Accéder au contenu principal

Transition au Niger : quand le manque de justice pèse sur le pays

Justice Niger Après que le CNSP ait fait rêver les Nigériens de Justice, voilà qu’après deux ans de pouvoir, l’on a l’impression que les lignes ne bougent pas sur ce dossier et que l’impunité a encore cours dans le pays, la transition semblant être incapable d’y apporter les réponses appropriées. Les Nigériens sont un peuple pacifique, sans problème, aussi tient-il à la justice. Mais, ce peuple est un peuple qui aime la justice ; un peuple qui est très sensible à l’injustice. Comment vivre dans le même pays, sous les mêmes lois, et avoir l’impression que d’autres soient plus importants que le Niger, devant être protégés des lois, presque intouchables, ce malgré leurs impairs et leurs cynismes politiques ? Peut-on refonder dans ces conditions ? Aucune révolution ne peut réussir sans justice. C’est pourquoi le courage de la justice s’impose au CNSP qui a aujourd’hui le devoir historique de préserver, par sa conduite à la tête de l’Etat, l’image noble que les Nigériens, depuis le CMS, le Conseil Militaire Suprême, avaient de l’armée, une armée au service du peuple, qui vient, chaque fois que des circonstances l’imposent, rétablir la justice et mettre de l’ordre dans le pays. Les Nigériens ne veulent pas d’une armée qui, comme complice de grands voyous d’Etat, vient protéger une pègre, et mettre le pied sur des dossiers somme toute scabreux, on ne peut plus intolérables. C’est pourquoi les Nigériens interpellent tous les jours le CNSP à ne pas faillir sur une préoccupation.

Voici des mois que l’on sent une certaine lourdeur dans l’atmosphère qui se vit dans le pays ; le pays semblant être rattrapé par ses vieilles rancunes, par ses vieux malaises pour replacer les Nigériens dans les mêmes fractures et les mêmes mésententes. Pourquoi donc cette situation que des ferveurs, au lendemain du 26 juillet 2023, éloignaient du peuple, viennent, tenaces, comme si ce pays fût marqué par quelques malédictions ? Mais, on connait bien la cause de cette situation qu’on aurait pu éviter, en écoutant ce que, depuis la libération de juillet 2023, les Nigériens disent et rappellent tout le temps. Le besoin de justice dans un pays qui en a manqué pendant une dizaine d’années, n’est pas une préoccupation farfelue pour que l’on s’en détourne pour croire qu’on peut faire fi de cette exigence, et sauver, au lieu de la patrie, une clique de dealers et de voleurs. Ce pays ne peut pas aller à la refondation sans combattre des pratiques et les contre-valeurs qui vont avec, ce, sans avoir le courage de considérer que tous les Nigériens se valent, sans qu’il n’y ait de Nigériens de première catégorie et d’autres de seconde zone. Le sentiment d’injustice que l’on vit dans le pays explique aujourd’hui le retour des malaises, sachant bien que le retour à la normalité dans le pays était une promesse que le CNSP faisait à son peuple qui y avait cru parce que, quand même, il s’agit de paroles d’officiers supérieurs.

