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Réflexions d’un citoyen autour du Coup d’Etat militaire intervenu le 26 juillet 2023 au Niger


Les faits

Mercredi 26 juillet 2023, un coup d’Etat militaire est effectué au Niger. Le régime du Président Mohammed Bazoum est renversé par des éléments de sa propre garde : la garde présidentielle dirigée par le Général de Brigade Abdourahamane TIANI. Aux premières heures du putsch, on ne saura pas plus. C’est la confusion générale. Un fait est sûr, Mohammed Bazoum est retenu avec les membres de sa famille au sein du palais présidentiel. Tard dans la nuit, un groupe d’une dizaine d’officiers appartenant aux différents corps des Forces Armées Nigériennes (FAN) vint, dans un communiqué laconique, confirmer officiellement le coup d’Etat. Mais le peuple nigérien reste toujours peu informé sur les véritables raisons et les principaux acteurs du putsch. Est-ce un acte perpétré par la seule garde présidentielle ? Est-ce une action de toutes les Forces Armées Nigériennes, de toutes les Forces de Défense et de Sécurité (FDS), agissant en tant que corps constitué ? Pour avoir plus de précisions, il a fallu attendre le lendemain, à la suite du communiqué de l’Etat Major des armées dans lequel, il est dit en substance :

« Le commandement militaire des Forces Armées Nigériennes composé du Chef d’Etat Major des armées et des Chef d’Etat-Major d’armées…par souci d’éviter une confrontation meurtrière entre les différentes forces qui au-delà de ces dernières pourrait provoquer un bain de sang et entacher la sécurité de la population et… par souci de préserver la cohésion au sein des forces de défense et de sécurité, ont décidé de souscrire à la déclaration des forces de défense et de sécurité ».

Quarante-huit heures après le coup d’Etat, le nouvel homme du Niger, le Général de brigade Abdourhamane TIANI, intervient à la Télévision nationale pour porter à la connaissance des Nigériens les raisons de leur action : « la dégradation continue de la situation sécuritaire du pays, … et la mauvaise gouvernance économique et sociale ». Partant de ces constats, le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) qu’il préside se donne pour mission de préserver la patrie en relevant les défis sécuritaires, sociaux, économiques, le tout dans le respect des engagements internationaux souscrits par le Niger.

Visiblement, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, le coup d’Etat a été une surprise totale, car, rien ne le laissait présager de sitôt. Apparemment, ce putsch, même les puissances occidentales (France, USA, Allemagne, Italie…), bien installées dans le pays à travers leurs représentations diplomatiques et leurs bases militaires disséminées en divers endroits du territoire nigérien, ne l’ont pas vu venir.

Quoi qu’il en soit, pour la majorité des Nigériens vivant depuis plus d’une décennie sous le diktat d’un régime d’étouffement des libertés fondamentales, notamment la liberté de manifestation, pourtant bien garanties par la Constitution du Niger, ce coup d’Etat suscité par un souci de préserver la patrie menacé, est un soulagement, une libération, ainsi que l’attestent les différents communiqués, marches et meetings de soutien qui fusent de tous les milieux sociaux et à l’échelle du pays tout entier. Dans l’histoire du Niger contemporain, on ne note aucun évènement ayant engendré un tel degré de mobilisation populaire, surtout à Niamey, la capitale du pays. Mais il est certain que tous les Nigériens ne partagent pas cette liesse, car il y a les mécontents, notamment les membres du principal parti au pouvoir, le Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS/Tarayya) et ses alliés (le MNSD/Nassara, Jamhouriya et bien d’autres partis politiques qu’il serait long de lister ici), qui sont restés en dehors de ces manifestations de joie. La désapprobation du putsch est surtout clairement exprimée par les membres du PNDS/Tarayya, particulièrement les proches du Président déchu, appelés couramment les «pro-Bazoum», opposés aux «pro-Issoufou» .

A l’extérieur du pays, même si, pour une question de principe, les adeptes de la démocratie à l’occidentale condamnèrent çà et là le coup d’Etat militaire survenu le 26 juillet 2023 en tant que prise du pouvoir non pas par la volonté du peuple mais par la force, c’est surtout la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) , qui se démarque sur ce plan à travers la sévérité des sanctions prises pour contraindre les auteurs du coup d’Etat à restaurer Mohammed Bazoum, le «Président démocratiquement élu»  dans ses fonctions de chef de l’Etat nigérien. S’il est compréhensible que cette institution agisse pour assurer le respect de l’article 45 du protocole  A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la bonne Gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention et de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité signé par les Etats membres, c’est tout de même déroutant qu’elle en vienne à adopter un train de mesures aussi draconiennes de nature à asphyxier économiquement un Etat membre ; des mesures que ne lui permettent ni sa mission première (œuvrer à l’intégration et le développement socio-économique des pays membres), ni les dispositions des textes qui la régissent. En effet, outre des mesures de restrictions économiques et financières drastiques , le communiqué des Chefs d’Etat de la CEDEAO a retenu aussi une intervention militaire au bout d’une semaine contre le Niger si les putschistes de Niamey refusent d’obtempérer.

