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Pardon et oubli : Le discours du général Tiani doit être recadré

pardon et oubli le discours du general tiani doit etre recadreDepuis que, lors de la réception officielle du rapport des Assises nationales, le Président du CNSP, Chef de l’Etat, le Général de Brigade Abdourahamane Tiani, avait parlé de « pardon et d’oubli », l’on ne peut que tout entendre dans le pays. Face à ceux qui, nombreux, en sont écoeurés, parce que voyant une volonté de consacrer l’impunité, il y a ces autres qui sont indignés par les vives protestations de certains Nigériens qui ne comprenaient pas, dans la réalité et la profondeur des malaises nigériens, cet appel qui a du mal à passer dans l’opinion. Ceux là font croire que ces autres Nigériens seraient opposés à une idée de pardon, alors qu’il n’en est rien.

Aucun Nigérien n’est contre le fait que les Nigériens se pardonnent. C’est un fait. Mais il y a, quand on le leur demande, deux problèmes. Le Premier c’est de demander aux Nigériens de pardonner quand le CNSP ne peut lui-même, alors que cela fait plus d’un an, être capable de pardon vis-à-vis de frères d’armes qui auraient tenté un coup d’Etat, la même faute, si c’en est une, par laquelle, lui aussi, avec plus de chance, venait au pouvoir un 26 juillet 2023. La deuxième est qu’il serait immoral de laisser des gens s’en aller avec des fortunes volées, sans qu’ils ne les rendent, à défaut de faire face à la justice pour répondre au pénal d’actes repréhensibles dans un Etat de droit.

Comment pardonner à des hommes qui ont détruit l’économie du pays, détourné presque tout à leur compte en se servant souvent de prête-noms et de sociétés-écrans, acquérant des appartements à l’étranger alors que leurs revenus légaux ne peuvent justifier tant de fortunes ? Comment pardonner à des gens qui ont détruit des hommes, des familles, des enfants innocents, des partis politiques, socles de la cohésion nationale, des syndicats, des regroupements de la société civile, et pour tout dire, qui ont détruit le vivre-ensemble séculaire ? Est-ce franchement pardonnable ? Là se trouvent tous les problèmes et on comprend que certains s’en indignent, sans écouter les profondeurs du discours du Président nigérien qui avait, du haut de son âge et de son rang, promis, qu’il ne protégera personne. Son engagement moral et politique sur un tel sujet et une telle promesse était pourtant fort pour qu’on en doute.

Il sait qu’il y a donc des préalables avant d’aller au pardon. Mais, alors que l’on pourrait pardonner après ces préalables, peut-on, pour autant, oublier ? Quand des familles ont perdu les leurs dans des situations troublantes, quand des hommes sont blessés dans leurs intimités profondes, quand, à jamais, à certains, rappelés à Dieu, il est impossible de faire justice, peut-on franchement pousser des familles déchirées à oublier ? On n’avait jamais vu ce qu’on a vu les dix années de Renaissance d’un certain Issoufou : on savait s’opposer mais on n’était jamais arrivé à se détester tant, comme on l’a vu sous son règne qui aura profondément marqué l’esprit des Nigériens. Il y a mille et une choses qui ont besoin de réparation pour soigner la confiance que nous devrons avoir les uns pour les autres afin de réapprendre pour notre vivre-ensemble que nous perdions par les méchancetés que nous avons eues par le dévoiement de la démocratie. C’est à juste titre que le CIRAC a rappelé dans sa dernière déclaration que « […] l’histoire des peuples nous enseigne que pour que la cohésion sociale soit sincère et durable, le pardon doit réunir trois conditions : Premièrement, il doit reposer sur la divulgation de l’exacte vérité en relation avec les griefs exprimés et les faits reprochés ; deuxièmement, il nécessite que justice soit faite pour les crimes et délits commis, et que tous les auteurs et coauteurs et complices répondent de leurs actes. Si justice n’est pas faite, ces individus excédés finiront par se faire justice eux-mêmes avec un risque avéré d’exacerbation des conflits sociaux ; enfin troisièmement, le pardon requiert le repentir des coupables ». Il ajoutera que par rapport au pardon que recommandait le Général Tiani « […] il faut seulement rappeler qu’un peuple qui oublie son passé se condamne à le vivre. C’est pour ne pas oublier que les historiens oeuvrent à nous faire connaitre notre passé ». Le discours de Tiani, malgré les spéculations justifiées et donc compréhensibles – mais non justes – auxquelles il poussait bien de personnes, ne devrait pourtant pas avoir ces interprétations tendancieuses qui trahissent le fond d’une pensée somme toute saine. Le pardon, et notamment celui dont parle le Général, faut-il en convenir, est un besoin immense de notre société endolorie non pour absoudre les crimes, mais pour que les ressentiments que les uns ont eus pour les autres soient assouplis. Ce pays a un immense besoin de paix, qui passe forcément par la paix des coeurs, débarrassés de toute haine. Il reste que, pour la Justice, le CNSP sait bien qu’il y a des blessures à soigner, des crimes à expier. C’est du moins pourquoi, dès le départ, le Président Tiani avait averti qu’il ne venait pour protéger personne et chacun devrait faire face à sa gestion, à tous les griefs dont on l’accable.

Tiani sait la gravité des responsabilités qu’il prenait depuis qu’il prit les rênes du pouvoir, à la tête de 26 millions de Nigériens qui le regardent et attendent de lui, jusqu’à l’impossible, pour changer leur vie et changer le pays. Pour mettre de l’ordre, il sait les terribles décisions à prendre. Du reste, chacun ne sera responsable que de ce qui lui arrive car à la fin, qui n’a rien fait, n’a rien à craindre des chemins à prendre avant d’aller à un probable pardon. Il en a conscience et il sait qu’il joue pour un peuple et pour l’Histoire.

Alpha (Le Courrier)