Refondation : Où va le Niger ? Analyse des actes du CNSP post-26 juillet 2023
Le 26 juillet 2023 a marqué un tournant décisif dans l’histoire du Niger. Le renversement du régime de la renaissance acte 3 par le conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), a ouvert une période de transition pleine d’espoir avec une adhésion populaire sans précédent, placée sous le signe de la «refondation». Mais où va réellement le Niger, avec qui et selon quelles modalités ? L’analyse des actes posés par le CNSP depuis le coup d’État offre des éléments de réponse, quoique partiels et sujets à interprétation. Le conseil national pour la sauvegarde de la partie a rapidement affiché une volonté de rupture radicale avec les partenaires traditionnels du Niger, notamment la France. La dénonciation des accords militaires, l’exigence du départ des troupes françaises et le discours souverainiste ont marqué une rupture spectaculaire. Cette posture, accueillie favorablement par une écrasante partie de la population, soulève des questions sur les alternatives stratégiques et les capacités du Niger à assurer seul sa sécurité face à la menace terroriste persistante. Le rapprochement avec la Russie, tant sur le plan militaire que diplomatique, semble être une des réponses du CNSP à cette rupture. L’arrivée de conseillers militaires russes et les discussions sur une coopération renforcée suscitent des interrogations sur les contreparties et les risques d’une dépendance accrue à un nouveau partenaire. La diversification des partenariats, notamment avec d’autres pays africains, est également évoquée, mais reste à concrétiser. Sur le plan intérieur, le CNSP a promis une refondation de la gouvernance, mettant en avant la lutte contre la corruption et l’amélioration des conditions de vie des Nigériens. Les premières mesures, telles que l’audit des contrats miniers et la lutte contre la spéculation, ont été saluées. L’inertie de la COLDEFF face à l’attente populaire est palpable, contrastant vivement avec l’exhibition médiatique de citoyens ordinaires pour des délits mineurs, alors que l’anonymat des mastodontes pilleurs des deniers, est malheureusement protégé par l’institution en charge de lutter contre la corruption. Cette disparité alimente un sentiment d’injustice et de frustration, tandis que la rigueur s’abat sélectivement sur les plus vulnérables. Ce déséquilibre érode la confiance dans la capacité de la COLDEFF à incarner une justice et à répondre aux aspirations légitimes de la population en matière de bonne gouvernance. L’impact des sanctions économiques imposées par la CEDEAO et de la suspension de l’aide internationale se fait sentir sur l’économie nigérienne. Le CNSP mise sur la mobilisation des ressources internes et la diversification des partenaires économiques pour atténuer les effets de ces sanctions. Cependant, la viabilité de cette stratégie à long terme reste incertaine, dans un contexte de fragilité économique. Cette situation se conjugue à un contexte économique alarmant : la fermeture prolongée de la frontière avec le Bénin, conjuguée à une insécurité persistante dans plusieurs régions, a entraîné une chute drastique des recettes douanières. Cette conjoncture a pour conséquence directe une flambée des prix des produits de première nécessité, accentuant la précarité des populations et alimentant un mécontentement social croissant, qui contraste avec l’inaction perçue face aux malversations financières à grande échelle. La question de la légitimité du CNSP et de l’inclusivité de la transition demeure centrale. L’absence de dialogue avec les forces politiques et sociales et la restriction de l’espace public suscitent des critiques. La capacité du CNSP à construire un consensus national autour de son projet de refondation est cruciale pour la stabilité et l’avenir du Niger. Contrairement à des économies dotées de structures formelles plus robustes, le Niger se caractérise par une prédominance marquée du secteur informel. Cette spécificité rend la mobilisation des ressources internes par l’État intrinsèquement plus complexe et moins conséquente. L’étendue des activités économiques échappant aux circuits officiels limite la base taxable et entrave la capacité du gouvernement à générer des revenus substantiels pour financer ses politiques de développement et faire face aux défis économiques actuels. Le cumul des portefeuilles de l’Économie et des Finances avec celui de Premier Ministre pourrait complexifier la tâche de réorganisation économique. La concentration de ces responsabilités majeures au sein d’une seule personne risque de disperser l’attention et les efforts nécessaires à une gestion macroéconomique rigoureuse et à la mise en oeuvre de réformes structurelles profondes. Une séparation des fonctions permettrait potentiellement une focalisation accrue et une expertise dédiée à chacun de ces domaines stratégiques pour la relance et la diversification de l’économie nigérienne.
