Niger - Assainissement des finances publiques : La Coldeff est-elle à bout de souffle ?
Partie sur des chapeaux de roue avec des sorties médiatiques pour annoncer le butin de guerre, la Commission de Lutte contre les Délinquances Economiques, Financières et Fiscales (Coldeff) semble, aujourd’hui, au ralenti. L’institution de contrôle de gestion publique, dirigée par le Colonel de Gendarmerie Abdoul Wahid Djibo, serait en quelque sorte stoppée dans son élan tonitruant du départ. Qu’est-ce qui pourrait expliquer, aujourd’hui, la grippe actuelle qui semble atteindre la Coldeff qui se noie, progressivement, dans la routine administrative habituelle ?
Un manque de volonté politique clairement affichée
Au lendemain des événements du 26 juillet 2023 ayant conduit au renversement du régime de la renaissance, beaucoup de Nigériens avaient fondé de grands espoirs dans le rétablissement de la justice sociale, l’assainissement des finances publiques et la moralisation de la vie publique nationale. Car, ce régime avait brillé de façon négative dans ce domaine. Il fallait donc pour le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (Cnsp) ’engager un grand chantier dans cette direction importante chère aux Nigériens. La mise en place de la Coldeff procédait sans doute de la prise en compte de cette exigence populaire de nettoyer les écuries d’Augias. Mais, malheureusement, le manque de rupture totale avec l’ancien ordre politique n’aura pas permis d’avoir le recul nécessaire pour mener efficacement ce combat de restauration de l’orthodoxie de gestion. En effet, l’on s’est vite aperçu que le changement profond auquel l’on s’attendait, après le renversement du régime de la renaissance, ne s’est guère opéré. En règle générale, après un coup d’Etat, les compteurs sont remis à zéro pour un nouveau. Mais, dans le cas de celui du 26 juillet 2023, l’on n’a pas assisté à ce remue- ménage profond afin de dresser un état des lieux exhaustif de toute la gestion du régime déchu et de celui qui l’avait précédé et dont, en réalité, il n’était que la continuation qui avait mal marché. Pratiquement, tout était resté en place, intact pour que rien ne bouge. Pire, les militants du principal parti de l’ancienne majorité au pouvoir, à savoir le Pnds/ Tarayya, étaient restés aux postesclés du pays. C’est par exemple le cas au niveau du Ministère des Mines où les mêmes à l’origine de tout ce désastre que le secteur minier national a connu ont été maintenus ou reconduits à leurs postes.
C’était dans un contexte pareil que la Coldeff a été mise en place, et dont l’on voulait qu’elle puisse atteindre de bons résultats. Or, en maintenant pratiquement l’ancien système administratif et technique, avec des cadres pleinement impliqués dans la gestion désastreuse du régime de la renaissance, le Cnsp n’aura pas, véritablement, aidé la Coldeff dans sa mission de redressement des finances publiques. C’est ainsi que d’anciens dossiers de scandales politico-financiers emblématiques, comme ceux du Ministère de la Défense Nationale (MDN) ou l’affaire dite de l’Uraniumgate, ont tout simplement disparu de la circulation, volatilisés dans la nature. C’est plus surprenant concernant le dossier du MDN dont la Justice, en son temps, s’était même saisie. Pourquoi ce dossier n’est plus à l’ordre du jour de la Coldeff, aujourd’hui, pourrait-on se demander légitimement ? Eh bien, la réponse en est simple, car certains des protagonistes de l’affaire ont encore pignon sur rue dans la transition politique actuelle. Et pour cette raison, le dossier du MDN n’a pas pu être enrôlé par la Coldeff .Il en est de même, manifestement, pour d’autres dossiers scandaleux du régime de la renaissance.
Comme on peut donc le voir, l’absence de rupture totale avec l’ancien régime aura durablement plombé l’oeuvre d’assainissement des finances publiques et de moralisation de la vie publique nationale. A quoi viennent s’ajouter les méthodes discutables de la Coldeff.
Les méthodes-cowboy de la Coldeff ont-elles atteint leurs limites objectives ?
L’Ordre National des Avocats du Niger s’est, le premier au Niger, indigné contre les méthodes de la Coldeff, dont entre autres l’interdiction faite aux conseils juridiques des mis en cause d’assister leurs clients lors des interrogatoires devant la Commission. Le Syndicat Autonome des Magistrats du Niger (SAMAN) y était aussi allé de son petit grain de sel dans cette croisade contre la Coldeff. Ainsi prise en sandwich entre ces deux institutions, en plus du manque de volonté politique pour lui donner des moyens assez conséquents pour mener à bien ses missions, la Coldeff peine, aujourd’hui, à atteindre sa vitesse de croisière. Les dispositions légales de son dessaisissement au profit de la Justice, lorsque le dossier est susceptible de recevoir une qualification pénale, plus celles relatives aux cas de contestation des faits par les mis en cause, n’ont pas, véritablement, facilité le travail de la Coldeff. Du coup, sans une synergie d’action avec l’institution judiciaire, la mission de la Coldeff s’en trouve, aujourd’hui, plombée. En fait, la méthode dissuasive de faire payer les mis en cause aura montré ses limites lorsque ceuxci viennent à contester les faits qui leur sont reprochés. Et dans ces conditions, elle n’a plus d’autre choix que transmettre le dossier à la Justice qui pourra décider, en toute indépendance, de la suite à donner à l’affaire. Au début, la méthode dissuasive avait semblé, relativement, bien marché, car les mis en cause avaient été impressionnés et intimidés par les méthodes musclées auxquelles la Coldeff avait eu recours pour obtenir payement des montants réclamés. Mais, depuis, peut-être, la jurisprudence Me Adamou Souna, ancien président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (Ceni), poursuivi pour le dossier du rapport de la Cour des Comptes, la Coldeff a pris du plomb dans l’aile, ces derniers temps, semble-t-il. En cause, le manque de complémentarité entre elle et la Justice, sans doute. Ayant probablement compris cette guéguerre, cette guerre de chapelle entre Justice et Coldeff, les mis en cause ne se gêneraient point pour demander à la Coldeff que leurs dossiers soient transférés à la Justice, puisqu’étant rassurés, une fois, entre les mains des juges, ils pourraient s’en tirer facilement avec les arguties juridiques de leurs avocats pour convaincre les magistrats.
Voilà, en fait, les raisons qui font, aujourd’hui, que la Coldeff paraît fringante qu’elle ne l’était, il y a quelques temps ! Sa procédure costaude, énergique, voire radicale, des premiers mois aura atteint, visiblement, ses limites face à la complexité du fonctionnement de l’appareil judiciaire qui aura considéré que la Coldeff était venue chasser sur ses terres sans son autorisation. Quelle désillusion !
Halidou Maiga (Le Monde d’Aujourd’hui)