Niger - Transition / Refondation : la lutte contre l’impunité en panne ?
Personne n’avait cru que des militaires pouvaient hésiter de s’attaquer aux questions d’injustice, de lutte contre la corruption et les infractions assimilées. Quand les militaires venaient au pouvoir et que l’on voyait la grande débandade des ténors de l’ancien régime qui sortaient du pays, par différents moyens et déguisements et autres ‘’voies clandestines’’, pour aller se réfugier dans la sous-région, et ceux qui avaient trop pris peur, allant jusqu’en Europe auprès de Macron pour trouver protection, l’on avait cru qu’ils avaient conscience de ce que la main d’un soldat ne tremble pas lorsqu’il s’agit de rendre justice et qu’ils pouvaient redouter que leur gestion ne les rattrape. Les Nigériens avaient alors cru que quelque chose allait changer dans le pays et qu’il allait trouver sa normalité pour renouer avec les bonnes pratiques et les valeurs que l’on reconnaissait, en d’autres temps, aux Nigériens. Une année est passée et l’on avait pensé qu’il fallait encore laisser le temps à la transition de s’installer, parce que la lutte contre l’impérialisme ne lui donnait pas assez de temps pour s’attaquer avec détermination aux problèmes intérieurs. Mais, voici deux années qui sont passées sans que, jusqu’ici, l’on ne voie la transition aller dans cette lutte, et en plus un pardon s’est invité dans le débat pour reléguer la révolution aux calendres grecques. Pour les Nigériens, à tort ou à raison, la transition ne pourrait jamais aller dans cette démarche, marchant encore avec les mêmes qu’on lui demande de traquer. Même la Coldeff, mise en place dans l’euphorie du coup d’Etat et la ferveur populaire qu’il a provoquée, après des bisbilles et des querelles internes, avait été dissoute pour mettre en place une nouvelle équipe qui ne permit pas de rassurer les Nigériens car, depuis qu’elle entrait en fonction, les Nigériens n’avaient plus aucune information sur ce qu’elle fait a fortiori sur les résultats de ses investigations. C’est l’opacité totale qui entoure son travail comme, du reste celle-ci entourait la gestion de ceux qu’elle est appelée à élucider pour mettre fin aux pratiques que le parti socialiste venait cultiver dans l’administration et dans le champ politique.
Pourtant, le Général Tiani avait promis de s’en occuper et faisait le serment de ne pas trahir cette aspiration légitime des Nigériens lorsqu’il pouvait, publiquement, demander aux Cieux de l’en éprouver si jamais il manquait à cette attente. Mais, l’attente aura été longue et l’on ne voit rien venir qu’on ira à la chasse des indélicats. Pire, ceux qui, par rapport à bien de dossiers, auraient pu répondre de leur gestion et qui s’étaient retrouvés en prison – peut-être pour préserver leur intégrité – avaient fini par être libérés au nom d’un pardon jugé par l’opinion discriminatoire qui ne devrait pas concerner certains autres Nigériens en prison ; un pardon qui, plus que pour ce fait, est controversé quand, absolvant le crime dans un pays qui prétend faire le choix de la refondation pour mieux assoir une société de justice à laquelle aspirent les Nigériens.
Le pardon que le CNSP fabriquait pour dédouaner l’ancien régime de payer pour ses fautes de gestion peut-il aider à renforcer la refondation et à cultiver la cohésion nécessaire pour tenir dans la révolution ? Et cette autre question vient au sein de l’opinion :
Peut-on réparer l’injustice par l’injustice ?
Sans doute que non, et on comprend pourquoi, de plus en plus, les Nigériens sont sceptiques, à croire au CNSP et à sa refondation. Quand, se servant du pardon, le CNSP trouvait le moyen de libérer ceux dont le sort semble lui tenir plus à coeur et qui sont d’un camp de l’ancien régime pour ainsi conforter des complicités et des proximités soupçonnées. Depuis, l’on ne peut que douter de la sincérité de la refondation qui, en plus, a fait le choix de maintenir des équipes, travaillant avec le personnel politique hérité dans l’administration, une administration gangrenée par la corruption, l’affairisme, le favoritisme et le clanisme ordurier pour un pays qui prétend être une nation, où seul, en principe, la compétence et l’intégrité comptent.
C’est à juste titre que les Nigériens se demandent depuis des semaines, ce que sont devenues les conclusions des Assises nationales dont ils soupçonnent que le but n’était que de donner à la transition le prétexte de libérer ceux qu’elle était contrainte d’envoyer en prison pour contenter une opinion nationale très remontée contre l’ancien régime défait et dont la gestion de Bazoum n’était qu’un aboutissement, non un commencement.
C’est donc avec un sentiment d’amertume que les Nigériens regardent les conclusions des Assises nationales mises dans le placard, confirmant ce qu’ils redoutaient depuis qu’ils voyaient certains acteurs proches d’Issoufou prendre place dans ce tournant, donnant ainsi à douter de l’option révolutionnaire et conforter dans leur jugement, ceux qui avaient déjà dit que le coup d’Etat servait des intérêts isolés qu’on ne tarderait pas à voir. Et des signes sont apparents.
Mais, est-ce juste le fait de la perception d’observateurs impénitents qui soient impatients de voir la transition prendre à bras le corps la question de la Justice qui, en même temps qu’elle mettra les Nigériens en confiance avec leur Justice, pourra permettre de rassurer chacun en ce que personne, désormais, dans le nouveau Niger, ne peut être au-dessus des lois de la République ? Et cette question revient, plus tenace que jamais :
La lutte contre l’impunité serait- elle en panne ?
Pourquoi donc les militaires au pouvoir font-ils tant preuve de laxisme pour s’attaquer aux dossiers brûlants de l’ancien régime que les premiers discours accablaient de crimes et de bévues multiples et multiformes ? Le CNSP – si tant est son choix – peut-il croire qu’il ait les moyens de protéger la pègre qui a conduit le pays dans cette situation ? Peut-il croire que pardonner de telles fautes puisse être la bonne solution pour créer les conditions d’une refondation véritable du pays ?
Aller au ressaisissement…
La refondation, si elle veut réussir, ne peut pas occulter la phase justice qui est un passage obligé, fondamental pour changer le pays. Le Prince qui gouverne, n’a que faire des visages des hommes, du martyr que leur gestion pourrait leur faire vivre et leur faire mériter, car la loi, dans un Etat normal et civilisé est aveugle, frappant indistinctement, sans s’occuper de ce qu’un tel ou un tel est un ami ou un parent, un proche ou même d’une famille respectable. Cette question de la lutte, tant qu’elle ne sera pas réglée, devra être un handicap majeur pour la conduite de la transition. La transition ne peut donc pas faire l’économie de cette étape nécessaire qui, seule, peut permettre de mettre en confiance et de rendre possibles les changements escomptés de cette révolution.
Mairiga (Le Courrier)