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Lettre au chef de l’État Monsieur le Président : Pourquoi l’article 12 menace l’harmonie nationale

le president tianiLettre au chef de l’État Monsieur le Président, L’article 12 n’est qu’un feu de paille et comme tel, il ne durera pas. Le Niger, notre beau et bon Niger retrouvera, plaise à Dieu, son harmonie, sa cohésion et son unité plus que jamais renforcées autour du pilier de la justice, l’attente véritable de vos compatriotes.

De mémoire d’observateur attentif de la scène politique nigérienne depuis plus de quatre décennies, je n’ai jamais vu une gouvernance pareille à celle que vous incarnez. Nous avons connu un certain Issoufou Mahamadou, celui-là même qui jouit paradoxalement de tous les privilèges auprès d’un pouvoir qui est censé débarrasser les Nigériens de ses tares et de ses desseins lugubres. Je n’ai jamais vu des troubles sociaux nés d’une décision prise par le gouvernant qui, curieusement, refuse de faire amende honorable en se rétractant. Je n’ai jamais vu cela et la sortie, avant-hier de votre directeur de Cabinet envoyé au charbon pour défendre l’indéfendable, est tout simplement lamentable. Je plains l’intellectuel réduit à louvoyer, à chercher midi à 14 heures, s’empêtrant dans ses propres incohérences et voulant, comme il dit, clarifier ce qu’il considère être dans l’intérêt du Niger et de son peuple. Je n’ai pas le temps de relever les incongruités contenues dans cette réaction qui est forcément la vôtre, presque deux mois après le décret n°2025-160/P/ CNSP du 26 mars 2025 portant promulgation de la Charte de la refondation. Une réaction tardive qui en dit long sur la recherche effrénée et infructueuse d’un argument finalement tiré par les cheveux pour justifier l’injustifiable.

Je ne comprends pas cette persistance à maintenir une décision qui créé des troubles, simplement parce que des individus vous ont poussé sur cette voie sans issue, soi-disant pour une souveraineté linguistique. Mon oeil !

Je ne comprends pas cette gouvernance qui rame à contre-courants de l’histoire, votre choix de faire du hausa l’unique langue nationale du Niger étant dépourvu de toute raison. Je parle bien de raison car vous ajoutez un problème supplémentaire et non des moindres aux multiples défis auxquels notre pays est confronté. Par votre décision, vous affaiblissez la cohésion sociale et introduisez un virus des plus dangereux qui risque de faire voler en éclats ce qui a toujours fait la force du Niger, à la différence de nombre de pays qui nous entourent. Le Niger n’a pas besoin de ça.

Monsieur le Président,
Depuis que vous avez pris la grave décision de consacrer le hausa comme unique langue nationale de notre pays, reléguant ainsi les 10 autres langues nationales au rang de simples langues parlées, chose que vous assumez entièrement et devant laquelle vous ne comptez pas reculer comme l’a déclaré votre directeur de Cabinet, malgré par ailleurs les condamnations et les récriminations, vos compatriotes s’interrogent sur votre véritable personnalité. Vous êtes demeuré sourd à tout, comme s’il y a deux généraux Tiani : un qui a été porté en pinacle et célébré par ses compatriotes et un autre totalement méconnu, mégalomane et peu soucieux des aspirations de son peuple. Je peux avoir tort. Cependant, je n’arrive toujours pas à comprendre la logique et la motivation qui vous maintiennent si distant des préoccupations de votre peuple.

C’est pourtant ce même peuple qui a pratiquement tout sacrifié, tout accepté pour que, définitivement comme vous l’avez promis, plus rien ne soit comme avant. Vous avez si martelé ces propos assortis d’un serment solennel que je n’entends plus les médias publics rediffuser comme avant, comme si le Général d’armée ne tolère plus d’entendre ce qu’il a lui-même dit ; comme si le Général d’armée et président de la République ne veut plus se souvenir de ce que le général de brigade a pris comme engagement vis-à-vis de ses compatriotes et de Dieu ; comme si l’ombre s’est brutalement détachée de l’âme.

Comme je l’écrivais à l’entame de cette lettre, j’ai fouillé dans toute l’histoire de notre pays, j’ai sondé des politiciens et des militaires, j’ai interrogé ceux qui ont écrit sur ce qui fait et explique que le Niger ait une trajectoire presque unique dans la construction d’une nation en Afrique, je n’ai pas entendu le moindre témoignage d’un acte provenant des dirigeants du moment et qui ait causé autant de troubles. Les seuls exemples de défiance d’un gouvernant vis-à-vis du peuple nigérien proviennent d’un certain Issoufou Mahamadou, d’abord en tant que Premier ministre en 1994 avec la grève de 55 jours de l’unique centrale syndicale de l’époque, l’Ustn (Union des syndicats des travailleurs du Niger) avec qui il a engagé un bras de fer insolite ayant eu un coût sérieux sur l’économie nationale ; ensuite en tant que président de la République avec la loi de finances 2018, la sous-traitance de la sécurité et de la défense de notre pays sur fond d’installation de bases militaires étrangères avec son lot de mépris royal pour le peuple nigérien à qui il a lancé en guise d’avertissement : « ceux qui demandent le départ des troupes françaises du Niger sont des suppôts du terrorisme ». Enfin, dans ce boulevard de droits aussi illégitimes que … qu’il a aménagé pour s’enrichir et enrichir les siens sur le dos du peuple à travers un interminable chapelet de scandales financiers. Des exemples que les Assises nationales ont réclamé de porter devant la justice ? L’uraniumgate, l’achat de l’avion présidentiel, le prêt Eximbank de Chine, le Mdngate.

Monsieur le Président,
Ce qui me fait mal, c’est que cette décision ne vous grandit pas et ne vous grandira pas. Ni aujourd’hui ni demain dans l’Histoire qui retiendra que, non seulement l’acte est frauduleux parce que c’est une modification survenue après la remise officielle du rapport des Assises nationales et à l’insu des Nigériens, mais il est porteur de germes de troubles. Si nous n’étions pas au Niger, pays aux populations si intégrées à travers des politiques sociales et linguistiques responsables, il est certain qu’un acte pareil est susceptible de provoquer une crise profonde et complexe aux conséquences imprévisibles. Heureusement que de dignes fils comme Diori Hamani et SeyniKountché ont semé la bonne graine et l’ont consciencieusement arrosée avec abnégation. Le mérite, qui n’est pas négligeable, de tous ceux qui ont succédé à ces hommes d’État avant vous, c’est d’avoir scrupuleusement suivi les sages et constructifs pas de leurs prédécesseurs dans cette voie sans jamais songer à troubler ce qui fait l’équilibre de la charpente nationale, les liens séculaires entre les différentes ethnies de ce pays, si fières de leurs cultures et de leurs identités, mais ouvertes les unes aux autres, d’où Cette conviction partagée que nous sommes un même et seul peuple et que nous devons rester unis quoi qu’il advienne.

Monsieur le Président,
Une lettre ne peut suffire à vous rapporter la vague d’indignation qui a gagné vos compatriotes qui restent et demeurent unis malgré tout. Pourquoi, se demanderaient d’autres frères africains là où, ailleurs, le pays serait à feu et à sang. C’est parce qu’ils ont compris en définitive que ce n’est qu’un feu de paille et comme tel, il ne durera pas. Le Niger, notre beau et bon Niger retrouvera, plaise à Dieu, son harmonie, sa cohésion et son unité plus que jamais renforcées autour du pilier de la justice, l’attente véritable de vos compatriotes.

Mallami Boucar (Le Monde d’Aujourd’hui)