Médiation des services secrets marocains : Bazoum peut-il être libéré ?
En janvier prochain, cela fera dixhuit mois que Mohamed Bazoum a été déchu de son trône par le Conseil National pour la Sauvegarde de la Nation (Cnsp), et est toujours détenu dans son ancienne résidentielle présidentielle en compagnie de son épouse. Faut-il le rappeler, leur fils, Salem Bazoum, qui était avec ses parents, avait été libéré grâce à la médiation togolaise et vit aujourd’hui aux Emirats-Arabes- Unis. La rupture du Cnsp avec la Cedeao, en janvier 2024, avait beaucoup ruiné les chances de succès des négociations pour obtenir la libération de Mohamed Bazoum. Depuis lors, la situation politique de Mohamed Bazoum n’a cessé de se détériorer, dont la terrible levée de son immunité présidentielle par la Cour d’Etat, en juin passé. Peu à peu, ses soutiens internationaux et nationaux se sont amenuisés. La France, la Cedeao et autre Communauté internationale ne semblaient plus s’intéresser au cas de Mohamed Bazoum. Le Togo s’était retiré du dossier pour aller s’occuper de ses intérêts stratégiques. Toutefois, en septembre dernier, les lignes semblaient avoir bougé avec les velléités des services secrets marocains (Direction Générale des Etudes et de la Documentation) qui entreprenaient une initiative auprès des autorités nigériennes au sujet de la libération de Mohamed Bazoum.
Pourquoi le Roi Mohamed VI s’intéresse au cas de Bazoum ?
Alors que tout le monde semblait abandonner Mohamed Bazoum à son triste sort, voilà que surgit le Roi du Maroc, Mohamed VI, dans ce dossier très explosif de la libération de l’enfant malheureux de Tesker. Alors, des questions doivent se poser pour tenter de savoir les raisons ayant conduit le souverain chérifien à voler au secours du président déchu du Niger. D’après des sources proches du dossier, le monarque marocain aurait agi par simple humanisme envers une personnalité pour laquelle il aurait de la peine de la voir continuer à vivre en détention. La même source indique Mohamed Bazoum avait toujours eu de la sympathie pour le royaume chérifien. Cependant, selon une autre version de l’intervention du Roi du Maroc dans le dossier de Bazoum, ce serait des considérations d’ordre communautaire qui y auraient été prédominantes. En effet, comme on le sait, Mohamed Bazoum appartient à la communauté arabe du Niger, et le Maroc étant un pays araboberbère. L’on connaît l’importance de la fameuse Ligue Arabe dont l’activisme en faveur des peuples arabes est bien connu. En fait, le Maroc, dans le dossier de Mohamed Bazoum, ne serait que le porte-parole attitré de cette entité défenseur de l’identité arabe dans le monde. Il semblerait que tous les pays du Golfe Persique seraient impliqués dans ce dossier au nom de ce panarabisme international. Même l’Arabie Saoudite serait concernée par cette médiation marocaine en faveur de Mohamed Bazoum.
Les chances de succès de la médiation marocaine
Jusque-là, toutes les tentatives pour faire libérer Mohamed Bazoum auront échoué. La médiation togolaise aurait pu aboutir, probablement, à des résultats satisfaisants, si la Cedeao n’avait pas torpillé les pourparlers avec la Cnsp entamés fin 2023 et début 2024. Entre-temps, la situation s’est compliquée avec la levée de son immunité présidentielle. Des groupes armés se revendiquent, depuis des mois, de la cause de Mohamed Bazoum et menacent ouvertement de s’en prendre aux installations pétrolières du Niger, aux FDS et aux populations civiles, si le régime du Cnsp ne libère pas le président déchu pour le réinstaller sur son trône. Ces derniers temps, les attaques terroristes contre le Niger se sont intensifiées. C’était dans ce contexte particulier qu’intervenait la médiation marocaine. Ainsi, au regard de tout ce tableau sécuritaire préoccupant et le rôle important que jouent certains partisans de Bazoum dans son exacerbation, l’on pourrait se demander les chances de succès de cette intermédiation. Pour preuve, cela fait plusieurs mois (depuis septembre) que les démarches ont été entreprises du côté marocain. D’après le journal panafricain, ‘’Afrique Intelligence’’, proche des services secrets français, le chef des services de renseignements du royaume chérifien avait fait le déplacement sur Niamey afin de rencontrer les autorités du Cnsp pour tenter de s’entendre sur les conditions de la libération de Mohamed Bazoum.Dans un premier temps, les rencontres s’étaient déroulées entre les deux services des renseignements des deux pays. Puis, quelques semaines plus tard, un groupe d’émissaires marocains aurait rencontré le Président du Cnsp.
