Souveraineté monétaire : l’AES à l’heure des choix cruciaux
Dans un Sahel bouleversé par les ruptures politiques et institutionnelles récentes, la question de la souveraineté monétaire prend une importance capitale. Si la transition engagée dans les pays de l’AES (Alliance des États du Sahel) s’est d’abord caractérisée par un discours ferme contre l’ingérence extérieure, c’est désormais sur le terrain économique que se joue sa crédibilité.
Pendant longtemps, le rejet du franc CFA a occupé une place centrale dans les aspirations populaires. Mais au-delà des slogans, une question demeure : les dirigeants sahéliens oseront-ils poser les fondations d’un système monétaire autonome et cohérent ? Et surtout, ont-ils les moyens institutionnels, techniques et politiques de concrétiser une telle réforme ?
Un impératif plus que symbolique
L’usage du franc CFA est aujourd’hui perçu par de nombreux citoyens comme une anomalie historique. Comment parler de souveraineté alors que les politiques monétaires des pays sont encore liées à une banque centrale extérieure et à des logiques de réserve en devises qui échappent au contrôle national ?
Dans les discours, la nécessité de rompre avec cette dépendance a été martelée. Mais l’attente grandit de voir ces intentions se transformer en actes. La souveraineté monétaire ne peut être différée indéfiniment si l’on souhaite faire émerger une économie libérée des contraintes héritées de la colonisation.
L’AES passe à l’action
Les doutes sont légitimes, mais des signaux forts commencent à émerger. Contrairement aux perceptions d’inertie, des travaux de fond sont bel et bien en cours. Une commission technique conjointe entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso a été mise en place pour étudier les paramètres économiques, juridiques et opérationnels d’une future monnaie commune de l’AES.
Cette démarche n’est pas improvisée. Elle prévoit une création progressive d’une banque centrale sahélienne, le développement d’un cadre de gestion monétaire souverain, ainsi qu’un plan de transition comprenant l’impression de billets, l’ajustement des systèmes bancaires et la coordination régionale pour assurer une stabilité macroéconomique.
À Lire aussi >>> Le changement de paradigme économique dans les pays de l’AES, une réforme prioritaire qui tarde : Par Ali Zada
Une réforme ambitieuse mais risquée
Mettre fin au franc CFA ne se résume pas à une décision politique. Cela implique de maîtriser les risques liés à l’inflation, à la perte de convertibilité, et à la crédibilité internationale de la nouvelle monnaie. C’est pourquoi des études approfondies et indépendantes sont en cours, mobilisant économistes, juristes et institutions financières sahéliennes.
Ce travail discret mais stratégique rappelle que la réussite d’un tel projet repose sur la rigueur, la coordination et la transparence. Le chantier est certes complexe, mais il est désormais engagé, et il mérite d’être mieux compris et soutenu par les citoyens.
La monnaie, socle de la souveraineté
L’AES a ouvert un cycle politique inédit. Mais celui-ci ne sera complet que s’il s’ancre dans une véritable autonomie économique. Créer une monnaie propre n’est pas seulement une ambition : c’est la condition de toute souveraineté durable. Refonder les accords extractifs, sécuriser les frontières, affirmer une diplomatie indépendante… tout cela restera inachevé sans l’outil monétaire comme levier central.
Dans ce contexte, la prudence stratégique dont font preuve les autorités de l’AES pourrait bien cacher une détermination à agir de manière méthodique. Le débat sur la souveraineté monétaire mérite d’être public, nourri par la recherche, la pédagogie économique et le soutien populaire. Car l’histoire ne retient pas seulement les intentions : elle juge sur les décisions.
Idrissa T. (Nigerdiaspora)