Sur le plan social, une dynamique moins effervescente semble s’installer entre le général Tiani et une partie de sa base initiale, celle qui avait manifesté un soutien visible au changement. Cette évolution se traduit par une communication moins fréquente et une reprise des interdictions de manifestations sur la voie publique, une mesure qui rappelle des pratiques observées sous le régime précédent. Ce changement pourrait signaler une inflexion dans la relation entre les membres du conseil national pour la sauvegarde de la patrie et une partie de la population qui avait initialement exprimé son adhésion aux valeurs de la refondation. Une indifférence notable semble se manifester face aux préoccupations populaires concernant la charte de la refondation telle qu’issue des assises nationales et sa version publiée au journal officiel. Ce décalage, conjugué à une lenteur apparente dans la mise en oeuvre des résolutions émanant de ces mêmes assises, pourrait alimenter un sentiment de déconnexion entre les aspirations citoyennes et les actions gouvernementales. L’écart perçu entre la volonté exprimée par le peuple et la réalité institutionnelle risque d’éroder la confiance et de susciter des interrogations sur la véritable portée de cette démarche de refondation. Face aux défis complexes qui se dressent devant le Niger, il est impératif de formuler des propositions constructives pour consolider la refondation et garantir un avenir plus stable et prospère.
- Renforcer la lutte contre la corruption et l’injustice :
Réformer la COLDEFF : Accroître son indépendance et ses moyens, garantir la transparence des enquêtes, et assurer l’égalité de traitement devant la loi, en mettant fin à l’impunité des acteurs puissants.
Mettre en oeuvre les résolutions des assises nationales : Publier un calendrier précis et des rapports d’étape réguliers pour restaurer la confiance.
Promouvoir la transparence : Rendre publics les contrats miniers, les audits financiers, et les informations relatives aux marchés publics.
- Relancer l’économie et atténuer les sanctions :
Diversifier les partenariats économiques : Explorer de nouvelles opportunités en Afrique et au-delà, en privilégiant les échanges Sud-Sud.
Soutenir le secteur informel : Mettre en place des mécanismes d’accompagnement et de formalisation progressive, favorisant l’accès au crédit et à la formation.
Séparer les ministères de l’économie/ finances et la primature : Permettre une focalisation accrue et une expertise dédiée à chacun de ces domaines stratégiques.
- Consolider l’unité nationale et la stabilité :
Rétablir le dialogue inclusif : Organiser des consultations régulières avec les forces politiques, sociales, et la société civile.
Garantir les libertés publiques : Lever les restrictions sur les manifestations pacifiques et garantir la liberté d’expression.
Clarifier la charte de la refondation : Organiser des débats publics pour expliquer les choix et répondre aux préoccupations.
- Renforcer la sécurité et la coopération régionale :
Diversifier les partenariats militaires : Explorer des options au-delà de la Russie, en privilégiant les coopérations africaines.
Renforcer les capacités de défense nationales : Investir dans la formation et l’équipement des forces de sécurité.
Favoriser la coopération régionale : Renouer le dialogue avec les pays voisins pour lutter contre le terrorisme et les défis transfrontaliers.
La réussite de la refondation nigérienne dépendra de la capacité du CNSP à répondre aux aspirations du peuple, à construire un projet national inclusif, et à relever les défis économiques et sécuritaires avec pragmatisme et transparence.
Maiga Abdoulai (Le Canard en furie)