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Lettre au chef de l’État, Monsieur le Président, j’ai été déçu de votre silence sur les vraies préoccupations des Nigériens pendant que votre gouvernement organisait un tournoi de lutte

Tiani Abdourahamane 1Lettre au chef de l’État Monsieur le Président, J’ai été déçu d’apprendre que vous n’avez pas parlé de tous ces sujets qui préoccupent vos compatriotes et que pire, votre gouvernement qui n’a pas cru bon de décréter un deuil national, s’est offert le luxe d’organiser un tournoi de lutte traditionnelle pour la grandeur du ministre de la Jeunesse et des Sports dénommé « Troisième édition de la Coupe du ministre ».

J’ignore ce qui se passe dans les allées du pouvoir, mais je sais une chose que partagent de très nombreux compatriotes : ça ne va pas et ça semble aller de mal en pis. Non seulement les deux raisons essentielles que vous avez avancées pour justifier les évènements du 26 juillet 2023 restent plus que jamais problématiques, mais vous multipliez aussi les actes qui contribuent à creuser chaque jour davantage le fossé, le large fossé qui vous sépare désormais de votre peuple. Pour vous dire vrai, je n’ai pas suivi votre récent entretien et je ne suis pas le seul dans ce cas. J’ai bien voulu le faire le lendemain, mais j’ai été déçu d’apprendre que vous n’avez ni parlé de l’article 12 de la Charte qui a profondément ébranlé le climat social, ni parlé de la situation financière catastrophique que traverse le pays, encore moins de l’école publique objet de troubles en cette veille d’examens scolaires ou même des attaques terroristes meurtrières de Fambita, d’Eknewan et de Falmey dont, à l’exception de la première citée, vos compatriotes ignorent tout du bilan réel. J’ai été déçu d’apprendre que vous n’avez pas parlé de tous ces sujets qui préoccupent vos compatriotes et que pire, votre gouvernement qui n’a pas cru bon de décréter un deuil national s’est offert le luxe d’organiser un tournoi de lutte traditionnelle pour la grandeur du ministre de la Jeunesse et des Sports dénommé « Troisième édition de la Coupe du ministre ». Un fait insolite pour une gouvernance que l’on prétend refondatrice. Je comprends fort bien que des compatriotes, choqués et révoltés, disent que c’est le comble du mépris pour un gouvernant d’organiser une festivité alors que le peuple pleure encore ses morts.

Monsieur le Président,
Savez-vous que ce tournoi dit « Troisième édition de la coupe du ministre de la Jeunesse et des Sports » a débuté le même jour, soit le 31 mai 2025, à peu près à la même heure, vers 15 heures 30 minutes, que la cérémonie de mise à terre du capitaine Abdoul Aziz Boureima Moumouni et de ses compagnons tombés sur le champ d’honneur, à Falmey ? Comment qualifierezvous vous-même cet acte ? De l’arène de lutte traditionnelle au carré des martyrs où ils ont été inhumés, il n’y a à peine que cinq à 10 minutes de route. Le fait est grave et vos compatriotes l’ont relevé comme un acte supplémentaire qui prouve que vous êtes de plus en plus à mille lieues de leurs préoccupations. On ne peut pas se livrer à des fêtes tandis que son peuple pleure ses morts.

Vos compatriotes sont surtout sidérés par ce décret exceptionnel que vous avez signé et qui accorde à compter du 1er, des grades à titre exceptionel à des officiers que vous avez triés sur le volet. Ils sont sidérés de constater que cela survient cinq jours seulement après les tragiques évènements de Falmey et s’interrogent gravement sur les motivations et les justifications d’un tel fait. N’étant pas militaire et ne connaissant pas grand-chose des règles et des procédures de passage aux grades supérieurs dans l’armée, je me garde de commenter ces promotions exceptionnelles dans un contexte sujet à caution. Toutefois, j’ai été confronté à une question qui m’a été posée à plusieurs reprises : ne serait-il pas plutôt indiqué d’accorder ces promotions à titre posthume aux officiers et soldats tombés à Eknewan et à Falmey ? Bien évidemment, je n’ai pas répondu à la question, étant entendu que bien que conseiller officieux du chef de l’État, je ne suis pas dans les secrets de la refondation pour me permettre de telles prétentions.

Monsieur le Président,
Vous devez le savoir : autant votre mutisme quant au bilan réel d’Eknewan et de Falmey que le passage aux grades supérieurs de plusieurs officiers de l’armée, pratiquement dans la foulée de ces évènements tragiques, sont très mal appréciés. Ce n’est pas bien, ni pour vous ni pour le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp), encore moins pour le Niger.

Parlant de préoccupations, je ne suis pas outre mesure surpris par le fossé qui se creuse entre vous et votre peuple, notre peuple puisque, tôt, un ami perspicace, m’a demandé d’ouvrir les yeux sur ce qu’il disait plus qu’évident. Il m’a rappelé que l’éviction de Bazoum Mohamed n’a pas été suivie des chamboulements attendus en termes de changements d’hommes. Il m’a demandé de lui dire quel est le préjudice que les anciens dignitaires ont subi , à part le séjour qu’il dit calcul, de quelques mois en prison, histoire, dit-il, de faire bonne mesure et de persuader les esprits fragiles. Il m’a demandé si vous ignorez réellement les crimes et délits dont Issoufou Mahamadou en personne s’est rendu coupable dans de graves affaires comme les rails de Bolloré, l’uraniumgate, le Mndgate, entre autres, que les Assises nationales ont d’ailleurs demandé les jugements. Il m’a demandé enfin, si par-delà les privilèges inouïs dont jouit Issoufou Mahamadou, de lui expliquer objectivement une seule bonne raison qui pourrait justifier, pour le bien du Niger précise-t-il, cet article 12?

Face à mon silence, puis à mes tergiversations et à mon incohérence, il a répondu à ma place par ce mot bref, mais percutant : « aucune ! ». Pour sauver l’honneur, cet honneur des hommes égarés mais qui persistent dans l’erreur comme un cardiaque qui s’est planté dans un parcours de combattant, j’ai répondu aussi sèchement : « dites ce que vous voulez, nous ne reculerons pas, nous ne nous remettrons pas en cause parce que nous savons ce que nous recherchons pour ce pays ».

Monsieur le Président,
Bientôt, je veux dire dans moins de 72 heures, la communauté musulmane de notre pays fêtera l’Aïd El Kébir communément appelée la fête de Tabaski. Mes prières, en ce moment d’interrogation et d’expectatives, vont à l’‘endroit du peuple nigérien dont les fortes attentes en matière de justice n’ont pas connu le moindre début alors que vous avez porté vos galons de Général d’armée, auréolé du titre de président de la République et obtenu un premier mandat renouvelable, que dis-je, modulable,de cinq ans. Ah, pourquoi avez-vous remplacé le terme renouvelable retenu par les Assises nationales, par « modulable » ? Car, renouvelable renvoie à la possibilité de prolonger votre bail de cinq ans, c’est-àdire pour la même durée tandis que « modulable » vous autorise, soit de le prolonger, soit de l’écourter. Bref, je pense au peuple nigérien qui n’a pas trouvé, loin s’en faut, ce qu’il attendait de ceux-là qu’il a célébrés, soutenus sans réserve afin que prévalent les seuls intérêts du Niger.

Avec vous, je fais la prière suivante : que Dieu, dans son infinie bonté protège le Niger contre tous ceux qui, malveillants notoires ou dissimulés, travaillent à le tromper, à le trahir et à le maintenir sous le joug de ceux dont les actes lui ont porté de graves préjudices !

Mallami Boucar (Le Monde d’Aujourd’hui)