A ce niveau il y a lieu de se poser certaines questions. Avant le coup d’Etat du 26 juillet 2023 au Niger, l’ouest africain a connu plusieurs coups d’Etat militaires. Face à tous ces putschs, la CEDEAO n’a jamais daigné envisager une mesure aussi extrême. Pourquoi donc cette position excessive dans le cas du Niger ? Le Niger n’est-il pas un Etat souverain ? N’a-t-il pas le droit de régler à sa convenance et en toute liberté des problèmes qui lui sont propres, quelle que soit leur nature ?  Pourquoi la même CEDEAO est-elle restée coite et passive face aux multiples massacres de populations civiles et militaires effectués par des terroristes («jihadistes» et «agents du crime organisé»), dans plusieurs pays ouest africains, dont le Niger ?  Pourquoi n’a-t-elle pas actionné sa force en entente pour appuyer les armées régulières de ces pays afin d’éradiquer ces forces du mal ?

Partant de tout ce qui précède, on peut raisonnablement s’interroger si la CEDEAO a la pleine responsabilité des sanctions qu’elle a prises contre le Niger, surtout lorsqu’on constate que celles-ci, par leur promptitude et leur excessivité, s’apparentent beaucoup à celles décidées, à la même occasion, par l’Union Européenne, particulièrement à celles de l’ancienne puissance colonisatrice, la France, qui ne décolère pas depuis que ce putsch est advenu au Niger. Pour preuve, dans sa rage d’en découdre avec les putschistes de Niamey, Emmanuel Macron, le Président français, outre des propos va-t-en-guerre (puisqu’il dit ne pas exclure une intervention musclée en cas de besoin), est allé jusqu’à tenir un conseil de défense à l’Elysée au sujet du coup d’Etat militaire intervenu à Niamey. Dans ces conditions, nous nous demandons si, aux yeux de ce dernier, le Niger est vraiment un Etat souverain ?

Cette attitude belliqueuse des autorités politiques françaises a sûrement provoqué la colère des centaines de manifestants qui avaient envahi les rues de Niamey pour exprimer leur soutien ferme au CNSP. Car, certains d’entre eux poussèrent leur marche pacifique jusqu’à l’ambassade de France où quelques actes de violence, heureusement très vite maîtrisés par les forces de l’ordre, ont été enregistrés. Néanmoins, on déplore parmi les manifestants six blessés par balles réelles tirées par des agents de sécurité de l’ambassade. Quelques jours après cet épisode dramatique, la France procède au rapatriement par voie aérienne de ses citoyens et ceux d’autres pays européens résidant au Niger, alors qu’aucun signe de menace à leur endroit n’est relevé.

Les implications 

Face à cette animosité clairement affichée de l’autorité politique française vis-à-vis du Niger et ses nouveaux dirigeants, ceux-ci réagissent vigoureusement en dénonçant le 3 août 2023 les cinq accords de défense et de sécurité qui lient l’Etat du Niger à l’Etat français. La France récuse cette décision en arguant qu’elle émane d’autorités « illégitimes ». Attitude qui n’est pas sans susciter quelques remarques et/ou interrogations ? La même France n’a-t-elle pas eu à retirer, à la demande des auteurs du coup d’Etat militaire du 15 avril 1974, les éléments de son armée basés dans l’actuel camp Bagaji Iya de Niamey ? Tout récemment, n’a-t-elle pas eu également   à retirer, sans rechigner, ses troupes stationnées au Mali dans le cadre de « l’opération Barkhane » et celles de « l’opération Takuba » se trouvant sur le sol du Burkina Faso, suite aux injonctions des autorités politiques de ces deux pays issues comme celles de Niamey de coups d’Etat militaires ? Faudrait-il alors comprendre par ce refus d’obtempérer à la demande formulée par les auteurs du putsch du 26 juillet 2023 que, dans l’entendement des autorités françaises, le Niger a cessé d’être un Etat souverain pour redevenir une néo colonie française ? Est-ce à la France de déterminer la légitimité ou l’illégitimité du gouvernement nigérien ? Les Nigériens ont encore en mémoire la procédure irrégulière par laquelle le gouvernement nigérien déchu est passé pour autoriser l’installation, au Niger, des militaires de l’opération Barkhane refoulés du Mali. Pourquoi s’est-on gardé de qualifier d’illégitime cet acte qui fait fi des dispositions de la Constitution nigérienne ?

