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Lettre au chef de l’État, Mon Général : le peuple attend des actions concrètes après les Assises

Abddourahamane Tiani Mon GeneralLettre au chef de l’État Mon Général, Votre peuple a parlé et vous avez juré de ne jamais le trahir. Il vous a donné le pouvoir et le temps nécessaire pour l’exercer, mais il vous a également mis dos au mur en vous mettant face à des défis que les détracteurs disent perdus à l’avance.
Je voudrais d’abord vous féliciter pour le succès éclatant des Assises nationales dont j’ai beaucoup apprécié les résolutions. Mais j’ai aussi le devoir de vous rapporter ce que mes longues oreilles arrivent à capter, histoire de vous permettre de prendre du recul et de réussir votre pari. Car, la balle est désormais dans votre camp et vous l’avez parfaitement compris. « Vous avez joué votre partition, avez-vous dit à la clôture des Assises, je jouerai la mienne sans aucune faiblesse ». C’est un autre serment solennel qui vient s’ajouter à celui que vous avez fait à l’entame de la Transition et que je me crois en devoir de vous rappeler : « Si je trahis les aspirations de mes compatriotes, que Dieu, le Créateur, trahisse les miennes ».

Vos compatriotes sont des croyants et ils n’osent pas imaginer que quelqu’un puisse faire un tel serment avec, au fond, l’intention de tromper, d’abuser, de trahir. Leur acquis de confiance vient de là et je crois qu’ils n’ont pas tort, même si par ailleurs on peut, lorsqu’on est incrédule, les prendre pour des niais. Ce n’est pas véritablement cela et je crois qu’il est bien facile de cerner leur esprit et la logique qui va avec en relisant les conclusions des Assises.

Lorsque j’ai rappelé que la balle est désormais dans votre camp, c’est pour ne pas dire que les cinq ans gracieusement donnés sont loin d’être un cadeau. Je veux dire que ce n’est pas une sinécure, mais un lourd fardeau dont on vous charge et qu’on attend de vous voir emmener à destination, sans tergiversation et sans atermoiements. Vos compatriotes réunis à Mahatma Ghandi n’ont même pas fait cas des 19 mois que vous avez déjà passé à la tête de l’État et que certains détracteurs assimilent au fameux bonus de Tanja Mamadou en 2009.

Si je dis que j’ai beaucoup apprécié les résolutions issues des Assises nationales, c’est pour ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Bien entendu, et vous en convenez sans doute avec moi, certaines recommandations sont une invite au nihilisme propice à la destruction, en somme à un travail de bûcheron ivre qui coupe sans discernement. En vous accordant cinq ans pleins, vos compatriotes ont à coeur de voir la gouvernance de leur pays complètement refondée. Or, pour refonder la gouvernance, il faut remodeler les comportements des hommes, changer leurs rapports avec les deniers et biens publics. Comment ? Vos compatriotes vous l’ont clairement indiqué en vous demandant de faire juger tous les dossiers par lesquels des hommes, que vous connaissez si bien, ont porté un très grave préjudicie à l’État et au peuple nigérien. À titre d’exemples et afin que nul ne prétende comprendre de quoi il s’agit exactement, ils ont notamment cité le très sale dossier du Mdngate, l’uraniumgate ainsi que l’assassinat du Président Ibrahim Maïnassara Baré.

Mon Général,
Je crois que les choses sérieuses commencent véritablement à présent où le peuple a parlé. Vous êtes désormais face à des épreuves qui ne laissent aucune place aux approximations, aux à-peu-près et je sais que c’est loin d’être de la tarte pour vous. Soyez sûr en tout état de cause que je serai à vos côtés pour vous dire ce que vos compatriotes attendent de vous voir faire. Car, le temps dévolu à la parole est dépassé, il s’agit à présent de faire pour convaincre définitivement. C’est dire que vous n’aurez plus droit au moindre sursis, à la moindre excuse. Vos compatriotes attendent des résultats et je sais que le dossier judiciaire sera votre parcours de combattant. C’est sur ce volet que vos compatriotes vous attendent le plus. Je puis vous assurer que c’est la priorité à laquelle vous devez impérativement vous atteler en faisant juger, librement, ces affaires qui ont fait pleurer le peuple nigérien. Le plus tôt vous le faites, le mieux sera pour tout le monde.

