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Lettre au chef de l’État – Mon Général, pour une gouvernance juste et décisive

allocution du president du conseil national pour la sauvegarde de la patrie cnsp chef de letat a louverture des assises nationalesLettre au chef de l’État Mon Général, Le voeu de vos compatriotes, c’est de voir mon pays amorcer un tournant décisif dans la gouvernance et que la justice soit replacée au coeur de la lutte contre la corruption
Je n’ai pas honoré mon rendez-vous de la semaine dernière et tiens à vous présenter mes plates excuses. Je sais que ma lettre n’est pas toujours lue et que même lue, elle n’est pas forcément bien appréciée. Je le comprends et l’accepte volontiers, ma mission étant par nature de celles qui sont ingrates. Je travaille pour mon pays et mon peuple et de cette lettre que je vous adresse chaque semaine, je n’attends pas autre chose que de jouer ma partition dans ce monde de faux et de mensonge. Je trouve dommage que deux ans encore après l’avènement du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp), que le Niger, notre cher pays, soit encore en proie à des doutes profonds. Je trouve dommage que près de deux ans après votre prise du pouvoir, notre peuple soit encore réduit à spéculer sur la gouvernance, simplement parce que vous n’avez pas clarifier les lignes de démarcation entre le Niger auquel vous avez mis un terme et celui auquel vos compatriotes aspirent profondément et que vous avez solennellement promis. C’est vraiment dommage que près de deux ans après l’avènement d’une instance militaire qui a suscité tant d’espoirs, notre pays soit encore à la croisée des chemins, inspirant doutes et suspicions quant aux. Lendemains qui nous attendent.

Moi, je capte ce qui se raconte et je puis vous dire que vos compatriotes ont le sentiment, de plus en plus partagé, qu’ils ont encore du chemin et du travail à faire pour échapper à ces sangsues qui ont pris le Niger en otage durant 13 ans, avec tout ce que cela représente comme désastres et tragédies. La corruption, les détournements des deniers et biens publics, les arrestations et les emprisonnements politiques, l’insécurité et le terrorisme sur fond de business indécent, la cession de la souveraineté à des pays étrangers, etc., sont des délits et des crimes qui ne sauraient être pardonnés comme s’il s’agissait de simples déclarations d’intentions.

Malheureusement, l’intervention des Forces de défense et de sécurité pour arrêter la descente aux enfers et qui vous a porté au pouvoir est malheureusement sujette à caution, votre démarche et vos choix stratégiques pour conduire les affaires publiques n’ayant pas hélas suffi à dissiper les doutes de vos compatriotes. Au contraire, ils les ont accentués, la lutte contre la corruption qui était un de vos engagements solennels ayant finalement donné lieu à une mise en veilleuse des dispositions légales du Code pénal nigérien. La répétition est pédagogique et c’est pourquoi je ne me lasse pas de rappeler à celui que j’ai le devoir patriote de servir, que vous auriez dû vous garder de signer cette ordonnance portant création de la Coldeff (Commission de lutte contre les infractions économiques, financières et fiscales), plus exactement de ne la signer avec ce fameux article 22 et ses alinéas. Vous auriez dû rester droit dans vos bottes et de laisser la juridiction compétente, la Justice, jouer son rôle.

Mon Général,
Votre «péché» originel, c’est d’avoir endossé une loi qui, en son article 22, vide la lutte que vous avez promise contre la corruption de toute essence. Je me suis largement étendu sur cette dilution de la responsabilité pénale de certains compatriotes à travers l’article 22 de l’ordonnance créant la Coldeff. Je n’y reviendrai pas, mais estime utile de vous expliquer que c’est exactement cette mise en parenthèses de la loi pénale et de l’institution judiciaire qui sont à la base de la chienlit observée aujourd’hui. Il n’y a, je dois le souligner aucune ligne de démarcation entre les citoyens intègres et les voyous de la République qui ont saigné — dans toute son acception — le Niger et je ne vois pas ce qu’il est possible de construire de bon avec une telle salade. Des compatriotes que tout prépose au mieux à la prison à vie, sinon à la condamnation à mort, sont exonérés de toute poursuite judiciaire tandis que d’autres croupissent encore en prison pour des délits parfois non constitués. Certains procès en ont administré la preuve puisque, après des années d’incarcération, les mis en cause ont été purement et simplement libérés avec un non-lieu.

Mon Général,
Moi, je ne comprends pas cette détention prolongée d’hommes dont vous ne vous êtes pas déclaré responsable de l’incarcération. Pourquoi alors sont-ils encore en prison alors qu’il est accordé à des terroristes la possibilité d’être amnistiés, réintégrés dans la société et même accueillis avec respect et considération ? C’est une grosse plaie que vous devez vous atteler rapidement à panser et à soigner.

À l’occasion de ces Assises nationales que vous avez inaugurées le samedi 15 février 2025, je crois utile de rappeler à votre bon souvenir l’impératif de replacer la justice au coeur de la refondation. Vous suivez sans doute la tendance des débats et je crois bien avoir appris qu’ils sont nombreux, ceux qui vous demandent avec insistance une longue transition. Mais vous devez également savoir que, comme l’a si bien signifié un compatriote, la justice est un préalable à toute refondation.

Des échos qui parviennent jusqu’à mes longues oreilles, j’ai appris que les compatriotes réunis dans le cadre des Assises sont en train de tabler sur cinq ans de transition, histoire dit-on, de permettre au Cnsp de restaurer totalement la sécurité et d’assainir la gouvernance. Je n’ai rien contre votre maintien au pouvoir, mais nourrit légitimement des doutes quant à la finalité au regard des jalons déjà posés. La Coldeff et son article 22 suffisent amplement à faire peur et vous comprendrez sans doute que j’attende de meilleurs développements pour croire en la refondation.

Mon Général,
Vous ne me tiendrez sans doute pas rigueur d’être aussi méfiant, mais chat échaudé craint l’eau froide. Le voeu de vos compatriotes, c’est de voir mon pays amorcer un tournant décisif dans la gouvernance et que la justice soit replacée au coeur de la lutte contre la corruption. Car on a beau brocarder les magistrats, ils ne sont que ce que nous voulons. Dans tous les corps, il y a bien sûr des ripoux. C’est pourquoi il est exagéré et plein de penser que la justice tout entière est corrompue. Dans l’armée, dans la police, dans la presse, dans les Eaux et Forêts, etc., il y a des ripoux. C’est à nous de cultiver et de promouvoir le meilleur de ces corps.

Mon Général,
Que Dieu, le Créateur des cieux et de la terre, vous inspire le meilleur pour le Niger et son peuple ! Mallami Boucar

 Mallami Boucar (Le Monde d’Aujourd’hui)