Quoi qu’il en soit, cette attitude officielle française n’est pas de nature à baisser la tension assez vive entre les nouvelles autorités politiques de Niamey et les représentants de l’Etat français. Au niveau du peuple qui suit tout cela avec beaucoup d’attention, les propos tenus par les officiels français à cette occasion a créé une onde de choc : à l’appel des organisations de la société civile, une grande marche suivie d’un meeting fut organisée le vendredi 11 août 2023 devant l’escadrille de Niamey où sont stationnés les éléments de l’armée française au Niger pour exiger leur départ sans condition.

Pour bien comprendre ce qui se passe actuellement au Niger et, au-delà, dans certaines anciennes colonies françaises d’Afrique (Burkina Faso, Guinée, Mali, Centrafrique, pour ne citer que les cas les mieux connus), il est indispensable de bien cerner le sens véritable des « indépendances » qui leur ont été reconnues en 1960.

L’autocratie et l’exploitation économique, deux invariables dans les rapports politiques entre la France et ses anciennes colonies africaines

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, bien de milieux (USA, Russie, ONU) rejetaient le régime colonial. Les « tirailleurs » africains qui avaient combattu aux côtés des alliés pour libérer une bonne partie du territoire français occupée par l’Allemagne nazie depuis 1940, ont eux aussi eu le temps d’observer et de connaître l’homme blanc dans sa réalité et, de ce fait, ils ne nourrissaient aucun complexe vis-à-vis de celui-ci. Bref, au lendemain de la seconde guerre mondiale, le contexte politique et les mentalités ont changé de par le monde. Pour la France coloniale qui avait connu le diktat allemand de 1940 à 1945, une défaite cinglante en 1954 à Dien Bien Phu (Vietnam), pour cette France qui avait aussi maille à partir avec les nationalistes algériens du Front de Libération Nationale (FLN), il était alors difficile de maintenir le régime colonial pur et dur, d’où l’acceptation, en 1960, de la vague des indépendances accordées aux colonies françaises de l’Afrique subsaharienne.

Cependant, pour appréhender la véritable portée de ces « indépendances », il importe de bien s’imprégner des contenus des onze accords secrets signés à cette occasion entre la France et les pays d’Afrique francophone  :

1. le remboursement de la « dette coloniale », c’est-à-dire le remboursement du coût des infrastructures construites par la France durant la période coloniale ;

2. la confiscation automatique des réserves financières nationales ; il faut entendre par là, le «pilotage» des politiques monétaires de ces Etats, c’est-à-dire l’obligation pour eux de verser 80% de leurs réserves financières » dans un compte d’opération sis au Trésor français, la disposition à titre de crédits, pour chaque Etat de tout au plus 20% de ses recettes annuelles

3. le droit de premier refus sur toute ressource brute ou naturelle découverte dans le pays, en d’autres termes, l’interdiction d’avoir d’autres partenaires dans ce domaine sans l’aval de la France ;

4. la priorité aux intérêts et aux entreprises français dans les marchés et appels d’offre publics, en conséquence, tous les leviers économiques de ces pays sont détenus par des entrepreneurs français ;

5. le droit exclusif de fournir des équipements militaires et de former les officiers militaires de ces pays ;

6. le droit pour la France de déployer des troupes et d’intervenir militairement dans le pays pour défendre ses intérêts

7. l’obligation de faire du français la langue officielle du pays et la langue pour l’éducation, d’où la création, en appui de cet accord, de l’agence de la Francophonie ;

8. l’obligation d’utiliser le franc CFA (franc des colonies françaises d’Afrique), véritable vache à lait de la France qui lui permet d’engranger chaque année des milliards de dollars appartenant aux pays de la zone franc ;

9. l’obligation d’envoyer en France, un bilan annuel et un rapport d’état des réserves ; le cas échéant le pays ne pourra pas obtenir les crédits désirés ;

10. l’interdiction de toute alliance militaire avec d’autres pays, sauf sur autorisation de la France;

11. l’obligation de s’allier avec la France en cas de guerre ou de crise mondiale .

