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Lettre au président de la République : Monsieur le Président, Vous connaissant avec votre langage cru, vous aurez relevé que le Niger a deux présidents et que, sans aucun doute, celui qu’on a croit être parti est plus président que celui qui est là

J’ai appris que vous étiez à Glasgow, en Écosse, dans le cadre de la Conférence internationale sur les changements climatiques. Mais j’ai constaté que l’autre aussi y était, même si sa présence était virtuelle. Il a même obtenu l’insigne privilège de faire une adresse en visioconférence avec d’autres éminents participants. Le connaissant avec ses tendances à ne voir que lui, à la fin, il va finir par vous étouffer. J’ignore comment il a fait pour se faire inviter à cette conférence de Glasgow, mais ça risque d’être de plus en plus difficile pour vous. Bientôt, c’est à Niamey qu’il va vous disputer les choses et son séjour de Tahoua, en août 2021, est révélateur de cette menace à peine contenue. Les mots, assez flatteurs, ne peuvent pas faire occulter une colère.

Ce bicéphalisme qui ne dit pas son nom et qui est fortement entretenu de l’extérieur est assez malsain et je crois que vous serez très mal inspiré de continuer à le tolérer. L’autre a empoisonné la vie de ses compatriotes et ce serait bien dommage que vous vous prêtez à son jeu en lui laissant les coudées franches pour faire comme bon lui semble, avec en sus les moyens et les attributs de l’État. Vous connaissant avec votre langage cru, vous aurez dénoncé une totale irresponsabilité de la part du président de la République qui se laisse ainsi instrumentaliser. Vous aurez relevé que le Niger a deux présidents et que, sans aucun doute, celui qu’on a croit être parti est plus président que celui qui est là. Vous aurez dit que c’est inadmissible et que ce n’est pas la faute de celui qui est parti, mais bien celle, pathétique, de celui qui est là et qui est incapable de s’assumer. En un mot, vous aurez déclaré que celui qui est là est manifestement incapable d’assumer les hautes charges qui sont les siennes. C’est assez grave pour ne pas vous contraindre à une introspection Faites-le et vous sortirez peut-être guéri de vos phobies. Lorsqu’on est président de la République, on ne marche plus avec la peur au ventre. Souvenez- vous du Président Diori Hamani face aux deux délégations québécoise et canadienne. Obligez les autres à vous respecter.

Monsieur le Président,

Vous avez laissé entendre à Jeune Afrique, dans l’interview que vous avez accordée à François Soudan, que l’unique différence, si différence il y a entre votre prédécesseur et vous, c’est certainement dans le style, soit la façon de faire. Je ne partage pas cet avis qui, je m’en doute, est mis sur le compte de la civilité et de la convenance politique. Vous savez parfaitement que cette différence de style, votre prédécesseur en a ras le bol. Mieux, je ne vous ferais pas la mauvaise grâce de ne pas souligner qu’il n’y a rien de plus faux que ça et vous le savez. À moins que vous soyez en train de tromper vos compatriotes.

Monsieur le Président,

Si vous convenez qu’il n’y a qu’une simple différence de style entre l’autre et vous, c’est admettre que vous êtes également partisan de la corruption contre laquelle vous prétendez lutter, aujourd’hui. En acceptant d’être aligné dans le même registre que l’autre, ce que certains de vos compatriotes trouvent sincère de votre part, vous revendiquez absolument un bilan que vous savez pourtant tragique. La preuve, vous avez fait supprimer un projet cher à votre prédécesseur, le quatrième échangeur prévu au Rond-point des armées. Je sais que vous ne l’avez pas décidé uniquement pour le besoin de vous opposer à l’autre. Dans cet acte, salué par de très nombreux compatriotes, vous avez remis en cause une pratique malsaine dont vous connaissez mieux que quiconque les motivations et les contours. Vous savez d’où ça vient, qui est derrière et ce qui fait courir ce dernier.

C’est vous dire qu’en assumant ces propos publics, vous vous complaisez dans une contradiction qui ne vous honore pas. D’une part, vous martelez être résolu à mener la lutte contre la corruption et vous voulez vous assimiler à l’autre dont la gouvernance incarne ce fléau, d’autre part. Vous devez choisir clairement une option et éviter de baigner dans un flou artistique visant un savant équilibrisme.

Monsieur le Président,

Il semble que vous avez instruit les gouverneurs de mettre tout en oeuvre en vue de mettre un terme à la fraude des hydrocarbures. C’est vrai, la fraude des hydrocarbures a particulièrement pris de l’ampleur depuis 2011 et je serais certainement hypocrite si je ne précisais pas que cela est imputable à la gouvernance scabreuse de votre prédécesseur. Une gouvernance faite de corruption, de détournements, de concussion qui a ruiné le Niger et face à laquelle, je dois vous le dire, vous tergiversez. Je vous l’avais dit, non seulement vous avez déclaré la guerre, mais il n’y a pas mille façons de lutter contre la corruption. Vous ne pouvez pas ménager la chèvre et le chou en même temps. Soit, vous vous engagez à faire du bien pour le Niger, soit vous choisissez le parti des délinquants économiques. J’étais allé plus loin dans l’analyse en vous indiquant que, s’il vous semble plus facile de faire preuve d’ingratitude vis-àvis de votre pays plutôt que de le faire envers un homme, alors votre choix est clair, n’hésitez pas à l’assumer. En un mot, si vous préférez trahir votre pays plutôt qu’un homme, alors, continuez à tergiverser, à faire semblant et à parler sans rien faire. La fraude des hydrocarbures, vous le savez, n’est que la manifestation de la corruption que votre prédécesseur a instituée en mode de gouvernance. Ce n’est pas autre chose. Je ne réfute pas le fait que la fraude de l’essence en provenance du Nigeria est aussi vieille que le temps. Cependant, la fraude a, aujourd’hui, gangrené tout le pays. Tous ceux qui ont une parcelle de pouvoir leur permettant de se livrer impunément à cette activité illégale le font sans sourciller : politiques, hommes d’affaires, porteurs de tenue, le Niger, sous l’autre, a été une anarchie organisée. Vous héritez, donc, d’un Niger vandalisé où détenir une fraction de pouvoir est synonyme sauf-conduit pour faire ce que l’on veut. L‘autre a détruit ce pays et vous ne direz sans doute pas le contraire. Votre tâche est immense mais elle est relativement facile, à condition que vous ayez réellement à coeur de rendre à l’État ce que des individus lui ont pris.

Monsieur le Président,

Vous avez certainement souvenance du séjour, dans notre pays, de Christine Lagarde, à l’époque directrice générale du Fonds monétaire international (Fmi). C’était juste au début de l’exploitation du pétrole. Une décennie après les sages conseils de Christine Lagarde, vous avez tout gâché. Je dis vous parce que vous êtes nécessairement comptable de la gestion de l’autre dont vous connaissez la préoccupation essentielle en la matière. C’est pourquoi d’ailleurs je n’ai pas hésité à reprendre le cours de cette au président de la République que vous êtes. C’est lorsque les bonnes actions viennent de quelqu’un de l’intérieur que l’on mesure sa portée et la sincérité de celui qui en est porteur. Vous êtes de l’intérieur et je ne puis qu’apprécier votre volonté de changer les choses. Cependant, je dois vous faire remarquer que vous n’avez aucun intérêt à jouer aux équilibristes. Ressaisissez-vous pendant qu’il est temps.

Mallami Boucar