Levée de l’immunité présidentielle de Bazoum : Vers réellement un procès ou serait-on en face d’une simple épée de Damoclès ?
Ça y est, la demande de levée de l’immunité présidentielle de Bazoum, introduite par le gouvernement de transition, vient d’être satisfaite par la Cour d’Etat, le 14 juin dernier ! En effet, après plusieurs semaines de procédure judiciaire, la Cour d’Etat a rendu son verdict final, car les décisions de cette juridiction sont insusceptibles de recours : Bazoum n’est plus couvert par aucune immunité pouvant faire obstacle au déclenchement d’éventuelles poursuites judiciaires contre lui. Ainsi, en ont décidé les sept Sages de la Cour d’Etat, dont, pour l’instant, l’on n’est pas encore en possession de la teneur exacte de la décision rendue pour connaître les arguments de droit et de fait développés pour motiver cet arrêt. Mais, naturellement, les avocats de la défense ont crié au scandale, par la voix de Me Moussa Coulibaly qui a parlé de la ‘’mort de l’indépendance de la magistrature’’.
Cependant, ils ont dit en prendre acte, car une levée d’immunité ne vaut pas, systématiquement, condamnation, cela voulant dire tout simplement que des poursuites judiciaires peuvent être engagées contre le bénéficiaire de cette protection spéciale.
Cette décision de la Cour d’Etat amène à se poser des questions fondamentales : assistera-t-on, dans les semaines ou mois à venir, à l’ouverture d’un procès contre Mohamed Bazoum pour des crimes de haute trahison et d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat ? Ou bien, ce verdict de la plus haute juridiction du pays ne sera-t-il jamais suivi d’un procès en bonne et due forme, mais revêtira seulement les aspects d’une sorte d’épée de Damoclès suspendue sur la tête de Bazoum ? En attendant de connaître la suite que le gouvernement entend donner à cette décision, les avis des uns et des autres sur la question divergent.
Les partisans de la tenue du procès de Bazoum
Pour ces observateurs, Bazoum pourrait être jugé pour les chefs d’accusation de crimes de haute trahison et d’atteinte à la sûreté de l’Etat, tels qu’annoncés déjà, dans un communiqué lu à la télévision par le porte-parole du Cnsp, le Colonel- Major Abdourahamane Amadou Djibo, le 14 août 2023. Probablement que, dans quelques temps, une juridiction spéciale, en l’occurrence, une Cour spéciale de sûreté de l’Etat, pourrait être mise en place pour juger Bazoum des chefs d’accusation précités. Certains estiment que le Tribunal militaire déjà existant pourrait être compétent pour juger l’ancien président de la république. Dans tous les cas, dépossédé de son immunité présidentielle qui lui donnait droit, en cas de poursuites judiciaires contre lui, à un privilège de juridiction, Mohamed Bazoum pourrait être jugé par une juridiction quelconque en vertu des règles de compétence ordinaires de droit commun, en l’occurrence la compétence matérielle et territoriale. En règle générale, le Tribunal militaire est compétent pour connaître des infractions dites militaires (rébellion contre l’autorité hiérarchique, insubordination, désertion) ou des infractions liées à la sûreté intérieure de l’Etat. On l’a vu, par le passé, même des civils impliqués dans de projets de coup d’Etat avaient été traduits devant le Tribunal militaire près le Tribunal de Grande Instance Horsclasse de Niamey. Peut-être l’appellation ‘’Tribunal militaire’’ prêterait à confusion en pensant que seuls des militaires devraient y être attraits. En réalité, dans certains cas, c’est moins la qualité des prévenus qui était retenue que la nature des infractions visées, car, dès que les faits en question sont susceptibles de recevoir une qualification du genre d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat, il n’y aura plus lieu à distinguer si c’est un militaire ou un civil qui est mis en cause, mais bien la nature de l’infraction alléguée de ce fait. Peut-être qu’il aurait fallu dénommer cette juridiction autrement que de l’appeler Tribunal militaire, l’adjectif militaire étant sans doute réducteur. Dans les temps antérieurs, plus précisément, sous le régime du Conseil Militaire Suprême (CMS), c’était une Cour de sûreté de l’Etat qui avait été mise en place pour juger des infractions commises par des militaires et la Police, et qui permettait aussi aux militaires nigériens de juger des civils accusés de crimes touchant aux secrets d’Etat, à la Défense, à l’espionnage, ou à la sécurité intérieure de l’Etat. C’est la Conférence nationale souveraine de juillet 1991 qui a supprimé cette juridiction spéciale, estimant qu’elle était un vestige du régime d’exception C’est pourquoi donc, l’actuel Tribunal militaire, qui n’est qu’une survivance de cette Cour de sûreté de l’Etat, serait, pour ces observateurs, compétent pour juger Bazoum pour les chefs d’accusation que l’on sait. De surcroît, dans un contexte marqué par des revendications terroristes liées aux proches de Bazoum, selon une vidéo qui circule, ces derniers temps, sur les réseaux sociaux de la place montrant des images d’endommagement d’une partie du pipeline Agadem-SORAZ par un groupe terroriste se réclamant du Front de Libération Patriotique, dirigé par Mahmoud Salah, un neveu à Bazoum. L’on apprend, de sources dignes de foi, que le dossier judiciaire de Bazoum serait assez étoffé pour le renvoyer devant ce Tribunal militaire, dans les mois à venir. Et comme on le sait déjà, ces infractions spéciales sont sévèrement punies par le Code pénal nigérien par des peines criminelles, pouvant aller jusqu’à la peine capitale ou la réclusion criminelle à perpétuité, si l’accusé est reconnu coupable des faits allégués. On sait aussi que, très souvent, les audiences devant le Tribunal militaire ne sont pas ouvertes au grand public et peuvent se tenir en tout lieu relevant du ressort territorial de la juridiction à laquelle le tribunal est rattaché.
Cependant, pour d’autres analystes, cette levée d’immunité n’aboutirait pas à un procès.
Les partisans de la nontenue du procès de Bazoum
Pour les tenants de cette hypothèse, le Cnsp n’ambitionnerait pas d’aller plus loin que cette levée d’immunité présidentielle de Bazoum qui n’aurait d’autre objectif que de démissionner Bazoum pour avoir refusé de signer sa reddition. Ainsi dépouillé de cette robe présidentielle, Bazoum ne pourrait plus se prévaloir de ce titre pour en vertu duquel il se croirait toujours le ‘’président élu du Niger’’. Par cette décision, il deviendrait un simple justiciable qui ne serait plus détenu ou ‘’séquestré’’ illégalement, comme le soutiennent ses avocats, mais bien un prisonnier de droit commun comme tous les autres prisonniers du Niger. Pour ces observateurs, la levée de l’immunité présidentielle de Bazoum emprunterait davantage les contours d’une sorte d’épée de Damoclès suspendue sur la tête de celui-ci afin qu’il se ‘’tienne tranquille’’, ou que son entourage le soit. Tout dépendrait, alors, de l’évolution de la situation pour décider de la suite à donner à l’affaire.
Ali Koma (Le Canard en furie)