Logiquement, un accord repose sur un consentement mutuel entre les parties signataires pour la défense de leurs intérêts bien compris. Or, tous les onze accords secrets ci-dessus rapportés sont rédigés en termes impératifs ; ils se présentent comme un chapelet d’obligations ne tenant compte que des seuls intérêts de la France. Pour les pays africains signataires, ils verrouillent toute chance d’autonomie d’action dans tous les domaines abordés et, à terme, toute chance de développement économique. En clair, même si le colonisateur n’est pas présent physiquement pour régenter le cours des choses à sa convenance, ces accords garantissent la perpétuation du pouvoir colonial, l’exploitation des anciennes colonies et la paupérisation de leurs populations. Indubitablement, ils assurent le non développement de ces pays. Dans ces conditions, la fameuse aide publique au développement tant chantée par ses donateurs, n’est en réalité qu’une aide au non développement, afin de permettre aux bénéficiaires de garder juste la tête hors de l’eau.

Mais, avec ces « indépendances » formelles, pour pouvoir continuer l’autocratie coloniale et l’exploitation économique des anciennes colonies, en l’absence du colon, il faut nécessairement trouver des « vassaux », des « nègres de maison » acquis à ce type de gouvernance et prêts à agir strictement selon les directives de la métropole. L’autocratie devient ainsi l’invariable sur lequel reposera durablement les rapports politiques entre la France et ses anciennes colonies. Dans le cadre de cette gouvernance, la France continue donc à piller allègrement les ressources naturelles de ses anciennes colonies (ressources vitales pour améliorer sa situation économique et financière), tout en concédant à ses serviteurs locaux des miettes leur permettant de mener à leur tour une vie confortable dans l’océan de misère dans lequel patauge l’écrasante majorité de leurs concitoyens. S’il est certain qu’aucun développement économique et social n’est possible pour les pays qui subissent un tel mode de gouvernance, il est aussi évident que, de par sa nature coercitive, répressive, et exploiteuse, l’autoritarisme ne peut que conduire à terme à des contestations et des soulèvements populaires susceptibles de compromettre son existence. Aussi, est-il nécessaire de prévoir des formules pour sa perpétuation, notamment en promouvant, dès que la nécessité se fait sentir, des régimes politiques susceptibles de garantir sa pérennisation. A cette fin, trois types de régimes politiques ont, jusque-là, été expérimentés.

Dans un premier temps, on dut recourir au régime du parti-Etat. Dans cette optique, au Niger, le seul parti d’opposition, le Sawaba, fut dissous dès octobre 1959, pour faire place nette au Parti Progressiste Nigérien, section du Rassemblement Démocratique Africain (PPN/RDA), dont l’avènement fut grandement facilité par le pouvoir colonial français auquel il avait fait allégeance. Au bout de quinze années de règne sans partage, de 1960 au 15 avril 1974, le régime du PPN/RDA affaibli par des contradictions au sein de son organe dirigeant, confronté aux conséquences d’une sécheresse et d’une famine décimant population et cheptel, présentant un bilan peu reluisant, est renversé par un putsch militaire dirigé par le Chef d’Etat Major des FAN, le Lieutenant-Colonel Seyni Kountché. Les populations nigériennes accueillent avec soulagement la fin d’un autoritarisme qui s’exerçait au profit d’une petite oligarchie.

Le coup d’Etat militaire intervenu au Niger le 15 avril 1974 n’est d’ailleurs pas une première dans l’ouest africain. Bien avant, il y a eu des coups d’Etat militaires : le 13 janvier 1963 au Togo où le Président Sylvanius Olympio est éliminé par le sergent Etienne Eyadéma ; le 28 octobre 1963, le Président Hubert Maga du Dahomey (actuel Bénin) est renversé par un coup d’Etat militaire dirigé par son conseiller militaire, le Colonel Christophe Soglo ; le 3 janvier 1966, en Haute-Volta, le Président Maurice Yaméogo contraint à la démission, est remplacé par son Chef d’Etat-Major, le Lieutenant-Colonel Sangoulé Lamizana ; le 19 novembre1968 au Mali où le lieutenant Moussa Traoré démet le Président Modibo Keita . Derrière au moins deux de ces premiers coups d’Etat militaires, ceux du Mali et du Togo, des soupçons existent quant à l’éventualité d’une manipulation extérieure, précisément de l’ancienne puissance colonisatrice, vivement préoccupée par le fait que les Présidents Sylvanius Olympio et Modibo Keita œuvraient pour une véritable indépendance de leurs pays respectifs. Ailleurs, la situation socio-économique catastrophique et l’injustice sociale ont été les principales raisons avancées par les putschistes pour justifier leurs actions.

