Skip to main content

Lettre au Président de la République Mohamed Bazoum : Monsieur le Président, une armée que vous considérez déjà comme faible face aux terroristes n’a pas besoin d’être ainsi décapitée

Nombreux sont vos compatriotes qui me demandent à quoi vous jouez en fin de compte dans cette tragédie du terrorisme qui frappe si durement le Niger et qui lui a fait perdre déjà, entre autres, des milliers d’enfants, autant de déplacés internes qui ont dû fuir leurs villages sous les menaces terroristes et provoqué la fermeture de 921 écoles, rien que dans la région de Tillabéry, en mai 2023. C’est un bilan vu au rabais, car vous le savez, les pertes enregistrées par le Niger du fait du terrorisme sont 10 fois plus élevées que ça. J’ai été si durement apostrophé et c’est à peine si je n’ai pas été lynché, moi qui continue à vous servir en fermant les yeux et les oreilles, disentils, sur vos incartades et votre mal-gouvernance. Depuis que vous avez, sans trembler, déclaré que les terroristes sont plus forts, plus aguerris, que nos armées, on m’accuse ouvertement d’être un grand complice des terroristes. Vous connaissez la théorie de la transitivité. À défaut de vous atteindre directement, on déverse sa bile sur votre serviteur. C’est à peine si on ne me prend pour le “président” que vous êtes. On me houspille, on m’insulte et me maudit au motif que nous sommes de patentés alliés des terroristes à qui nous assurons tout ce qu’il faut pour paraître les plus forts. Il faut reconnaître que vous avez multiplié les propos et les actes des plus maladroits. D’abord, vous avez déclaré avoir fait libérer des chefs terroristes détenus à Koutakalé que vous avez reçus immédiatement au palais. Je vous fais observer que des Nigériens, civils et militaires, continuent de tomber sous les balles de ces terroristes. Visiblement, vous n’avez pas rendu service à votre pays en faisant libérer ces criminels de grand acabit qui sèment la mort, la désolation et la destruction du Niger.

Ensuite, vous avez déclaré avoir commandé des avions, drones, hélicoptères et véhicules blindés auprès de la Turquie, mais vos compatriotes ont eu le temps de découvrir qu’il s’agit plus d’un canular que d’une réelle affaire. La preuve, je vous l’ai fait constater dans une précédente lettre où je vous rapportais que le Burkina Faso voisin a mis moins de deux semaines pour acquérir ses premiers armements, auprès de la même Turquie. Pour vous, ça fait deux ans que vos compatriotes attendent de voir la couleur de ces armements. Pendant ce temps, les terroristes font la pluie et le beau temps dans certaines zones de notre pays.

Comme pour ne rien arranger, vous avez récemment déclaré que les terroristes sont plus forts, plus aguerris, que nos armées. Une déclaration qui a toutes les caractéristiques d’une atteinte au moral des troupes. Vous êtes tout de même le chef suprême des armées et lorsqu’un officier dit à ses troupes, nous ne faisons pas le poids, il leur dit implicitement de cesser de se battre et de capituler. Vos compatriotes ne s’en sont pas remis que vous avez décidé d’aller plus loin, comme s’il s’agissait de leur apporter la réponse aux interrogations qu’ils ses posent. En nommant l’ancien chef d’État-major général des armées, le général Salifou Modi, ambassadeur aux Emirats arabes unis, loin de ses bases et du milieu où il peut rendre d’éminents services à son pays et à son peuple en proie à la guerre, vous ne rendez certainement pas service à votre armée que vous considérez déjà moins forte, moins aguerrie que les terroristes. Pour certains de vos compatriotes, choqués mais impuissants, vous ne cachez même plus votre jeu en enlevant à l’armée un cadre aussi valeureux en temps de guerre et ce n’est pas la première fois que votre régime agit de la sorte.

Monsieur le “Président”

Les critiques tournent de plus en plus à la révolte et je puis vous dire que la nomination de Salifou Modi comme ambassadeur est un acte qui est jugé de trop. Le chef suprême des armées qui affaiblit son armée, dit-on ! Admettez que je ne dispose pas d’arguments pour défendre votre cause. Vous êtes allé si loin ! Voici la question qu’on me pose : pour quel dessein avez-vous fait la déclaration inadmissible pour un chef suprême des armées et nommé le général Salifou Modi comme ambassadeur ? Vous ne saurez certainement l’expliquer. N’essayez pas de le faire, s’il vous plaît. La dernière fois que vous vous étiez livré à l’exercice, c’était lors de la fameuse conférence des cadres au cours de laquelle vous avez dit avoir fait libérer des chefs terroristes que vous avez reçus immédiatement au palais. Des hommes qui ont les mains tachées du sang du peuple nigérien. En tout état de cause, sous le Niger actuel, personne, pas même l’Assemblée nationale, n’oserait vous demander de vous expliquer.