Mon devoir n’est pas que de rapporter ce que mes longues oreilles entendent. Mon devoir, c’est également de vous éclairer afin que vous sachiez ce qu’il y a de mieux à faire et selon quel agenda. Les questions de justice réclamées avec force par les participants aux Assises nationales sont non seulement la priorité du peuple nigérien, mais elles sont aussi pressantes. Je veux dire qu’il serait maladroit pour nous de penser que cela peut attendre ou qu’il sera juste nécessaire de poser des actes séduisants et pleins d’empathie vis-à-vis de certaines couches de la population pour faire oublier cet impératif.

Mon Général,
N’acceptez pas qu’on vous induise en erreur en vous demandant de faire dans le dilatoire ou de chercher à substituer à cette forte attente des actes supposés populaires et fortement appréciés. Car, plus vous agirez comme ça, plus vous attiserez l’impatience et la déception chez des soutiens formels et jusqu’ici indéfectibles. Votre peuple a parlé et vous avez juré de ne jamais le trahir. Il vous a donné le pouvoir et le temps nécessaire pour l’exercer, mais il vous a également mis dos au mur en vous mettant face à des défis que les détracteurs disent perdus à l’avance. Ils ont de quoi argumenter pour soutenir leur opinion et c’est cela qui m’a gelé dans nos discussions. Vous savez quoi, ils rappellent interminablement que l’article 22 et ses alinéas de la Coldeff ne s’est pas retrouvé là où ils sont au hasard. Ils disent qu’ils ont été pensés et élaborés de façon à devenir un paravent légal qui mettrait les mis en cause dans ces sales dossiers à l’abri de toute poursuite judiciaire. Ont-ils tort ? Je ne le crois pas personnellement puisqu’à ce jour, c’est grâce à cette disposition insolite dans une guerre contre la corruption que des compatriotes qui doivent être depuis si longtemps derrière les barreaux pour de très longues années, sinon frappés de la peine de mort, sont encore libres et tranquilles.

J’ai fait droit à leur observation dans la mesure où moi-même, je n’ai cessé de vous rappeler que selon la loi pénale nigérienne, il y a tout un paquet d’individus qui sont préposés à la peine capitale pour avoir commis des détournements de 500 millions et plus. Pire, il y en a qui, en plus des milliards volés à l’État, sont impliqués dans le Mdngate, c’est-à-dire qui ont une responsabilité directe dans le massacre de militaires et de populations civiles.

Mon Général,
Je sais que ce sera très difficile pour vous, mais je ne désespère pas de vous voir dans une posture nouvelle. Je sais en tout état de cause que vous n’êtes pas seul et que derrière vous, il y a le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp) et que derrière le Cnsp, il y a toute l’armée nigérienne, toutes les forces de défense et de sécurité et qu’il y va de votre honneur à tous. Oui, dans ce challenge entre le peuple et vous, c’est l’image, l’honneur et la réputation de l’armée en particulier qui sont en jeu et je sais par expérience que vous ne laisserez pas l’armée s’empêtrer dans les marécages de la honte. Un soldat, c’est l’honneur de la patrie. Le choix n’est donc pas difficile à faire entre le Niger et le bien de quelques individus qui ont sacrifié leur pays sur l’autel de l’enrichissement personnel et de la servitude servile vis-à-vis de la France notamment.

J’ose par conséquent espérer que, dans trois mois au maximum, vous permettrez rapidement à nous autres, vos soutiens, de relever la tête et de dire à qui veut les entendre que le Niger est véritablement en marche vers la refondation de sa gouvernance. Sachez-le, mon Général, dans cette attente forte de justice de vos compatriotes, vous n’avez ni répit ni excuses ; le temps vous est compté et le Niger se portera mieux si vous «dégainez» aussi vite que possible pour «flinguer» ces criminels qui ont saigné notre pays. La justice est le seul remède à la situation du Niger, ne cherchez pas ailleurs ce qu’il faut.

Mallami Boucar (Le Monde d’Aujourd’hui)