Les régimes d’exception qui en ont résulté ont permis de donner un nouveau souffle à l’autocratie et au système d’exploitation économique mis en place par le colonisateur. Mais, les mêmes causes produisant les mêmes effets, au bout de quelques années, ces régimes évoluant dans le même cadre de non développement défini et imposé par le colonisateur, atteignent également leur limite. Si bien qu’à la fin des années 80, la plupart d’entre eux se trouvaient à la tête de pays croulant sous le poids de la dette, ayant subi des programmes d’ajustement structurel (PAS) inefficaces, avec des économies moribondes et une situation sociale explosive du fait de la paupérisation grandissante des populations. Que faire ?

Cette fois, c’est la démocratie qui est choisie comme élément de perpétuation de l’invariable : l’autoritarisme et le système économique qu’il défend. Ainsi, le 20 juin 1990, dans son allocution d’ouverture de la 16ème Conférence des Chefs d’Etat de France et d’Afrique tenue à La Baule (France), le Président français, François Mitterrand, faisait savoir à ses hôtes que, dorénavant, l’octroi de «l’aide publique au développement» ou, par parler net, «l’aide au non développement» (outil privilégié de chantage des impérialistes occidentaux à l’égard des dirigeants des pays sous-développés, notamment ceux d’Afrique), est assujetti à l’instauration de la démocratie. En Afrique, le besoin de démocratie existait bien avant cette date dans les milieux scolaires, universitaires et chez certains intellectuels, mais il a toujours été étouffé par les dirigeants. A présent que le « maître blanc » a indiqué la voie, il importe de la suivre. Sachant que la démocratie véritable est le fruit d’une lutte interne, que vaut une démocratie suscitée par injonction ?

La Démocratie, le nouveau cheval de Troie

A priori, la Démocratie définie comme « le pouvoir du peuple, par le peuple, et pour le peuple » est censée être la meilleure forme de gouvernance pour garantir une prise en charge effective de l’intérêt général. Mais, pour qu’il en soit ainsi, encore faudrait-il qu’elle soit animée par de vrais démocrates, des acteurs soucieux de sa concrétisation. Or, comme on le sait, les expériences démocratiques amorcées en Afrique au début des années 90 sont, pour l’essentiel, le fruit de l’injonction faite à La Baule. Naturellement, cet aspect constitue le talon d’Achille de cette démocratie extérieurement suscitée qui, dans les faits, va très vite être manipulée et dévoyée pour servir d’oripeaux à un autoritarisme rampant qui finira par régenter la situation socioéconomique des pays engagés dans cette voie. 

Hélas, c’est ce qui advint au Niger, surtout au cours des douze dernières années. Formellement, la démocratie est présente, car toutes les institutions et les textes y afférents sont disponibles. Mais dans la réalité, elle a été progressivement vidée de son contenu pour donner naissance à une situation où les citoyens, dans leur écrasante majorité, subissent les affres d’une autocratie soutenue à l’intérieur par une oligarchie composée des membres de l’alliance politique gagnante et, à l’extérieur, par les puissances impérialistes intéressées uniquement par l’exploitation à vil prix des ressources naturelles du continent. Comment en est-on arrivé là ?

Au Niger, dès le départ, on opta pour le pluralisme absolu et un régime semi-présidentiel. Ce pluralisme absolu donna naissance à une floraison de partis politiques (nous sommes actuellement à plus d’une centaine de partis politiques), ce qui fait que pour espérer gagner les élections et gouverner, il faut nécessairement conclure des alliances, très souvent des alliances contre nature entre partis politiques ne partageant pas forcément le même idéal, le même projet de société. Outre cette réalité, il y a aussi l’option prise très tôt pour le régime semi-présidentiel qui, en cas de non concordance des majorités présidentielle et parlementaire, peut aussi être une source potentielle d’instabilité. Et c’est ce qui arriva au Niger après la défaite de la majorité présidentielle aux élections législatives anticipées du 12 janvier 1995 : 40 députés pour la majorité présidentielle contre 43 députés pour l’opposition, ouvrant ainsi une période de cohabitation houleuse qui contribua largement à fragiliser la jeune démocratie nigérienne et à susciter le coup d’Etat militaire du 27 janvier 1996 qui mit un terme à la IIIème République. Les autres handicaps, ce sont le manque de moyens financiers pour conduire une politique autonome de développement devant faire une différence nette avec les régimes politiques antérieurs, et le «pouvoirisme» , c’est-à-dire la conquête du pouvoir politique par tous les moyens et sa préservation le plus longtemps possible à des fins d’intérêts strictement égoïstes. Cette dernière préoccupation amène toujours les gagnants à fouler au pied les principes démocratiques. Les élections deviennent alors de moins en moins transparentes et inclusives ; avec la part nette que se taille l’exécutif dans la conduite des affaires de l’Etat, le principe de la séparation des pouvoirs n’existe que de nom : l’Assemblée Nationale où les députés membres des partis politiques alliés détenteurs du pouvoir exécutif sont majoritaires, est transformée en une caisse de résonnance ; l’indépendance de la justice laisse à désirer ; l’Etat traversé par la politique de partage en matière de nomination à des postes de responsabilité et d’attribution des marchés publics, devient une coquille vide, transmué en lieu d’affaires  : népotisme, corruption, concussions, passe-droits, surfacturations, fausses factures, détournements de deniers publics, divers scandales financiers ; l’administration publique est en somnolence ; les libertés fondamentales, notamment les libertés d’expression et de manifestation, sont bafouées. Le peuple muselé, privé de ses libertés fondamentales, gémit, ploie sous le poids d’injustices diverses. Au fil du temps, le diktat de l’extérieur, notamment celui de la France, dans la marche de l’Etat devient de plus en plus net. Les illustrations les plus parlantes sur ce plan ce sont les installations anarchiques et illégales de bases militaires étrangères en divers endroits du territoire national et leur influence sur la politique sécuritaire de l’Etat.

