Refondation de la gouvernance au Niger : Départ des troupes étrangères et lutte contre la corruption
Amères vérités : La refondation de la gouvernance, ce n’est pas seulement le départ des troupes étrangères, mais aussi la lutte contre les infractions économiques, financières et fiscales.
Malgré ses efforts en vue de rassurer davantage sur ses desseins nobles et obtenir leur confiance, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp) est de plus en plus critiqué, attaqué, voire vilipendé. La lutte pour la souveraineté nationale est un combat noble et les Nigériens sont presque unanimes làdessus : tout doit être mis en oeuvre pour briser les chaînes de l’impérialisme et le départ des troupes occidentales est un préalable, pas une fin en soi. C’est un pas essentiel sur un chemin de longue haleine ; un pas par lequel l’on affiche aux yeux du monde sa volonté de s’affirmer comme un État souverain, digne de respect et de considération de la part des autres.Ce pas franchi, il reste à travailler dur, à travailler dur et sans relâche afin d’arracher les instruments de cette souveraineté.
Le Cnsp, qui a bénéficié d’un soutien massif et indescriptible au lendemain du 26 juillet 2023, na’ plus la même popularité, la même côte. Pourtant, il a mené avec beaucoup de cran le départ des troupes occidentales et entamé assez bien la lutte pour la sécurité alimentaire avec le projet « Grande irrigation ». Mais sa côte de popularité faiblit et l’on entend de plus en plus des critiques acerbes contre sa façon de conduire les affaires publiques. La source ? C’est la non-poursuite judiciaire de tous ces criminels qui se sont fait des fortunes colossales, parfois sur des tas de morts occasionnées par les détournements, chaque année, des ressources budgétaires de l’armée. C’est le premier motif et à juste raison, du divorce entre de très nombreux Nigériens et le Cnsp. La situation est là : certains ont bâti des fortunes colossales sur lesquelles des bribes ont commencé à fuiter, d’autres doivent se serrer la ceinture pour survivre tandis que l’État se plie en quatre pour payer les dettes tout aussi colossales dont les montants ont été détournés par les premiers. C’est triste et regrettable que le Cnsp n’ait pas pris suffisamment la mesure des attentes populaires par rapport à la justice.
Le souci des Nigériens, c’est de ne plus vivre la gouvernance scabreuse de Issoufou Mahamadou, voir les Nigériens tirer des leçons utiles pour l’avenir. Or, si ceux qui ont ruiné ce pays ne paient pas de leur liberté et que l’État n’a pas récupéré 1/100e des ressources publiques détournées, il n’y a aucune raison d’espérer une gouvernance vertueuse dans ce pays. Le Cnsp ne peut pas faire la magie. Son choix dans la lutte contre les infractions économiques, financières et fiscales est une aberration et il est loisible de s’en rendre compte. Les affaires sont connues de tout le monde et on se demande bien de quelle refondation de la gouvernance le Cnsp parle lorsque les voleurs et autres criminels qui ont pris des centaines, voire des milliers de milliards en endettant sauvagement l’État sont libres, tranquilles et parfois en pleine possession de leurs pouvoirs-privilèges et/ou avantages.
Il n’y a aucune refondation de la gouvernance possible lorsqu’on permet à ceux qui ont fait main basse sur des centaines, voire des milliers de milliards des fonds publics d’être logés à la même enseigne que les autres ; lorsqu’on ne demande pas des comptes à un Issoufou Mahamadou, maître d’oeuvre et maître d’ouvrage du prêt d’Eximbank de Chine, un montant faramineux de 1000 milliards alors que l’on est en train de contracter des prêts pour rembourser des dettes et que l’on fournit des efforts inestimables afin d’entrer à nouveau dans les bonnes grâces du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale ; lorsque l’on s’échine à convaincre les Nigériens de sa bonne foi et de sa volonté de faire en sorte que les fonds publics soient utilisés à bon escient et exclusivement destinés aux besoins des populations alors que des individus dorment sur des fortunes incommensurables, volées à l’État et c’est connu de tout le monde.
Le problème du Cnsp avec de très nombreux Nigériens vient de là. Il ne peut pas convaincre alors que les voleurs et criminels d’hier sont toujours libres, jouissant de leurs larcins tandis que l’on demande à d’autres, totalement innocents dans la survenance des problèmes financiers de l’État, de se serrer la ceinture et d’apporter, le comble, leurs contributions aux efforts de développement via le Fonds de solidarité pour la sauvegarde de la patrie (Fssp).
La répétition est pédagogique et il est utile, encore une fois, de dire au Cnsp qu’on ne tresse pas sur des poux. Rien de bon ne peut sortir, en termes refondation de la gouvernance, d’une démarche qui omet qu’il faut frapper les morts pour faire peur aux vivants. Le Niger peut adopter une certaine conduite vis-à-vis de l’extérieur, mais il ne pourra jamais prospérer dans un contexte où les ressources mobilisées sont détournées, comme dans un jeu, par des individus qui profitent de leurs situations et de leurs fonctions pour gruger le peuple. Il faut que le Cnsp se remette en cause, rectifie son tir.
Sans même revenir sur la libération des prisonniers politiques, que le Cnsp ne devrait jamais assumer comme son fardeau et non celui du régime qu’il a fait tomber le 26 juillet 2023, il est crucial que le Général ouvre davantage les yeux pour comprendre que le peuple est déçu et que la seule chose qu’il a à faire pour recoller les morceaux, c’est de se lancer dans une guerre sans merci pour les biens mal acquis et le jugement des affaires scandaleuses qui ont dépouillé l’État de ses avoirs. Il faut que le Cnsp se ressaisisse pour comprendre que le voleur ne peut pas être le gendarme et que tant que les scandales financiers de grande ampleur ne sont pas jugés, le fossé entre dirigeants et peuple s’élargira sans continuellement. Dans le cas échéant, il faut arrêter de parler de refondation de la gouvernance. Car, la refondation de la gouvernance, ce n’est seulement le départ des troupes étrangères, mais aussi la lutte contre les infractions économiques, financières et fiscales.
BONKANO (Le Canard en furie)