Les conditions et appréhensions du Cnsp
On avait souvent entendu l’argument selon lequel le Cnsp ne serait jamais disposé à libérer Mohamed Bazoum pour quelques raisons que ce fût, car celui-ci représenterait une sorte d’’’assurance-vie’’ pour le Cnsp et son Président ! Pourtant, un an plus tôt, la médiation togolaise avait montré tout le contraire, puisque le Cnsp avait accepté de discuter de la question avec son interlocuteur togolais. A l’époque, le Cnsp, d’après des sources bien informées, était prêt à libérer Mohamed Bazoum, mais à certaines conditions, dont entre autres son exil dans tous autres pays sauf dans ceux de l’espace Cedeao hostiles au pouvoir des Généraux nigériens. Aujourd’hui, si le Cnsp devait accepter de libérer Bazoum, ce serait à cette condition. De son côté, le Maroc aurait donné au Niger la garantie que l’exil s’effectuerait sur le sol marocain.
Mieux, le Royaume s’’engagerait à ce que Mohamed Bazoum renonce à toutes formes d’activisme politique ou autres contre le Niger, et d’ailleurs, il y serait placé en résidence surveillée pour cela. Pour l’instant, l’on ne sait pas si Mohamed Bazoum est enchanté par une telle proposition.
Cependant, une chose demeure certaine, c’est que, présentement, Mohamed Bazoum ne semble guère avoir le choix, car de plus en plus, ses soutiens internationaux deviennent rares comme des éléphants blancs au Sahel.
Comme on peut le voir, tout semble indiquer que l’on s’acheminerait vers un dénouement heureux pour Mohamed Bazoum. Au Burkina- Faso, un autre Etat de l’AES, le ‘’Roi des pauvres’’ (C’est le surnom donné à Mohamed VI pour ses préoccupations sociales) avait réussi à faire libérer quatre espions français arrêtés par les services compétents d’Ibrahim Traoré. Le Maroc est un excellent ami du Niger, une amitié datant de la période Diori Hamani. Récemment, la Monarchie chérifienne a offert plusieurs groupes électrogènes d’une capacité de 30 mégawatts à la NIGELEC. C’est dire donc combien ce pays compte pour le Niger. Depuis la crise dans le Sahel, le Maroc se positionne comme un leader régional important par rapport à l’Algérie dont l’attitude est souvent jugée ambigüe dans l’approche sécuritaire dans cette sous/région. C’est cela qui donne toutes les meilleures chances de succès à ces démarches en vue d’obtenir la libération prochaine de Mohamed Bazoum.
Cependant, le seul bémol, mieux, le seul handicap de l’initiative marocaine à ce sujet, ce serait, probablement, le fait d’associer les services secrets français à une telle démarche. Car, aujourd’hui, le Cnsp en veut à mort à la France qui avait tout tenté pour attaquer le Niger, et qui continue à mener des actions de déstabilisation contre ce pays. Le Royaume du Maroc n’aurait jamais dû associer la patrie d’Emmanuel Macron à son initiative personnelle pour faire libérer Bazoum qui n’est pas, officiellement, un citoyen français. Et pourquoi cela concernerait-il la France, se serait-on posé la question au niveau du Cnsp ?
Voilà, en fait, peut-être, les obstacles sur lesquels buteraient, actuellement, les pourparlers entre autorités nigériennes et marocaines en vue d’obtenir la libération de Mohamed Bazoum !
Halidou Maiga (Le Monde d’Aujourd’hui)