Bref, progressivement l’expérience démocratique a conduit à un autoritarisme pur et dur et à la perte par l’Etat d’une bonne partie de sa souveraineté. L’Etat se délite. La situation socioéconomique du pays est loin de refléter les taux de croissance à deux chiffres annoncés avec grand bruit. Un des signes évidents sur ce plan, c’est la nuée de mendiants qui déambulent dans les rues des grandes villes du pays, particulièrement dans la capitale. Leur nombre croît de jour en jour avec l’arrivée des déplacés internes condamnés à quitter leurs terroirs à cause des actions terroristes.

Voilà dans quel contexte est survenu le coup d’Etat militaire du 26 juillet 2023 au Niger. Quelle serait alors l’utilité, pour les populations nigériennes, d’un tel ordre constitutionnel, d’une telle « démocratie », au point de menacer le Niger d’une agression militaire au cas où il ou elle ne serait pas rétabli(e) ? Peut-on, dans ces conditions, raisonnablement soutenir le bien-fondé d’une intervention militaire, ainsi que le veut la CEDEAO, rien que pour rétablir un ordre constitutionnel qui, en réalité, n’en est pas un ? En effet, cet ordre n’est constitutionnel que de manière formelle, car dans le fond il est purement autocratique. Le cas échéant, c’est le peuple nigérien qui, au lendemain du coup d’Etat, allait engager la lutte pour restaurer le Président déchu dans ses fonctions. Or, dans les faits, c’est tout le contraire qu’on observe : à travers de gigantesques marches de soutien suivies de meetings, tant à la capitale qu’à l’intérieur du pays, le peuple a clairement exprimé tout son soutien aux militaires putschistes qui, dans son entendement, n’ont fait que concrétiser un travail qui est le sien, mais que son musellement ne lui a pas permis d’accomplir. Voilà pourquoi, comme dans les cas récents du Mali et du Burkina Faso, les auteurs du coup d’Etat militaire intervenu le 26 juillet 2023 au Niger, sont grandement soutenus et adulés. Dans tous ces cas, l’immense soutien populaire devrait être compris comme l’expression d’un ras le bol qu’il importe à présent d’expliquer.

Le mal africain

Tout ce qui précède démontre clairement que le « non développement » de l’Afrique a été sciemment programmé et maintenu par les impérialistes, notamment la France pour ce qui est de ses anciennes colonies africaines. Que ceux-ci s’adonnent à une telle politique n’a, en soi, rien de surprenant, rien d’étonnant. Mais le plus déroutant et le plus écœurant, c’est la facilitation de sa mise en œuvre grâce à la ferme collaboration ou appui apporté aux exploiteurs des ressources africaines, par certains Africains qualifiés, selon les milieux, de «vassaux», de «valets», ou de «nègres de maison» ; sous certains cieux les personnes de leur catégorie sont désignées par le terme de «collabos» (diminutif de «collaborateurs»), c’est-à-dire ceux qui lient langue avec l’ennemi pour nuire à leur peuple. Pour corroborer ce qui vient d’être relevé, référons-nous aux grandes étapes des six derniers siècles de l’histoire de l’Afrique.

