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Lettre au chef de l’État : Garantir la liberté d’informer pour servir le Niger

le president abdourahamane tiani Lettre au chef de l’État : Mon Général, Dans tous ses rôles qui le grandissent et qu’il assume au péril de sa liberté et même de sa vie, la mission du journaliste doit être comprise comme un catalyseur de la bonne gouvernance.
Je suis très attentif à tout ce qui peut vous concerner et je me bats, croyezmoi, avec mes modestes moyens, notamment le verbe, pour vous défendre. Seulement, pour les troubadours et autres laudateurs qui peuplent les cours des chefs d’État sous nos cieux et que je vois bien s’agiter autour de vous, histoire de vous faire prendre des vessies pour des lanternes, je ne suis qu’une épine qu’il faut ôter des pieds éléphantesques de la refondation. Mais je sais également que j’ai beau déranger leur bruit incongru et tapageur fait pour vous empêcher d’entendre tout autre chose que leurs sirènes d’épouvantes et d’angoisses morbides, vous êtes le premier garant de ma liberté et de mon libre arbitre. Je sais que vous connaissez la valeur de ma lettre au chef de l’État que vous êtes ; une lettre faite de franchise et de vérités, pas forcément indiscutables mais empreintes de sincérité dans la volonté de servir le mieux possible le Niger et son peuple. Je vous sais donc gré de cette mansuétude, signe évident de votre sens de tolérance et de vérité que des individus, qui semblent être dans vos bonnes grâces malheureusement, s’efforcent de corrompre. C’est cette malheureuse volonté de tordre le cou aux voix critiques qui s’est manifestée dans cette tout autant malheureuse décision de suspendre la télévision Canal 3 et d’interdire d’activités son journaliste pour une durée de trois mois. Je salue la grandeur et la hauteur d’esprit du ministre de la communication qui a compris qu’on l’a entraîné dans un bourbier. Je ne rentrerai pas dans les détails de cette aberration qui a failli frapper Canal 3 Niger dans un contexte où tout commande d’encourager et de soutenir les médias.

Mon Général,
Il est communément admis qu’une plus grande participation des citoyens dans le processus de prise de décision permet une plus grande transparence et peut aider à assurer que les décisions politiques soient adaptées aux besoins des personnes qu’elles affectent. En outre, une plus grande participation des citoyens est importante pour la légitimité des décisions gouvernementales. Pour ainsi dire, c’est la liberté des médias qui rend possible la formation d’une sphère publique dans laquelle de multiples débats peuvent avoir lieu et une variété de points de vue être représentée. Pour conclure, c’est cette variété de points de vue qui fait la richesse des contributions citoyennes, toutes choses qui permettent au gouvernant épris de bonne gouvernance de ne pas être condamné à s’adosser uniquement aux avis parfois intéressés de ses conseillers.

Oui, mon Général, la communication est la clé de la bonne gouvernance et c’est tenant compte de ces explications lapidaires que je vous suggérerais de consacrer davantage d’intérêt à la contribution des médias afin d’élargir un peu plus l’espace public. Cette ouverture de l’espace, pour générer des gains appréciables, ne doit pas être confinée à un simple jeu de rôles théâtral. Elle doit être sincère et honnête, c’est-à-dire procéder d’une confrontation réelle d’opinions de citoyens libres qui «s’affrontent» dans un esprit de saine émulation au service de la nation. Le Niger actuel a besoin de communication, pas simplement d’informations. Ce sont deux logiques différentes. Il faut favoriser la culture de l’échange et du partage, particulièrement sur la gouvernance, c’est-à-dire sur les actes de gestion des gouvernants, la manière dont ils conduisent les affaires publiques. C’est lorsque le citoyen a la possibilité d’apprécier les actes de gouvernance de ceux qui sont appelés à cette mission qu’ils peuvent juger objectivement qui mérite les honneurs de la République et qui doit être accablé. Cela n’est possible, convenez-en, qu’avec des médias libres d’informer et de critiquer au besoin, des médias qui servent de plateforme aux débats publics sur la conduite des affaires publiques.

Mon Général,
Le gouvernant est assujetti, pour de multiples raisons, à une reddition des comptes devant le peuple, quel que soit par ailleurs le type de régime. Car, non seulement il agit au nom du peuple, mais il le fait également pour le compte des citoyens. Il ne peut par conséquent, particulièrement lorsqu’il fait le serment public de ne jamais trahir comme vous l’avez fait, se soustraire à cette obligation morale de permettre à ses compatriotes de savoir et de comprendre ce qu’il fait des ressources mises à sa disposition pour les servir..

Les médias sont vos alliés, tous autant qu’ils sont. Il n’y a donc pas cette malheureuse et malhonnête ligne de démarcation tracée par certains individus et qui distingue ceux qui sont pro et contre le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp). Évidemment, je ne parle pas de ces francs-tireurs égarés qui montent en épingle la moindre défaillance, y compris lorsque cela touche à la défense et à la sécurité de notre cher Niger. Je parle des médias classiques, que ce soit des journaux, des télés ou des radios, qui informent de façon juste et qui, dans un élan de service public dont ils sont investis, peuvent également révéler des choses parfois hideuses dont le gouvernant ne veut entendre parler, dénoncer et même acculer parfois afin que le gouvernant qui abuse de la confiance du peuple soit sévèrement châtié. Bref, dans tous ses rôles qui le grandissent et qu’il assume au péril de sa liberté et même de sa vie, le journaliste doit être compris comme un agent catalyseur de la bonne gouvernance.

Mon Général,
Portez-vous bien et que Dieu
bénisse le Niger et son peuple !

Mallami Boucar (Le Monde d’Aujourd’hui)