Lettre posthume à mon frère Hama Amadou, ancien Premier ministre de la République du Niger (3 mars 1950 – 24 octobre 2024)
Lettre posthume à mon frère Hama Amadou, ancien Premier ministre de la République du Niger (3 mars 1950 – 24 octobre 2024)
Mon cher frère,
Tu le sais, les latins disent « Verba volent, scripta manent », autrement dit « les paroles s’envolent les écrits restent ». C’est pourquoi je m’oblige à t’écrire au 40ème jour de « ton départ ». En effet, tu étais venu au monde près de trois quarts de siècle auparavant et tu es parti, à la surprise de tous, même si nul n’ignore que La Grande Faucheuse surprend toujours « ses clients ».
Puisque l’Omniscient a choisi de te rappeler à Lui, nous n’avions d’autre choix que de nous plier à Sa volonté. Pouvais-tu transgresser les règles du jeu là où la Meilleure des créatures (PSL) n’a opposé aucune objection à l’appel de la Miséricorde ? Tu le savais « le décret au sceau indélébile tombe comme un couperet sans donner à « l’élu» le temps, ni même l’idée de préparer le voyage sans retour. Il était écrit, et tu le savais, « qu’il en serait ainsi jusqu’au jour où la natte de la terre et le voile des cieux seront définitivement pliés ».
Suite à ta disparition surprise, j’ai entendu dire qu’à ta prise de fonction en janvier 2000 comme premier ministre nommé par le président Mamadou Tanja succédant au président Baré, tu n’as eu pour seul héritage de la part de la Transition qu’un peu plus de de 600 millions de nos pauvres francs comme encaisses au Trésor national.
Ce dimanche 1er décembre coïncidant au 40 ème jour de ton départ, propice dans notre religion à la reddition des comptes, j’ai le devoir fraternel de rappeler à nos jeunes compatriotes non avertis de la gestion de la chose étatique l’étendue de l’héritage à toi légué par la Quatrième République. J’ai le devoir fraternel de rappeler que le président Baré, fondateur de la Quatrième République a également pris le pouvoir dans une situation économique caractérisée par la chute des cours de l’uranium amorcée au début des années 80, la dévaluation du Franc CFA intervenue le 1er janvier 1994 et la crise de la dette, les déficits publics persistants engendrés par les politiques publiques inappropriées de l’époque a pu te léguer un héritage non négligeable.
Qu’il me soit permis, malgré la modestie qui a caractérisé les acteurs de la Quatrième République à citer ses actions décisives qui ont permis au Niger d’avoir les fondamentaux et bases solides pour amorcer son décollage économique, à répertorier le patrimoine matériel et surtout immatériel légué aux générations futures, ce volet constituant inévitablement le plus important et le plus durable.
Sur le plan strictement financier
La Transition de 1999 en fin décembre 1999 au premier gouvernement de la Cinquième République un budget équilibré en en recettes et en dépenses à près de 242 milliards de FCFA, ce qui était acceptable à cette époque de sécheresse financière d’avant pétrole. Quant aux arriérés de salaires qui n’étaient pas une vue de l’esprit, c’était un deal entre le boucher du 09 avril 1999, ses commanditaires et complices qui consistait à se faire payer sur la bête sous forme de neuf (9) mois de salaires des fonctionnaires en plus du service de la dette impayé qui constituait son « toukountchi » (récompense ou rançon). La remise du pouvoir aux restaurateurs de la démocratie après 9 mois de transition valait bien cette libéralité et une amnistie constitutionnelle en bonne et due forme. Il semble qu’on ne lui a jamais réclamé le remboursement de cet énorme gâchis passé en pertes et profits.
Sur le plan du redressement économique et financier du Niger, l’accord conclu dès le mois de mai 1996 avec les institutions de Bretton Woods par la signature d’une facilité d’ajustement structurel renforcé (FASR. Ce programme devait aboutir à terme au respect des conditions d’éligibilité du Niger au point de décision de l’initiative des pays pauvres très endettés (IPPTE).Il a permis à ton gouvernement de bénéficier, à partir de 2001 de plus de 890 millions de dollars (près de 500 milliards de FCFA) au titre de la réduction des dettes, à verser sur 20 ans, une somme énorme à l’époque à consacrer aux services sociaux de base en vue de la réduction de la pauvreté. Cette manne avait été consacrée au « Programme Spécial du Président » Tanja Mamadou.
Sur le patrimoine immatériel
La Quatrième république, a légué la cohésion nationale, de partenariats gagnant-gagnant avec des puissances montantes comme la République populaire de Chine, l’Iran, Cuba, la redynamisation de l’éducation, première richesse d’un pays, avec le vote de la Loi d’Orientation du Système Educatif National (LOSEN), le réarmement moral des FDS et leur équipement, la promotion de la culture avec l’institution du FIMA et la négociation des 5 ème jeux de la Francophonie.
