Niger – Lettre posthume à Hama Amadou : entre espoir brisé et retour à l’impunité
Excellence,
J’ai commencé à vous parler de cette Transition dont vous espériez beaucoup pour le Niger et son peuple. Votre génie et votre intelligence, vous espériez les mettre, une ultime fois au service de votre pays afin de contribuer qualitativement à mettre fin aux préoccupations primaires, aux incertitudes et aux angoisses de vos compatriotes. Pour vous, cette Transition militaire était l’ultime, celle du dernier tournant au bout duquel le peuple nigérien devrait trouver entière satisfaction à ses aspirations légitimes que sont la justice, l’éducation, la santé et un secteur agropastoral qui nourrit son homme et qui est pourvoyeur d’emplois et de ressources immenses pour le Niger. Oui, après tant de défis relevés partout où la République vous a placé, vous aviez, je m’en souviens, l’ultime espoir de pouvoir fixer les balises durables d’une refondation de la gouvernance, tel que le rêve le peuple nigérien. Hélas, Dieu en a décidé autrement et le Niger, aujourd’hui, semble patauger dans la boue gluante des tergiversations et des atermoiements face à ce qu’il convient de faire, signe que nous sommes loin d’être sortis de l’auberge. Plus que jamais, le Niger semble s’éloigner des repères importants pour s’embourber dans le blingbling d’une refondation qui n’a de fond que le nom. Ça parle beaucoup de valeurs et de vertus, mais les mauvaises pratiques et moeurs de gouvernance n’ont pas si varié et je crains fort que notre pays ne soit dans une dynamique de marche-arrière, tant les citoyens sont désorientés. Ils ont désormais perdu les repères qu’on leur avait agités au lendemain du 26 juillet 2023. Ils croyaient en la volonté du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp) de faire juger tous les scandales qui ont jalonné la 7e République, ils se sont désillusionnés en constatant que les mis en cause sont même parfois au-devant de la scène ; ils ont pensé qu’avec le Cnsp, le terrorisme et l’insécurité seront derrière eux, ils sont encore en train de compter leurs morts et de pleurer, plus que jamais en proie aux angoisses morbides ; ils avaient la conviction que leurs déceptions sont désormais derrière eux et que les aspirations du peuple sont au coeur de la vie publique, ils découvrent, choqués, que si le général Tiani a publiquement fait le serment de ne jamais trahir ces aspirations, des dispositions du rapport final des Assises nationales ont été frauduleusement modifiées, offertes aux Nigériens en guise de retour d’ascenseur et que, mine de rien, le Cnsp est en train d’oublier, si ce n’est déjà fait, que ce peuple a été son bouclier, celui derrière qui il s’est vautré pour demander le départ des troupes françaises.
Excellence,
Vous ne me croirez pas si facilement si je vous dis que les Assises nationales que l’on croyait porteuses d’espoir et de renouveau se sont révélées un tonneau des Danaïdes. Le Général s’est empressé de porter ses galons de général d’armée octroyés par les participants aux Assises, a dissous aussitôt les partis politiques et s’est vu attribuer, cerise sur le gâteau, le titre de président de la République sans qu’on parle toutefois de 8e République. La résolution portant sur les procès des scandales qui ont porté un grave préjudice à l’État, la principale préoccupation du peuple nigérien, dort encore dans les tiroirs du Président Tiani qui ne semble pas du tout pressé pour matérialiser cette attente forte de nos compatriotes. En vérité, des personnes bien avisées ont fait le pari que le Général a déjà accordé aux auteurs de détournements de deniers publics l’immense privilège de ne pas encourir les sanctions pénales prévues par la loi pénale nigérienne à travers l’ordonnance portant création de la Coldeff. C’est un pur produit de consécration de l’impunité, un pied de nez aux Nigériens qui n’ont pas, hélas, compris la portée et l’impact de l’article 22 et ses alinéas sur la lutte contre la corruption.
