Lettre au chef de l’État Mon Général : l’indignation face à l’appel au pardon et à l’oubli
Lettre au chef de l’État Mon Général, C’est que le peuple nigérien réuni lors des Assises nationales vous a demandé, c’est de vous investir dans une lutte implacable contre l’impunité et la corruption, notamment en supprimant les immunités parlementaires et les privilèges de juridiction et en faisant juger toutes les affaires ayant porté préjudice à l’État.
J’ai suivi la cérémonie de remise du rapport final des Assises nationales intervenue le lundi 10 mars 2025 et je dois avouer que, sans être surpris outre mesure, votre invite au pardon et à l’oubli a déchiré mes tympans. Sauf votre respect, je voudrais vous dire que demander à vos compatriotes de pardonner et d’oublier alors que les responsabilités ne sont pas encore situées dans de graves affaires qui ont porté préjudice à l’État et que les mis en cause eux-mêmes ne se reconnaissent pas dans les actes incriminés, c’est leur demander de prendre leur mal en patience et que ce n’est pas demain la veille que les affaires citées seront jugées dans ce pays.
J’ai été sidéré par les deux mots que vous avez choisi d’aligner car pardonner et oublier ne riment pas ensemble. Pardonner, c’est renoncer à punir et c’est forcément, pour rester dans le cadre des affaires relevées par les participants aux Assises, après avoir situé les responsabilités, voire le degré de responsabilité des personnes citées dans lesdits dossiers. Ce qui est bien différent de «oublier» qui veut dire «faire disparaître de la mémoire», «cesser de penser à…», «ne pas avoir à l’esprit», etc. En associant ces deux mots, votre propos ne veut pas dire autre chose que ce qui suit : « Renoncez à punir et arrêtez de penser à ces affaires dont vous attendez les jugements ». Je ne sais pas pourquoi vous avez associé ces mots, mais je sais toutefois qu’ils ont sonné le glas de la confiance de très nombreux compatriotes qui n’attendent pas moins de vous que de rendre justice au peuple nigérien. J’en suis malade car j’ai parié que vous êtes le messie et aujourd’hui, on m’a malicieusement demandé si j’ai entendu ce à quoi mon messie invite les Nigériens.
Mon Général,
En demandant à vos compatriotes d’apprendre à pardonner et à oublier, vous avez provoqué une onde de choc terrible au sein de l’opinion nationale si bien que vos propos ont laissé bouche bée tous acteurs de la société civile qui vous ont soutenu sans réserve et accompagné jusqu’ici en croyant fermement à vos promesses et à vos serments. Je n’ai pas encore observé de réaction chez les plus en vue, à croire qu’ils sont groggys. Si c’est un ballon d’essai, je me sens en devoir de vous dire que vous devez vous raviser en rassurant sur votre volonté de faire les procès attendus.
C’est que le peuple nigérien réuni lors des Assises nationales vous a demandé, c’est de vous investir dans une lutte implacable contre l’impunité et la corruption, notamment en supprimant les immunités parlementaires et les privilèges de juridiction. Ils vous ont également demandé de rendre justice aux Nigériens en faisant juger toutes les affaires ayant porté préjudice à l’État et de faire payer les mis en cause, ce à quoi vous auriez dû en vérité vous atteler dès les lendemains du 26 juillet 2023. Pour vous aiguiller, le peuple vous a cité, entre autres, l’uraniumgate et le MDNgate. Comme tant d’autres compatriotes, j’ai pensé que le peuple vous a gratifié, là, d’un bel hommage puisqu’il est de notoriété publique qu’un chef d’État n’a pas une autre mission que celle de faire ce qui est attendu de lui. Pour vous, cela est doublé d’un serment solennel que vos aspirations soient trahies par le Tout Puissant si jamais vous trahissiez les aspirations du peuple nigérien. Eh bien votre peuple a parlé et vous avez, là encore, déclaré qu’il a joué sa partition et que vous jouerez la vôtre sans aucune faiblesse.
Mon Général,
En demandant votre élévation exceptionnelle au grade de Général d’armée et en vous conférant certains pouvoirs, votre peuple vous a, une fois encore, accordé le bénéfice du doute. Sa décision de vous accorder tant de privilèges, d’honneur et de pouvoirs est un acte noble et vous êtes le premier à devoir saisir cette dimension et à la magnifier. C’est un acte de reconnaissance et de gratitude, mais il n’est nullement un chèque en blanc. C’est à la limite la provision qu’il estime nécessaire au soldat que vous êtes pour faire la mission attendue. C’est pour vous motiver à lui rendre service et je crains fort, à entendre vos mots de la fin lors de la réception du rapport définitif des Assises, que vous ne soyez pas sur la même longueur d’onde que votre peuple. Je m’attendais à vous entendre considérer qu’aussi bien votre élévation au grade de Général d’armée que la durée de la Transition et la dissolution des partis politiques ne sont pas les résolutions fortes des Assises ; qu’elles sont tout au plus l’expression d’un soutien qui ne vous a jamais fait défaut depuis le 26 juillet. Si la base de la confiance s’est considérablement effritée depuis lors, il y a encore, malgré les faits troublants qui suggèrent de la prudence, un nombre impressionnant de compatriotes qui croient en vous et en un possible break pour faire corps avec les attentes de votre peuple.
Or, lorsque je vous ai entendu demander à vos compatriotes d’apprendre à pardonner et à oublier, sans même avoir commencé à leur rendre justice, j’ai failli pleurer. Je me suis retenu en convoquant la succession des faits et actes qui devaient, dès le départ, alerter nos compatriotes mais qu’ils ont laissés au frigo en espérant, à chaque étape, voir le meilleur émerger et primer. Je me suis retenu parce que j’ai pensé, d’une part, à l’article 22 de l’ordonnance portant création de la Coldeff qui n’est qu’une suite logique de la renonciation de l’État, sous Bazoum Mohamed, à se porter partie civile dans le MDNgate ; d’autre part, à la non-libération des prisonniers politiques, civils et militaires, d’un régime que vous avez renversé.
J’ai essayé de mettre en opposition ce fameux « Vous avez joué votre partition, je jouerai la mienne sans aucune faiblesse » avec ce non moins fameux « vous devez apprendre à pardonner et à oublier ». Pour tout boucler, j’ai reconvoqué à nouveau l’article 22 de la Coldeff et la non-libération des prisonniers politiques. Greffés à ces résolutions que vous, après le chef de canton de Sinder, président des Assises nationales et votre ministre de l’Intérieur, le Général de Brigade Mohamed Toumba, avez mis en épingle, j’ai eu la ferme conviction que vous devez plus que jamais fait votre propre introspection. Oui, retirez-vous seul pendant quelque temps et remettez-vous en cause afin de vous mettre au diapason des attentes de votre peuple. Pour faire cet exercice utile et bénéfique au peuple nigérien, partez du postulat qu’on ne tresse pas sur des poux.
Mallami Boucar (Le Monde d’Aujourd’hui)