Tu as donc hérité de :
La promotion de la culture de la paix et de l’unité nationale, puisque les animateurs de la Quatrième République ont toujours été convaincus que le couple paix et développement sont inséparables, par la mise en application des accords de paix du 24 avril 1995 et la signature de quatre (4) autres accords de paix en 1997.Ce qui s’est traduit par le désarmement, la démotivation et la réintégration des trois quarts des ex combattants dans les rangs des forces de défense dans la cadre du processus DDR incontournable pour un retour à la paix.
Le rétablissement du moral des Forces de Défense et de Sécurité fortement ébranlé par la Conférence Nationale Souveraine clôturée en décembre 1991par le renforcement de l’équipement et de la formation, la création du Prytanée militaire et l’Ecole Supérieure de Formation des FAN qui permettent la valorisation de nos vaillantes forces de défense qui font aujourd’hui la fierté de tous tes compatriotes. Aucune force militaire étrangère n’avait pris ses quartiers sur notre sol.
La promotion du secteur éducatif qui avait été élevé au rang de super priorité par la Promulgation de la Loi d’orientation du système éducatif nigérien (LOSEN) définissant alors toutes les orientations du système national du primaire au supérieur, toujours en vigueur. C’est dans cette lancée que tu avais créé le Lycée d’excellence pour cultiver le sens de l’effort et encourager les jeunes Nigériens à rechercher l’excellence qui a produit des cadres de haut niveau.
L’option d’une véritable diplomatie économique prenant en compte les intérêts stratégiques de notre pays dans la limite de l’affirmation de sa souveraineté pleine et entière conformément aux vœux de ses prédécesseurs. Cette démarche a naturellement conduit le président Baré à une réorientation de la diplomatie du pays ayant eu pour effet, la reprise immédiate dès le 19 août 1996 des relations diplomatiques avec la République Populaire de Chine qui avaient été rompues en 1992. Cette reprise a été réalisée dans le cadre d’un partenariat gagnant–gagnant dont notre pays a grandement tiré profit, en témoigne les réalisations dans le domaine des infrastructures et l’exploitation pétrolière. Cette reprise avec la Chine a permis à notre pays de s’inscrire dans le club fermé des pays producteurs et exportateurs de pétrole. Tes compatriotes se souviennent que les autorités de la Quatrième République avaient tenu à réchauffer nos relations avec CUBA, avec son aide médicale précieuse et multiforme, le Maroc, l’IRAN, le Soudan ainsi que l’Inde.
La Mise en œuvre de la Décentralisation que les autorités de la Quatrième République ont eu à concevoir et faire adopter quatre (4) lois y relatives aboutira à des élections locales organisées en 1998 dans le cadre de la consolidation de la paix et l’amélioration de la gouvernance économique.
La promotion de la culture et de la Jeunesse, qui avait conduit les mêmes autorités à négocier et obtenir dès l’an 1998, l’organisation à Niamey pour l’année 2005 des Cinquièmes Jeux de la Francophonie. Ces jeux ont permis à ton gouvernement de réaliser en faveur de notre pays d’importants travaux d’infrastructures dans la ville de Niamey favorisant son désenclavement et la rénovation de l’ensemble des infrastructures culturelles et sportives et d’en construire de nouvelles.
La promotion de l’environnement des affaires avec l’élaboration des textes et la mise en place des chambres consulaires régionales, l’adoption des textes relatifs à l’OHADA l’instauration d’un système de santé publique efficace avec l’adoption de la Loi portant autorisation de l’exercice privé des professions dans le secteur de la santé.
La mise en œuvre de la modernisation de l’Etat avec l’introduction des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) confiée à la Délégation à l’Informatique. Cette modernisation a permis le démarrage de la téléphonie cellulaire en 1997.
L’adoption dès le mois de juin 1998 du Plan National de l’Environnement pour un Développement Durable du Niger(PNEDD) après enrichissement d’un projet par le Forum National tenu au mois d’avril 1998 à Niamey.
L’utilisation du génie créateur d’un fils du Niger par le président Baré pour réaliser, dès l’an 1998, avec l’aide des partenaires extérieurs, le premier Festival International de la Mode Africaine (FIMA) en plein désert sur le site de Tiguidit, dans la Région d’Agadez. Ce FIMA fait depuis un quart de siècle la promotion et la fierté du pays. La réalisation d’un tel évènement est inimaginable aujourd’hui avec l’insécurité qui prévaut.
La Convention du projet de la boucle ferroviaire avait été négociée et signée par les autorités précitées le 09 janvier 1999. Ledit projet s’il avait réalisé aurait permis le désenclavement total de notre pays et l’exploitation optimale des énormes ressources naturelles en fer et en phosphates de la zone de Say.
La valeur d’un homme d’Etat se mesure par l’épaisseur de l’héritage moral aux générations futures qu’il laisse aux générations futures. Sur ce registre, je dois reconnaitre que ton gouvernement a pu fructifier le riche héritage même s’il a été malmené durant les 12 années qui ont suivi la fin de la 6ème République.
Poursuis ton repos éternel en paix au Firdhaous
Ton frère Djibril Baré