Niger : de nouveau, sur la route… : Par BORY Seyni
Deux ans après sa prise de pouvoir, le Conseil national pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) est en butte à un désamour de plus en plus perceptible à travers les Réseaux sociaux qui, à défaut d’instituts de sondage, font office d’instruments de mesure de l’état de l’opinion.
A l’analyse de ce qui se dit ou s’écrit ici et là, le désenchantement diffus en question ne concerne pas les options fondamentales proclamées au lendemain des évènements du 26 juillet 2023 et pour la réalisation desquelles le pays tout entier s’était, et reste, mobilisé.De fait, il semble que ne sont en cause ni la réaffirmation, assumée, de la souveraineté nationale sur les ressources nationales marquée par la volonté de nationaliser le secteur minier, ni la reprise en main des questions sécuritaires avec le démantèlement des bases militaires et le départ, exigé, des troupes étrangères présentes dans le pays, ni la réorientation diplomatique vers de nouveaux partenaires. Et encore moins l’appartenance du Niger à la Confédération de l’Alliance des Etas du Sahel (AES : Mali, Burkina Faso, Niger) dont l’acte de naissance a été signé à Niamey par les dirigeants des trois pays le 6 juillet 2024. De nombreux observateurs sont d’avis que le malaise qui traverse aujourd’hui la société nigérienne dans toutes ses composantes trouve d’abord son origine dans une absence de résultats conséquents dans l’oeuvre de salubrité publique que devaient constituer la reddition des comptes et les suites judiciaires auxquelles il avait été promis de contraindre les «soldats et les soldates» de la si mal nommée «Renaissance» compromis dans la gestion des Actes I, II et III du régime éponyme de la 7ème république, pour des dossiers connus et documentés de concussion, de malversation et plus généralement de détournements de deniers publics.Les maigres montants des récupérations de l’argent volé publiés de temps en temps par la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale (COLDEFF) créée pour nettoyer les écuries d’Augias et mettre le pays dans ses droits avaient déjà laissé pantois plus d’un Nigérien.
Plus grand fut encore le désarroi lorsque, recevant officiellement le 10 mars 2025 le rapport des travaux des Assises nationales pour la Refondation, le général d’armée Abdourahamane Tiani appela ses compatriotes «au pardon»et à «l’oubli», sans que l’on sache à quoi exactement renvoie cette exhortation.En vrac et en désordre, faudrait-il donc oublier :
- Que des centaines et des centaines de jeunes militaires ont perdu la vie pour avoir fait face à l’ennemi avec des armes défectueuses parce que quelqu’un, quelque part, a fait main basse sur l’argent prévu pour l’achat de l’équipement approprié ?
- Que la région d’Agadez était encore, il n’y a pas si longtemps, la limite sud de l’Espace Schengen, au nom de la lutte contre l’immigration clandestine menée par l’Europe ?
- Que le territoire national a été, jusqu’aux évènements du 26 juillet 2023, transformé en un véritable Okinawa tropical où, sous couvert de lutte contre le terrorisme, petites, moyennes et grandes puissances implantaient à qui mieux mieux des bases militaires ?
- Que l’ancien président Issoufou Mahamadou a dit un jour, sur un ton menaçant, que ceux de ses compatriotes qui dénonçaient la présence militaire étrangère et l’opération française Barkhane au Sahel étaient pires que les terroristes ?
Ou que l’ex-président Mohamed Bazoum a, dans la même veine, déclaré une fois devant un public médusé que l’uranium ne valait plus rien, suggérant que c’est littéralement par … charité que la France l’achetait au Niger ?
Par de-là sa dimension morale pour le moins problématique, le geste magnanime du président Tiani pose un dilemme touchant à la base du Conseil national pour la Sauvegarde de la Patrie lui-même : la gabegie, les délits, crimes de trahison, forfaitures et autres soumissions aux intérêts étrangers aux dépens de ceux du pays qu’il demande aujourd’hui de pardonner et d’oublier sont en bonne place dans la liste des griefs énumérés contre les responsables de la 7ème république pour, à l’interne et à l’international, justifier son irruption sur la scène politique. Dans une déclaration-bilan de l’AN II du CNSP, rendue publique le 2 août 2025, le Cercle indépendant de Réflexion et d’Actions citoyennes (CIRAC), un ‘think tank’ nigérien, qui se veut lanceur d’alerte, observe : « La justice est indéniablement un des piliers majeurs de la construction d’une nation forte, prospère et épanouie. Le ‘vivre-ensemble refondé’ ne peut en aucun cas être envisagé avec la persistance de l’injustice, qu’elle soit judiciaire ou sociale. Il ne peut être durablement assuré tant que certains citoyens se croient au-dessus de toute punition devant leurs forfaitures de notoriété publique. Les torts innombrables et innommables commis contre l’Etat doivent être redressés et des sanctions appliquées avec rigueur pour servir de leçon et de pédagogie sociale afin de prévenir des récidives et des tentations malveillantes futures»…
Malgré les tentatives d’explication de texte des interprètes de la pensée présidentielle sur la nécessité de la réconciliation nationale--comme si le pays était fâché avec lui-même--, cette question de justice pour la communauté reste d’autant plus cruciale que les auteurs des torts que dénonce le CIRAC –une association reconnue pour le sérieux de ses analyses dans les chancelleries à Niamey et dans la sous-région-- n’ont pas fait le deuil de leur retour aux affaires, ainsi que l’atteste l’agitation fébrile des milieux qui leur sont proches.En vérité, des forces centrifuges sont à l’oeuvre : d’un côté, les partisans de l’ordre ancien, enhardis par l’impunité criarde dont ils ont bénéficié jusqu’à présent et, de l’autre, l’immense majorité des Nigériens et des Nigériennes qui ont cru au changement dans la gouvernance annoncé le 23 juillet 2023 et, par leur mobilisation, luttent pour faire en sorte qu’une Refondation authentique, aujourd’hui à portée de main, soit non seulement possible, mais irréversible.
Depuis le virage, contraint, des indépendances factices dans les années 1960 et les tentatives post Conférence Nationale d’implémentation de la «fiction démocratique» dans les années 1990, jamais, dans l’histoire du Niger, les termes de l’équation du maintien du pays dans les liens de la dépendance et de l’anachronisme institutionnel, ou de sa libération, ne se sont posés de manière aussi brutalement immédiate.
Par Bory Seyni