Excellence,
Dans quelques trois semaines, le Cnsp soufflera ses deux bougies à la tête de l’État. Le bilan est assurément mitigé, pour ne pas dire qu’il est décevant et sans perspective encourageante. Le discours souverainiste n’est plus qu’un lointain écho qui retentit de temps à autre, comme pour se convaincre que l’on est resté fidèle aux principes et aux positions de départ. Sinon, les faits, eux, chantent un tout autre air auquel adhèrent avec beaucoup d’enthousiasme le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l’Union européenne. Oui, je parle bien sûr de la même Union européenne qui a été stigmatisée et accusée de tous les maux à travers Eucap Sahel. L’argent, le nerf de la guerre, fait grandement défaut dans la lutte pour la souveraineté nationale et les autorités nigériennes négocient depuis quelques temps avec les instruments internationaux de l’impérialisme occidental. Les Nigériens ne comprennent plus rien à cette démarche insolite où on stigmatise les puissances occidentales et accourt, sans gêne, vers leurs instruments de vassalité. C’est à croire que nous sommes dans un théâtre où les acteurs jouent des rôles multiples, tantôt avec des masques, tantôt à visage découvert. Dans ce contexte de difficultés financières extrêmes, l’État recommence avec des prêts contractés auprès d’institutions financières diverses et la peur d’un endettement plus important que les 5 200 milliards révélés par le Premier ministre Mahaman Lamine Zeine lors de sa prise de fonction, en 2023, est plus que jamais présente dans les esprits. 400 milliards encaissés auprès de la Chine pour une avance sur le prix du pétrole vendu par le pipeline auraient servi presque entièrement à honorer des emprunts dont les échéances sont arrivées à terme. Je ne crois pas si des opérateurs économiques ont pu bénéficier de cette manne dans le cadre d’un apurement de la dette interne.
Excellence,
La situation est très critique. Elle est si critique que le Général a dû se résoudre à réunir les anciens dirigeants (anciens présidents, anciens Premiers ministres et anciens présidents de l’Assemblée nationale) pour faire le tour d’horizon de la situation et entrevoir des solutions possibles. Mais, je dois vous avouer, non sans surprise par ailleurs, que la montagne a accouché d’une souris et que toutes perspectives heureuses de cette rencontre sont désormais sujettes à caution. Après des heures d’horloge d’échanges que des échos disent houleux parfois et qui n’ont pratiquement servi à rien, le Général a convié ses invités à lui soumettre un document consensuel, à croire que c’est une ruse pour faire semblant. Des journaux ont rapporté la quintessence de ces échanges, mais qu’aucun de ces leaders politiques appelés à se prononcer sur la situation n’ose communiquer directement pour en informer le peuple nigérien.
Malgré la gravité de la situation, vos pairs leaders politiques se murent dans un mutisme total si bien que Mahaman Hamissou, qui a brisé ce mur de silence, les a durement épinglés dans un entretien accordé à TV Monde. Oui, il a été brave, ce cher Hamissou à qui on peut tout reprocher sauf qu’il manque de courage et de sincérité. Il a fait une analyse sobre et pertinente de la situation et il ne viendrait à l’idée de personne de lui contester la véracité de ses propos. La démission des acteurs politiques sur ce qui se passe est un fait et ils ne peuvent être excusés par le fait que les partis politiques sont dissous puisque cela ne leur enlève rien à leur statut et leur qualité de citoyens.
Excellence,
En attendant de voir comment Seïni Oumarou, Mahamane Ousmane et les autres vont réagir à cette mise au point de Mahaman Hamissou, nous sommes plutôt curieux de savoir, dans les prochaines semaines, comment le pouvoir en place va concilier sa politique de souveraineté et les exigences de la Banque mondiale et du Fmi dans les griffes desquels il s’est fourvoyé.
Laboukoye (Le Courrier)