Lettre ouverte au chef de l'État : interpellation sur les défis de la transition politique au Niger
Lettre au chef de l’État : Mon Général, 20 délégués pour tout le peuple nigérien estimé à quelques 26 millions d’âmes selon les projections actuelles, cela fait un (01) délégué pour une population de 1 300 000 habitants. En termes de pourcentage, cela ne fait même pas 1%.
Sauf votre respect, je dois vous dire que les choses évoluent de mal en pis. Vous avez, vous-même, compris que l’enthousiasme et l’ardeur de vos compatriotes ont considérablement baissé et que si la plupart gardent le silence face à l’évolution de la transition, ce n’est pas faute d’opinions. La raison de la désaffection continue de vos compatriotes vis-à-vis du pouvoir de la transition est liée à l’impunité-rédemption accordée aux criminels de la 7e République ; des individus qui, dans le meilleur des cas, auraient dû se retrouver derrière les barreaux pour de longues, très longues années. Vos compatriotes sont extrêmement déçus. Ils considèrent que non seulement vous n’avez pas fait libérer les prisonniers politiques, chose qui, disent-ils, aurait dû être votre prompte réaction si les évènements du 26 juillet 2023 visaient effectivement à mettre un terme au régime corrompu de la 7e République, mais vous avez également octroyé, gracieusement, une sécurité juridique aux dits criminels par le biais de l’alinéa 2 de l’article 22 de la Coldfeff. Ils n’ignorent pas qu’aux termes des dispositions de la loi pénale nigérienne, je ne cesserai de vous le rappeler, tout auteur de détournement égal ou supérieur à 500 000 000 FCFA est passible de la peine de mort. Or, je vous l’ai souligné également, les personnalités de la 7e République qui sont impliquées dans des détournements de plusieurs milliards de francs CFA ne se comptent pas. L’absolution que vous leur avez accordée à travers l’alinéa 2 de l’article 22 de l’ordonnance créant la Coldeff est un acte qui pourrait entacher la crédibilité de tout autre gouvernant ayant fait les serments que l’on a entendus de vous.
Mon Général,
Je ne vous dirais pas certainement que de très nombreux compatriotes ne vous croient plus et que j’ai l’impression que vous avez grillé le fusible dès le départ, en plaçant la barre très haut dans des déclarations de principes et des serments jamais entendus depuis feu Seyni Kountché (paix à son âme). Aujourd’hui, je doute profondément que vous réussissiez à mobiliser sincèrement vos compatriotes autour de valeurs et d’idéaux que ne corroborent nullement les réalités de la gouvernance en cours. Outre que des individus considérés par la loi pénale nigérienne comme des criminels passibles de la peine de mort sont pratiquement absouts de leurs crimes et sont aujourd’hui cités sur les réseaux comme bénéficiaires de marchés publics, les perspectives qui se dessinent pour le forum national dit inclusif ne rassurent point vos compatriotes. Personnellement, j’ai du mal à accorder le moindre crédit à cette lettre du ministre des Affaires étrangères qui a fuité sur les réseaux sociaux et qui a donné aux Nigériens une idée précise du nombre de délégués qui doivent délibérer sur l’avenir de la gouvernance dans leur pays. Aussi est-il de mon devoir de vous interpeller, dans les règles de l’art de la politesse devant caractériser nos rapports, pour savoir s’il est vrai que ledit forum ne réunira, en plus du président et du rapporteur, que 18 délégués, soit deux par région et deux pour la diaspora.
Mon Général,
Comment pouvez-vous accepter d’être embastillé dans une logique aussi réductrice de la représentativité nationale ? C’est si réducteur que je n’arrive pas à croire que vous ayez cautionné qu’une concertation nationale engageant l’avenir du Niger et de son peuple soit ainsi vidée de son essence. 20 délégués pour tout le peuple nigérien estimé à quelques 26 millions d’âmes selon les projections actuelles, cela fait un (01) délégué pour une population de 1 300 000 habitants. En termes de pourcentage, cela ne fait même pas 1%. Est-ce vraiment sérieux ? 1%, ça fait, si j ne m’abuse, 260 délégués pour les 26 millions de Nigériens. C’est dire que, sauf votre respect, les 20 délégués ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la population nigérienne. Il serait par conséquent hautement souhaitable que vous demandiez aux experts qui défendent cette démarche saugrenue et qui ont certainement leurs motivations ailleurs que dans la recherche du bien commun, de revoir leur copie. Une copie qui est si pâle qu’elle ne reflète pas le serment que vous avez solennellement fait au peuple nigérien de ne jamais trahir. Une copie si pâle qu’il n’y a que les compatriotes de mauvaise foi pour croire que c’est parce que vous n’êtes pas adepte de la pagaille. Ah, les opportunistes ! Ceux qui prétendent comprendre et défendre une telle vision des choses sont effectivement, je le crois, soit de mauvaise foi, soit amnésiques.
Mon Général,
Il faut le croire, on vous a mis sur la mauvaise piste et ce n’est pas prometteur pour le Niger qui doit à nouveau souffrir des fautes et légèretés de ses fils. Notre pays a besoin, certes, de poursuivre la lutte pour la souveraineté nationale et ce combat, nous devons le mener avec fermeté et intelligence.
Cependant, cette lutte n’aboutirait certainement pas à grand-chose si ce que nous arrachons aux puissances impérialistes et néocoloniales est laissé au bon vouloir des prédateurs qui ont ruiné notre pays. À quoi ça sert de gagner des milliers de milliards de francs CFA de nos ressources si une fois gagnés ils doivent finir, non pas dans le développement du pays mais plutôt dans l’escarcelle d’individus cupides déjà épinglés dans maints rapports d’inspections et d’audits, nous serons alors réduits au supplice de Sisyphe. Le Niger et son peuple, vous le savez, ont trop souffert. Ils ont surtout cru, le 26 juillet 2023, qu’ils étaient sortis de l’auberge. Aujourd’hui, je vous le dis sincèrement, ils sont très nombreux à exprimer leur profonde déception. Leur argument, c’est qu’il faut bien être à l’opposé des aspirations des populations pour mener un processus de forum dit inclusif, de la façon dont on le fait actuellement. Le schéma envisagé, si la lettre du ministre des Affaires étrangères est authentique, n’est pas crédible et je cours le risque de faire le pari que ce sera tout sauf un succès.
Mallami Boucar (Le Monde d’Aujourd’hui)