Durant la longue période de la traite négrière transatlantique (XVè-XIXè siècle), qui a fourni aux négriers la marchandise humaine, les esclaves ? Ce sont les potentats africains et leurs hommes de main. Lorsque, à la fin du XIXème, la conquête de l’Afrique fut décidée, qui réalisa cette sale besogne ? Des troupes de conquête coloniale composées d’hommes de troupe africains (les «tirailleurs sénégalais», désignés ainsi, qu’ils fussent du Sénégal ou non), avec à leur tête une dizaine de sous-officiers et officiers blancs. Le système colonial une fois bien installé, c’étaient également des Africains qui avaient constitué les bras armés par garantir sa sécurité et son bon fonctionnement en matant sans état d’âme tous leurs frères récalcitrants qui venaient à exprimer leur désaccord. Au moment des « indépendances » concoctées sur mesure, à qui avait-on pris soin de confier la mise en œuvre ? A quelques exceptions près, aux plus dociles parmi les Africains prêts à assumer cette tâche sous l’œil vigilant de l’ancien maître des lieux. Ce qui fait, qu’en réalité, même si le maître blanc n’est pas physiquement présent, la machine administrative qu’il avait pris soin de mettre en place, cadrée par les accords secrets évoqués plus haut, fonctionnait à merveille.

Partant de ce qui précède, on peut donc sans exagérer dire que depuis que l’Afrique a rencontré l’Europe sur son chemin, ses premiers ennemis sont certains de ses propres fils, toujours prêts à servir des intérêts étrangers en contrepartie de quelques miettes leur permettant de mener une vie de relatif confort face à la grande masse des Africains vivant dans une grande misère créée et entretenue par un système d’exploitation abject qui leur est imposé des siècles durant. Il y a donc une constante dans l’histoire de l’Afrique : le mal africain, sa domination par des puissances extérieures, trouve en grande partie sa source en Afrique même. Comme le disent les Hausa : «Ba’a cin gari sai da dan gari» (On ne peut aisément conquérir une cité sans la traîtrise de certains de ses fils). Mais le plus inquiétant, c’est que cette réalité perdure.

Néanmoins, l’espoir est permis, lorsqu’on tient compte des changements importants en cours d’accomplissement de par le monde. Sur le plan international, le monde unipolaire mis en place au seul profit de l’Occident, est de nos jours sérieusement menacé par la naissance des BRICS qui œuvrent pour l’avènement d’un monde multipolaire. La révolution numérique fait aussi que le monde est devenu un village planétaire : les informations circulent à grande vitesse et à l’échelle de la planète, et un tel contexte ne facilite guère la mise en œuvre de plans sordides pour sauvegarder les intérêts occidentaux. 

Sur le plan africain aussi, il y a un changement des mentalités : les jeunes qui constituent l’écrasante majorité de la population n’ont pas connu la colonisation ; ils sont bien informés et ils ne développent aucun complexe d’infériorité vis à vis de l’homme blanc. Le courant panafricaniste représenté par certains médias africains (Afrique média, la Télévision Panafricaniste…), très présents et très suivis, fait un important travail d’éveil des consciences. Au niveau même des anciennes colonies toujours dominées, les chevaux de Troie jusque-là utilisés : régimes de parti-Etat, régimes d’exception militaires françafricains, Démocratie de façade, ont tous atteint leur limite. Manifestement, il y a un piétinement des tentatives actuelles de vouloir déstabiliser les Etats de l’ouest africain en recourant à des campagnes de désinformation, des guerres par procuration à travers le développement du terrorisme, ou du crime organisé, et la manipulation de certaines institutions internationales (l’exemple récent de la CEDEAO, fortement soupçonnée d’être manipulée par la France, lorsqu’elle projette une attaque armée contre le Niger, suite au coup d’Etat du 26 juillet 2023 pour, dit-on, sauver un « Président démocratiquement élu »).