Monsieur le “Président”

Vous avez décidé d’envoyer un général de corps d’armée à la tête d’une chancellerie, très loin de son pays en proie au terrorisme. Je ne comprends ni vos motivations ni vos desseins. Pourquoi nommer un général à la tête d’une chancellerie alors que les diplomates pouvant valablement occuper ce poste ne manquent pas ? Le Niger, je dois l’admettre, est dans un tourbillon d’inquiétudes. Qu’est-ce que vous cherchez en nommant le général Modi dans une fonction diplomatique alors que le Niger est en guerre ? Sa mise à l’écart de l’armée est un acte que vous devez annuler. Une armée que vous considérez déjà comme faible face aux terroristes n’a pas besoin d’être ainsi décapitée. Elle a besoin plutôt d’être renforcée avec ses cadres les plus valeureux. Je ne peux que m’incliner devant les critiques acerbes qui fusent de toutes parts contre vous. Non seulement vous n’avez toujours pas concrétisé les commandes d’armements auprès de la Turquie et ça, depuis novembre 2021, mais vous venez aussi de rendre inopérant un officier supérieur de l’armée qui n’a rien à faire dans une ambassade aux Emirats Arabes Unis.

Vous pouvez considérer que vos compatriotes sont des grincheux et que pour un rien, ils se mettent en boule, invectivent et diabolisent ceux qui travaillent à leur bonheur. La plupart d’entre eux n’ont pas compris que le Niger ne pourrait pas avoir un meilleur parti que vous. Tout comme dix années ne leur ont pas suffi pour savoir que votre prédécesseur leur a non seulement rendu les meilleurs services qu’un chef d’État puisse offrir à son peuple mais qu’il a généreusement tout fait pour le laisser en de très bonnes mains, les vôtres. Seulement, je puis vous rassurer sur une chose : c’est un peuple lucide qui observe bien et comprend fort bien les actes que vous posez, les propos que vous tenez.

En vérité, je suis comme un avocat qui constate, hélas, que son client lui a menti, l’a manipulé, l’a trompé, l’a floué sur toute la ligne et qu’il n’a rien d’autre à faire qu’à demander la clémence de la Cour. Un ami, qui m’a particulièrement acculé m’a dit que c’est de justesse si le général Modi n’a pas été accusé d’être de connivence avec les terroristes dès son retour du Mali où il a rencontré, selon les mots de votre ministre des Affaires étrangères, ces officiers maliens au patriotisme frelaté. Il m’a dit avoir reconnu dans les pratiques du régime les moeurs d’une certaine Europe de l’Est sous les bottes soviétiques où on détectait les têtes qui dépassaient et leur collait tous les péchés du monde. On profitait de la liquidation de celui qui était présenté comme la tête de pont d’un complot contre la sûreté de l’État pour entraîner quelques officiers et/ou cadres à éliminer. Je crois que je vais déposer ma démission si toutefois vous maintenez cette nomination du général Modi en tant qu’ambassadeur. Vous ne pouvez pas dire « On s’en fout, ça vient de là-haut », comme dirait le comédien franco-camerounais. Vous ne pouvez non plus faire la sourde oreille à vos compatriotes, très nombreux, qui dénoncent une volonté d’affaiblissement de l’armée nigérienne. Evidemment, si vous avez agi ainsi conformément à un objectif dont je n’ai pas connaissance, ça ne vous ferait ni chaud ni froid que vos compatriotes soient en colère.

Monsieur le “Président”

À la station où vous êtes actuellement, on peut faire du mal comme on peut faire du bien à son peuple. Si j’étais à la place que vous occupez actuellement, je ferais exactement le contraire de tout ce que vous préconisez et faites dans le cadre de la lutte contre l’insécurité. Je ferais certainement rentrer tous les officiers que votre prédécesseur et vous avez envoyés dans des chancelleries où ils ne serviront à rien qu’à compter les jours qui leur restent sous les drapeaux. Je mettrais immédiatement un terme au supplice, parfois non justifié de tous les autres, très bons militaires, qui ont été mis à la retraite anticipée ou en prison. Sachant que je serais applaudi par le peuple nigérien épris de paix et de sécurité, je réhabiliterais tous les militaires radiés et les mettrais à contribution pour une guerre sans merci contre le terrorisme et ceux qui l’entretiennent. Je mettrais évidemment fin à la classification des officiers suivant des critères étrangers au mérite. Ceux qui pensent que la guerre contre le terrorisme est un business dont il faut profiter le plus longtemps possible pour s’enrichir sur le dos du peuple nigérien n’auront pas leur place dans le Niger auquel aspire votre serviteur.

Moi, j’aime mon pays et mon peuple. Je ne m’imagine pas servir d’autres intérêts que les leurs. Magistrat suprême de ce pays, vous êtes sans doute d’accord avec moi que celui qui sert les intérêts d’un pays étranger au détriment de ceux de son pays est un traître et qu’il mérite la peine capitale. Un jour, certainement ! Ce qui est sûr, on n’arrête pas l’Histoire, car l’Histoire, c’est le temps et le temps appartient à Dieu.

Mallami Boukar