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Lettre au chef de l’État Mon Général : les défis de la transition et l’ombre de la 7e République

Le Président Abdourahamane Tiani Lettre au chef de l’État
Mon Général,
La Refondation, convenons-en, n’est pas que des mots chantés à tue-tête, c’est une vision qui repose sur des fondements solides érigés sur le terreau de la justice Permettez-moi d’avoir une pensée pieuse pour tous ces prisonniers politiques qui continuent à garder prison, 15 mois après votre prise du pouvoir. Aux civils comme aux militaires, je leur souhaite d’avoir santé et longévité ainsi que la liberté.

Ce devoir effectué, je voudrais vous féliciter pour toutes ces actions et même les velléités de bien faire que vous affichez depuis le 26 juillet 2023, signe évident que vous êtes l’objet d’un combat moral tenace qui vous ravage, tant vous savez à quel point vos compatriotes sont profondément attachés à la justice sociale qu’ils réclament à cors et à cris. Je vous sais bon soldat pour ne pas imaginer le drame intérieur qui vous déchire. C’est pourquoi je ne voudrais pas en rajouter en vous rappelant, une fois encore, votre serment public de ne pas trahir le peuple nigérien en prenant à témoin le Créateur, le Tout Puissant à qui vous avez de demandé qu’Il vous trahisse si jamais vous trahissez votre peuple. Cependant, je trouve convenable et même indiqué de vous dire que figurant parmi ceux de vos compatriotes qui aspirent à un Niger nouveau, sur fond de gouvernance vertueuse, je crois devoir attirer votre attention sur le doute tenace qui m’habite quant à la voie que vous avez choisi de suivre. Sur la base des orientations qui ont jusqu’ici fondé votre action à la tête de l’État, je doute profondément que vous soyez sur la bonne voie.

Mon Général,
J’entends beaucoup parler de refondation, particulièrement dans la bouche de leaders de la société civile qui, hier encore, se déclaraient attachés à des principes et à des valeurs. Des leaders de la société civile que vos compatriotes sont surpris, pour ne pas dire choqués, de voir dans ce registre de soutien aveugle qui les a conduits, sans tambours ni trompettes, à sacrifier tout ce qui les distinguait de la Dynamique citoyenne de Issoufou Sidibé. Celui-là, tout comme son mentor Issoufou Mahamadou, doit être aux anges en constatant que même les plus grandes gueules — Passez-moi l’expression — ont été apprivoisées et dressées en un temps-record. La Dynamique citoyenne de Sidibé s’est donc élargie en happant ses plus farouches adversaires. Désormais, il y a deux ailes de la Dynamique citoyenne qui mènent d’ailleurs une sorte de compétition de loyauté et de zèle, au grand bonheur d’un Issoufou Mahamadou qui peut constater qu’il n’y a plus que quelques thuriféraires isolés parmi les acteurs de la société civile à réclamer réclamer son arrestation et sa traduction en justice. C’est une grande victoire pour Issoufou Mahamadou sur le peuple nigérien qui doit encore attendre pour voir son rêve réalisé.

Mon Général,
La Refondation, nous l’entendons comme un projet qui consacre une gouvernance vertueuse. Cela, bien entendu, ne peut être possible qu’en faisant juger tous les crimes commis au cours de la 7e République afin que cela serve de leçons aux Nigériens. Ne pas le faire, c’est accorder une prime pour la corruption et les détournements des deniers et biens publics.

C’est dire que ce contre-pied aux discours politiquement acceptables, je ne le prends pas de gaieté de coeur. J’aurai d’ailleurs voulu n’avoir qu’à applaudir, à féliciter et à glorifier comme le font aujourd’hui tant d’acteurs de la société civile qui ont visiblement tout trahi, principes et valeurs compris, pour devenir ce qu’ils sont devenus. Hélas, ma conscience, ce juge intraitable et incorruptible, ne me le permet pas. Je reste fidèle à ce que j’ai toujours souhaité pour mon pays et mon peuple, c’est à dire le meilleur.

Je regrette par conséquent d’être à l’opposé de tous ces laudateurs qui ressassent sans cesse que nous sommes en Refondation, sans se rendre compte du ridicule dont ils se couvrent. La Refondation, convenons-en, n’est pas que des mots chantés à tue-tête, c’est une vision qui repose sur des fondements solides érigés sur le terreau de la justice. Or, il y a belle lurette que ces acteurs de la société civile ont abandonné les détenus politiques de la 7e République à leur sort et ne vous enquiquinent plus pour la traduction en justice des auteurs de crimes économiques, y compris pour celui, odieux du ministère de la Défense. Y a-t-il plus grand discrédit pour ces leaders de la société civile que de se taire face à l’inacceptable ? Y a-t-il plus grand ridicule que de parler de refondation lorsque la justice est reléguée aux calendes grecques, même face à des cas de crimes aussi graves que ceux commis par Issoufou Mahamadou et ses protégés ?

Mon Général,
À l’inverse de Issoufou Mahamadou qui peut déboucher le champagne pour fêter son triomphe sur ses plus grands détracteurs, les prisonniers politiques de la 7e République qu’un ami, qui se dit profondément déçu et choqué, refuse de considérer comme déchu, boivent, eux, le calice jusqu’à la lie. Ils ont constaté, hélas, que si l’on ne parle plus de la 7e République, ses vestiges sont toutefois là, solides puisqu’ils continuent à garder prison.

Je dois d’ailleurs vous avouer que ma conscience ne permet pas de comprendre et d’admettre ce que les leaders de la société civile dont je parle ont fort bien compris au point de devenir les plus grands précurseurs de votre vision pour le Niger ; une vision que nous autres, idiots impardonnables, n’arrivons toujours pas à intégrer dans nos petites têtes qui trouvent qu’elle ne peut prospérer sur le terreau de la corruption et des détournements des deniers publics.

Soyons clairs, nous avons aisément compris et déclaré notre plein soutien à la lutte pour la souveraineté que vous menez. Nous y avons d’autant plus adhéré que la voie de la liberté et de la prospérité qu’elle ouvre à notre pays est sans commune mesure avec celle de la servilité, synonyme de la pauvreté, voire de la misère que nous avons subie pendant plus de six décennies. À l’exception de quelques apatrides et égarés — ça ne manque pas — vous ne trouverez pas un compatriote qui remettrait en cause la voie que vous avez tracée. Sur ce registre, vous ne courez aucun risque de trahir les aspirations du peuple nigérien si la tendance observée est maintenue.

Votre problème, c’est la gouvernance locale pour laquelle, malheureusement pour le Niger, vous n’avez pas envisagé les meilleurs fondements et perspectives. Avec l’alinéa 2 de l’article 22 de la Coldeff, les nominations dans la haute sphère de l’administration publique, l’attribution des marchés publics, la liberté inouïe dont jouit l’ancien président Issoufou Mahamadou, l’alpha et l’oméga des misères du Niger pendant les 13 années passées, je doute fort que la Transition actuelle puisse accoucher de grand-chose. La montagne, comme on dit, risque d’accoucher d’une souris et ce sera reparti pour l’éternel recommencement.

Mon Général,
Vous avez sans doute remarqué que je ne vous ai pas parlé de cette histoire de ciment et des nouveaux prix dont vous avez décidé. Je vous en parlerai, le temps de vérifier sur le terrain si le cas des prix du riz ne va pas être réédité.

Je vous souhaite santé, longévité et une remise en cause attendue de la gouvernance en cours et des perspectives qui ôtent toute possibilité de rêver d’un Niger meilleur. Mallami Boucar (Le Monde d’Aujourd’hui)