Les Nigériens ne demandent pas mieux. Ils ne demandent pas l’impossible. Ils ne demandent que de la Justice. C’est peutêtre aussi pourquoi ils ne comprennent pas ce qui poussait subitement à des radicalités entre le pouvoir judiciaire à travers les syndicats du secteur et le pouvoir exécutif qui, sans qu’on ne voie leur différend venir, nous y plongent comme s’il y avait de part et d’autre, une volonté partagée de brouiller les pistes et de créer les conditions pour prolonger la léthargie judiciaire entretenue autour de la lutte contre l’impunité. Le CNSP, peut-il, au-delà de sa profession de foi, manquer de courage à aller dans les dossiers sur lesquels les Nigériens l’attendent depuis deux ans afin de faire la lumière sur ces questions et dire la vérité ? Des pistes étaient pourtant données pour aider plus facilement à comprendre certaines accumulations injustifiables. Il suffisait d’enquêter sur le foncier et l’immobilier dans un premier temps pour comprendre certains niveaux d’enrichissement qui sont moralement intolérables dans un pays qui, pendant douze années de socialisme, était resté classé, invariablement, dernier de la planète- terre. Ces immeubles, ces palaces qui viennent orner l’architecture des villes, ne sauraient se justifier surtout quand les détenteurs, bourgeoisie nouvelle, sont des salariés, et souvent des opérateurs économiques artificiellement créés dont les fortunes connues avant 2011, date où la caverne d’Ali Baba s’ouvrait pour les privilégiés du régime dans le but secret d’enrichir le clan, ne pouvaient justifier les hauteurs auxquelles elles sont aujourd’hui. Sans même parler de ces hommes et de ces femmes qui, politiques, acteurs de la société civile, journalistes, syndicalistes, avaient connu les pires persécutions de la part d’un pouvoir socialiste qui a cru que le fait d’accéder au pouvoir lui donne le droit d’abuser et de faire le mal qu’il tente, à chaque fois, de légaliser par des procès expéditifs où l’on n’a besoin ni de contradiction ni d’entendre la part de vérité des victimes ainsi cataloguées au nom de leurs opinions différentes à constituer la longue liste de martyrs de la persécution socialiste.

Il est difficile de conduire un peuple qui a vécu les affres de l’injustice et à qui on refuse de faire justice. Personne d’autre, à leur place, ne peut prendre la responsabilité de pardonner sachant que le pardon reste un choix personnel, non distributif. Peut-on penser à ce que, injustement, l’on a fait vivre à des familles, à des hommes, allant jusqu’à attenter à leur intimité, à leur honneur, à leur personnalité privée qui est sacrée ? Dans ce pays, depuis que la conférence venait, n’eut été un certain Ali Saibou qui n’avait pas fait trop attention aux excès de novices en politique, combien de fois avait-on porté l’opprobre sur des hommes, sur leurs enfants, sur leurs familles, touchant et blessant la famille et la vie privée des hommes qui sont de l’ordre du sacré, de ce que la politique noble ne touche jamais ? Il a fallu attendre l’arrivée des socialistes au pouvoir pour voir surgir ces velléités revanchardes qui ne s’expliquaient pas pourtant.

La justice est donc un passage obligé si l’on veut créer les conditions d’une paix durable. Toutes les religions s’accordent à dire que la justice est au centre de tout car, sans elle, la plus petite entité qu’est la famille, ne peut tenir longtemps a fortiori une nation. Elle reste un besoin humain inaliénable. Aussi, pour qu’elle soit une réalité, encore faut-il avoir des hommes de poignes, des gens qui, au-delà de ne regarder que Dieu dans leur rôle public, savent toute la portée d’un pouvoir de justice pour mériter la félicité des Cieux. Mais, comment la transition peut-elle y arriver au moment où elle patine, hésite, doute d’elle-même pour oser aller à ce courage qui lui pourrait lui manquer, peut-être ?

Tant que la transition gardera quelques liens secrets avec l’ancien ordre qu’elle prétendait défaire, elle ne pourra jamais réussir le miracle de la révolution pour refonder un Niger nouveau, celui que tous les Nigériens appellent, depuis les élections de 2016, de leurs voeux. Il faut se défaire de tout lien suspicieux qui pourrait faire douter de la transition et donner à croire qu’elle serait de connivence avec certains milieux de l’ancien régime ainsi que certains s’accordent à le faire admettre dans l’opinion. Le lien avec certains personnages sulfureux la rendrait soupçonneuse pour la faire perdre en crédit. Aujourd’hui, pour beaucoup de Nigériens, la rupture avec l’ancien système se fait attendre et cette situation fait que de plus en plus d’observateurs doutent. Il y a quelques semaines, le CIRAC avait déploré qu’il n’y ait pas eu rupture avec l’ancien système.

Il faut donc de la justice. Chaque Nigérien doit répondre de ses actes, afin que, par la pédagogie de la sanction, chacun sache qu’il n’est pas au-dessus des lois de la République et ainsi faire attention à lui-même et aux autres. C’est une exigence fondamentale de la refondation.

Mairiga (Le courrier)