S’opposer aux coups d’Etat militaires patriotiques en Afrique pour sauver les « régimes constitutionnels » et les chefs d’Etat « démocratiquement élus », tel semble être le nouveau subterfuge trouvé par les néocoloniaux aux abois, afin de sauvegarder leurs intérêts sérieusement menacés. Mais la fragilité d’une telle parade, c’est que les coups d’Etat qui entachent l’ordre constitutionnel qu’on tient à sauvegarder ne sont pas que militaires. Lorsqu’on procède à des braquages et des bourrages d’urnes, lorsqu’on intimide, menace de paisibles électeurs, lorsqu’on ôte la vie à certains membres de la commission électorale pour des raisons inconnues, lorsqu’on tripatouille les constitutions pour se donner la possibilité d’un troisième mandat anticonstitutionnel, ne sont-ce pas là des faits constitutifs d’un coup d’Etat civil. Mais les coups d’Etat civils ne sont jamais sérieusement dénoncés par les défenseurs de la « démocratie », surtout lorsqu’ils font l’affaire de leurs valets locaux. Quant aux coups d’Etat militaires ils sont appréciés différemment selon leur nature : « les coups d’Etat militaires françafricains » sont tolérés voire acceptés, tandis que les coups d’Etat militaires patriotiques, accomplis pour sauvegarder l’intérêt général fortement menacé, sont fermement condamnés et combattus. L’illustration sur ce plan est donnée avec les récents coups d’Etat militaires intervenus au Mali, au Burkina Faso et tout dernièrement au Niger qui, manifestement, donnent du tournis à la France et ses supplétifs locaux. Paradoxalement, dans les trois cas, le désir clairement exprimé par les auteurs des coups d’Etat de lutter pour la sauvegarde des intérêts nationaux, la souveraineté effective de leurs Etats respectifs, bref de donner un véritable sens à l’indépendance de leurs pays, a poussé la CEDEAO, une institution internationale dont la mission première est d’œuvrer à l’intégration économique des Etats membres, de décider, à l’encontre de leurs pays, une panoplie de sanctions illégales illégitimes et inhumaines. S’agissant du Niger, il a même été décidé une intervention militaire si le Président déchu n’est pas restauré dans ses fonctions au bout d’une semaine. Quelle pourrait être la justesse de mesures aussi draconiennes de nature à asphyxier économiquement des populations innocentes juste pour des questions de principes démocratiques non respectés d’ailleurs par certains des décideurs ?     

Quoi qu’il en soit, notre intime conviction, c’est que tant que les coups d’Etat civils et les coups d’Etat militaires françafricains seront acceptés, la spirale des coups d’Etat militaires patriotiques ne s’arrêtera pas. Et, de toute évidence, dans les rapports entre l’Afrique et l’Europe ou l’Occident d’une manière générale, particulièrement entre la France et ses anciennes colonies de l’ouest africain, les liens néocoloniaux ne pourront plus perdurer. Assez illustratifs sur ce plan sont les décisions consécutives aux coups d’Etat militaires patriotiques précités : fermeture des bases militaires étrangères, notamment françaises, la dénonciation des accords de défense et de sécurité avec l’ancienne métropole, les mesures de réciprocité en cas de sanctions, etc.

Certes, l’impérialisme est secoué, mais il faut se garder de crier victoire. Les impérialistes ont d’importants intérêts à défendre et ils agiront sûrement. Sinon, a-t-on vraiment besoin de recourir à des sanctions aussi excessives, d’asphyxier tout un peuple qui n’aspire qu’à vivre en paix,  rien que pour faire recouvrer à un Président déchu son fauteuil ou pour faire respecter des principes démocratiques foulés au pied par certains dans le rang même des auteurs de ces sanctions ? Notre intime conviction, c’est tout cela n’est que prétexte pour occulter le déroulement d’un agenda caché visant à déstabiliser le Niger et, au-delà, l’ouest africain dans son ensemble, y semer le chaos, et permettre la poursuite de l’économie de pillage.

C’est pourquoi les peuples africains doivent rester vigilants, se tenir comme un seul homme derrière leurs armées respectives jusqu’à la victoire définitive. Ce qui requiert aussi que les citoyens transcendent leurs égoïsmes et les clivages de toutes sortes pour ne voir que la patrie. Pour ce faire, il importe prioritairement d’engager un combat acharné pour éradiquer la race des « nègres de maison », la racine principale du mal multiséculaire qui ronge l’Afrique, qui freine son développement, et qui la maintient dans la servitude aux seuls profits des «pauvres/riches » . L’acharnement actuel de certains chefs d’Etat de la CEDEAO, manifestement manipulés par certaines puissances occidentales, pour lancer une attaque militaire contre un Etat membre, le Niger, juste pour restaurer, un « Président démocratiquement élu » même si cette opération devrait coûter la vie à plusieurs nigériens innocents, cet acharnement dis-je, prouve suffisamment le danger que constitue pour l’Afrique, la race des « nègres de maison ». Car, en ce début du XXIè siècle, à l’instar des potentats africains ravitailleurs en esclaves des négriers durant la longue période de la traite négrière transatlantique, à l’instar des « tirailleurs sénégalais » qui avaient massacré leurs frères au tournant des XIXè et XXè siècles pour faire place nette aux colonisateurs, ces chefs d’Etat de la CEDEAO sont prêts à lancer des militaires africains pour aller tuer d’autres militaires et civils africains, tout cela pour sauvegarder les intérêts des impérialistes. L’histoire se répète-t-elle ? Il n’y a qu’en Afrique qu’on peut voir une telle ignominie.

(A suivre)

Pr Maïkoréma ZAKARI

Institut de Recherches en Sciences Humaines (IRSH)

Université Abdou Moumouni de Niamey

Source : https://www.lesahel.org