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Lettre au chef de l’État : Mon Général, n’oubliez pas, je vous en prie, qu’on ne tresse pas sur des poux

Abdourahamane Tiani adresse un message de felicitations au president poutine Eclairez ma lanterne afin que je ne puisse commettre des impairs qui me seront reprochés. Depuis quelques temps, j’entends parler de programme de résilience pour la sauvegarde de la patrie et j’ai cherché à en savoir davantage. J’avoue que dans un premier temps, j’ai pensé à ces genres d’alchimie propres à divertir un peuple afin de l’éloigner des préoccupations majeures. Puis, j’ai demandé et obtenu le programme en question qui, je le constate, est daté de janvier 2024. J’ai immédiatement tiré la conclusion qu’ainsi, depuis plus de six mois, le Niger est gouverné sur la base d’un programme couvrant les années 2024, 2025 et 2026. Un monumental programme qui n’a rien laissé au hasard et qui m’a poussé à me demander si vous ne seriez pas en train d’embrasser trop large. Qui embrasse mal étreint mal, dit-on, autrement dit « qui veut entreprendre ou faire trop de choses à la fois risque de ne rien réussir ».

Lorsque j’ai reçu copie électronique du document- programme, je me suis posé mille et une question. La première, c’est de me demander ceux qui ont pu vous pousser dans cette voie et cette mission titanesque. J’admire votre ambition de changer le sort du Niger et je la partage entièrement avec vous et tous ceux qui, patriotes sincères, se sont toujours battus corps et âme, pour le bien-être de notre peuple. Vous le savez, j’en suis un fervent soldat, prêt à tout pour offrir au Niger et à son peuple, le meilleur. Cependant, sauf votre respect, je considère qu’avec ce que j’ai eu à parcourir dans ce programme, on vous a mis sur une piste qui risque fort de vous conduire dans un sable mouvant. Vous êtes venu, vous l’avez dit, non pas pour vous éterniser au pouvoir, mais pour une mission précise, celle de favoriser et de conduire une profonde catharsis, en inaugurant une gouvernance nouvelle. Votre mission, vous l’avez dit et répété, c’est de mettre un terme, d’une part au terrorisme et à l’insécurité, d’autre part aux infractions économiques, financières et fiscales. J’ai peur que vous ne vous engluiez dans un sable mouvant dont il vous sera difficile, extrêmement difficile, de sortir.

Mon Général

Il ne me viendrait pas à l’idée d’avancer que le programme que vous vous êtes imposé est irréaliste. Cependant, j’ai le devoir d’attirer votre attention sur un certain nombre d’aspects qui ont retenu mon attention. Je pourrais être trop fouineur, mais c’est un devoir de patriote que de vous alerter à temps sur l’impératif de recentrer votre mission afin de vous donner toutes les chances de réussir. En toute honnêteté, vous n’avez pas besoin de vous embarrasser d’un si immense programme. Vous êtes là pour poser les jalons d’une gouvernance nouvelle et vous auriez sans doute mieux fait de vous concentrer sur l’essentiel à faire. Ce que j’ai vu m’a tout l’air d’être une substitution de ce que vous, vous comptez faire à la tête de l’État. C’est un gros risque que vous prenez. Pour le bien du Niger et de son peuple, je ne vous souhaite pas l’échec, mais vous savez autant que moi que le succès et l’échec sont les deux faces d’une même médaille ; que dans le cas d’un pays comme le Niger, avec plus d’une décennie de prédation des ressources publiques non sanctionnée pour produire des effets de changement de comportement, l’on est plus proche de l’échec que du succès. Car, je ne cesserai de vous le rappeler, on ne tresse pas sur des poux.

Déjà, dans le document-programme, j’ai relevé les germes de difficultés extrêmes. On parle de la restauration de la bonne gouvernance et je me suis demandé s’il est vraiment possible de faire de vieux ripoux des gouvernants exemplaires ; s’il est possible de faire d’un prédateur des libertés publiques, un démocrate républicain ; s’il est possible de faire du voleur, le gendarme de la République.

J’ai aussi noté que « le problème central est la faible culture patriotique et démocratique des acteurs politiques qui considèrent la politique comme une opportunité de réalisation individuelle ». Et parmi les causes, j’ai été surpris de relever en cinquième position, l’impunité pour les acteurs des crimes sociopolitiques. Pourquoi pas financiers aussi puisque c’est le crime le plus répandu sous la 7e République que vous avez renversée ? Je n’ai pas d’autant compris que cela ne peut être le résultat d’un hasard, mais d’un choix qui exclue, sans doute à dessein, les crimes que vos compatriotes attendent de voir jugés.

Mon Général,

Parmi les défis majeurs, j’ai relevé le nonrespect de l’adéquation profil-poste et me suis demandé quand est-ce que cela va commencer alors que vous avez nommé des militaires, en pleine guerre contre le terrorisme, administrateurs délégués. Nous avons pourtant un grand nombre d’administrateurs formés notamment à l’Ecole nationale d’administration (ENA), des cadres d’expérience. Il y a plein d’autres aspects qui paraissent incongrus dans un contexte où il n’y a pas de reddition de comptes judiciaires, y compris pour des faits qui méritent une qualification de crime. Je ne peux faire étalage de tout ceci dans cette lettre. C’est pourquoi je coupe à ce sujet pour me focaliser sur les mécanismes de gestion et de mise en oeuvre qui semblent complexes et lourds à coordonner parce qu’elles sont si superposées. Voici ce que j’ai relevé et qui me semble digne d’analyse pour assouplir les mécanismes en allégeant au maximum le dispositif.

« Le dispositif institutionnel de coordination du PRSP est composé d’organe d’orientation et de pilotage, d’organes techniques d’appui conseil et de coordination, de structures d’appui à la mise en oeuvre et au suivi et évaluation et de cadres de concertation. Ce dispositif a été créé par arrêté 0414/PM/CAB du 4 octobre 2023 ».

Puis…,

« L’organe d’orientation est le Comité de Pilotage (CoPil). Les organes techniques d’appui et de coordination comprennent le Secrétariat technique national (STN), le Comité d’experts, les comités techniques sectoriels (CTS), les comités régionaux de coordination du PRSP (CRC/PRSP), les Comités départementaux de coordination du PRSP (CDC/PRSP) et les Comités communaux de coordination (C2C/ PRSP) ».

Je comprends, dans une volonté de mailler tout le pays et de circonvenir les citoyens dans le cadre de cette vision unique déclinée dans votre programme, que toute l’intelligence soit mise pour ferrer le maximum de leaders d’opinion. C’est de bonne guerre. Cependant, le trop de structures tue le travail. J’ai d’ailleurs qu’il y a aussi des « structures d’appui à la mise en oeuvre et au suivi-évaluation qui sont constituées des services en charge du développement du ministère de l’Économie et des Finances et de l’Institut national de la statistique (INS) ».

Last but not the least, il ne faut pas oublier « les cadres de concertation qui sont composés, au niveau national, du Comité national de participation citoyenne pour la sauvegarde de la patrie (CNPC/SP) et du Comité de partenariat concerté (CPC) ».

Mon Général,

Je vous demandais humblement à l’entame de cette lettre d’éclairer ma lanterne. Est-ce que je peux encore continuer à parler de Transition militaire avec ce programme si lourd et ces structures de gestion de l’Etat si complexes ? Je pose la question parce qu’auparavant, aucun organe militaire de transition ne s’est doté d’outils si significatifs. En attendant d’avoir une réponse à cette question, n’oubliez pas, je vous en prie, qu’on ne tresse pas sur des poux.

Mallami Boucar (Le Monde d’Aujourd’hui)