le modèle de l’Etat à adopter pour la suite. En effet, faudrait-il encore et encore recommencer selon le schéma classique (assises nationales, commission de moralisation textes fondamentaux, référendum et élections municipales, législatives et présidentielles), avec la même classe politique ou entamer une réflexion collective sur l’invention d’un nouveau modèle plus à même d’assurer le bien-être des citoyens ? Dans cette crise de la gouvernance, la responsabilité presque entière des dirigeants est établie, même si par ailleurs, à l’origine, le modèle de l’Etat colonial plaqué sur les structures traditionnelles précoloniales s’est révélé complètement inadapté. Dans ces conditions, une des réponses pourraient être une réforme structurelle au sens de refondation qui doit « tenir compte de l’évolution des sociétés plurales et des aspirations des peuples […] Ce nouveau départ théorique exige des réponses claires sur les fondements, la spécificité et les modes d’articulation de l’Etat multinational. » (Mwayila Tshiyembe, 1998). Le recours à la refondation, à travers son outil par excellence qu’est la bonne gouvernance, n’est plus à justifier compte tenu de la situation du pays gangrénée par divers maux (I), pourvu que le contenu du concept soit bien décliné et maîtrisé (II).

  1. L’état des lieux désastreux du pays comme justificatif de la refondation.

De l’avis des analystes, l’avènement de la démocratie n’a pas répondu aux attentes des populations, qui au lieu d’aspirer au bien-être ont finalement jeté le discrédit sur cet idéal. La crise de la gouvernance de mal en pis s’est généralisée. Et pour preuve, le processus de démocratisation au Niger depuis la CNS a connu cinq (5) Républiques, quatre (4) coups d’Etat militaires et un coup d’Etat civil perpétrés pour diverses raisons ; au-delà de celles relevées par les auteurs, les griefs à l’encontre des acteurs politiques ne manquent pas, notamment :

  1. Sur le plan politique :
  • Le constitutionnalisme fortement inspiré par des valeurs étrangères à la culture locale ;
  • La forte prééminence de l’exécutif sur les autres pouvoirs ;
  • Une assemblée nationale, caisse de résonnance de l’exécutif ;
  • Une justice instrumentalisée en ce qui concerne les dossiers à enjeux politiques ou impliquant des personnalités politiques ;
  • La faiblesse des mécanismes de contre-pouvoirs ;
  • Le muselage des médias publics ;
  • La pléthore et l’anarchie des partis politiques ;
  • L’instabilité au sein du paysage politique caractérisée par des compositions, recompositions et compromissions de circonstance ;
  • Le militantisme politique devenu une nouvelle source de revenus pour survivre (formule empruntée à Abdoulaye Niandou) ;
  • L’Etat capturé par divers groupes d’intérêts tant nationaux qu’étrangers ;
  • La perte de crédibilité des processus électoraux ;
  • La démission de l’administration face à sa mission de service public ;
  • La politisation à outrance de l’administration ;
  • La lente mise en œuvre du processus de la décentralisation.
  1. Sur le plan social :
  • La faiblesse dans la prise en charge des secteurs sociaux de base (santé, éducation, eau et assainissement) ;
  • La corruption galopante qui gangrène tout le tissu social ;
  • La fracture sociale ;
  • Le chômage et l’exode massif des jeunes ;
  • La perte des valeurs et la faible culture citoyenne ;
  • La mendicité généralisée, exportée au-delà des frontières ;
  • Une société civile soit muselée, soit aux ordres ;
  • Les fortes menaces sécuritaires ;
  • L’insécurité alimentaire chronique.
  1. Sur le plan économique :
  • La forte dépendance vis-à-vis de l’extérieur ;
  • Un tissu industriel presque inexistant si ce n’est l’agonie des unités existantes ;
  • L’incapacité à créer des richesses ;
  • Le peu de profit tiré de l’exploitation des ressources minières ;
  • Le délabrement des voies de communication terrestres et l’inexistence de voies ferrées.

Loin d’être un réquisitoire contre la classe politique, ces quelques dysfonctionnements constituent des faits incontestables ; le classement régulier et peu enviable de l’indice du développement du PNUD illustre l’ampleur du désastre. S’il est exagéré de dire que l’Etat s’est effondré, tout au moins peut-on relever que la « démocratie procédurale », c’est-à-dire électorale, qui avait cours, au détriment de la « démocratie substantielle », celle avec un réel contenu (Pierre Jacquemont, 2022), a montré ses limites objectives.

Par conséquent, la période post CNS nécessite assurément l’invention de nouveaux fondements démocratiques et de modèles par le biais d’une refondation et non de mimétisme. Frantz Fanon a bien prévenu : « décidons de ne pas imiter l’Europe et bandons nos muscles et nos cerveaux dans une direction nouvelle. »

  1. Le contenu de la refondation à grands traits.

 Etymologiquement, refonder signifie fonder sur de nouvelles bases. Le concept implique un « retour sur soi, un repli nécessaire à la reconstruction de l’existant. Voire à sa nature, dans le but de créer de nouvelles dynamiques ou synergies. » (Kamel Nait Zerrad, 2003).

La refondation est tout le contraire de réformettes ou de rafistolage mais des voies nouvelles consensuelles à trouver, en route vers un nouvel ordre. Ce nouveau paradigme doit d’abord être puisé dans notre histoire et nos réalités socio-culturelles, en prenant en compte les aspirations des différentes couches sociales, puis se projeter dans le futur.

Le manifeste en date du 13 avril 2020 de 88 intellectuels africains sous la houlette de Wole Soyinka, prix Nobel de la paix, adressé aux dirigeants africains, esquisse d’une voix forte les contours d’une nouvelle approche du développement, qui rappelle fort bien la refondation envisagée au Niger. Ils suggèrent une autre approche du développement afin de « rompre avec la sous-traitance de nos prérogatives souveraines, de renouer avec les configurations locales, de sortir de l’imitation stérile […] de penser nos institutions en fonction de nos communes singularités et de ce que nous avons, de penser la gouvernance inclusive, le développement endogène […] L’absence de volonté politique et les agissements de l’extérieur ne peuvent plus constituer des excuses pour nos turpitudes. Nous n’avons pas le choix : nous devons changer de cap. Il est plus que temps ! »

La refondation est multidimensionnelle et multisectorielle. Aussi, pourra-t-elle concerner la gouvernance, les forces de défense et de sécurité, le système partisan, le système électoral, la décentralisation entre autres. La refondation de la gouvernance mérite une attention particulière puisqu’elle servira de locomotive aux autres domaines à réformer ; un terreau favorable existe à son enfantement.  La farouche détermination, la mobilisation patriotique ainsi que la résilience à toute épreuve affichée laissent peu de doute sur les réelles capacités (des jeunes et des femmes surtout) à surmonter tous les défis ; d’ores et déjà, et avant les Assises nationales, les préoccupations majeures pressantes, dont il faut en tenir compte, sont exprimées :

  • La quête de la souveraineté pleinement assumée ;
  • La formation d’un genre nouveau de contrat social et politique entre les gouvernants et les gouvernés ;
  • Le partage équitable des ressources ;
  • La soif de justice sociale et de justice tout court ;
  • Le changement des mentalités ;
  • Le refuge dans le travail.

En somme, la refondation ne doit pas être un simple slogan car elle appelle au consentement de sacrifices de la part de tous les citoyens ; son caractère inclusif et participatif devrait permettre de garantir son irréversibilité au-delà de la transition. Certes la refondation est un chantier pharaonique, mais, à coup sûr, elle ne résistera pas à l’intrépidité de 26 millions de Nigériennes et Nigériens.

Abdourahamane Oumarou Ly

Juriste/Essayiste/Analyste politique.