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Lettre au chef de l’État : corruption, négligence et ZimarInc au cœur des critiques

Abdourahamane Tiani adresse un message de felicitations au president PoutineLettre au chef de l’État
Mon Général
Permettez-moi d’être direct et franc comme d’habitude. La société dite canadienne à laquelle vous avez consenti le contrat de réalisation de la raffinerie de Dosso n’est pas crédible. C’est une société qui, selon tous les échos parvenus à nos grandes oreilles, n’a ni une assise financière nécessaire pour sa prétention ni de justifications de travaux similaires effectués ailleurs. Pire, ZimarInc dont il s’agit, n’a pas de point focal enregistré avec l’État de l’Ontario alors qu’on la prétend domiciliée dans cet État canadien. Elle enregistré avec les autorités de tutelle. Enfin, les noms commerciaux actifs enregistrés sont soit expirés, soit annulés. En un mot comme en mille, ZimarIn c’est une société fantoche et il n’y a certainement rien de bon à attendre d’une telle organisation pour le Niger. À l’exception de quelques voix d’opportunistes isolés, vos compatriotes sont unanimes à dire que cette société est disqualifiée pour prétendre à la réalisation de la raffinerie de Dosso. Vous avez désormais toutes les cartes en main pour savoir ce qu’il y a lieu de faire. J’ai d’ailleurs constaté que dans la foulée de cette affaire qui défraie la chronique, tant vos compatriotes veillent au grain, vous avez limogé le Secrétaire général, le Secrétaire général adjoint ainsi que le Directeur général des hydrocarbures du ministère du Pétrole. Sans le dire à vos compatriotes, vous avalisez ainsi la thèse de la corruption et du trafic d’influence ayant abouti à la sélection de cette entreprise qui n’a rien de telle que le nom. Même le site internet est vide d’informations. Il semble qu’il aurait été créé en 2024, une indication qui renseigne à suffisance qu’un groupe d’hommes comprenant bien entendu des compatriotes véreux, ont entrepris d’escroquer l’État nigérien. Cela s’est fait à plusieurs reprises sous la 7e République, des crimes que vous avez malheureusement absouts avec l’alinéa 2 de l’article 22 de la Coldeff (Commission de lutte contre les infractions financières et fiscales).

Mon Général,

Dans cette affaire de ZimarInc, vos compatriotes estiment que vous avez fait le strict minimum en vous contentant de limoger quelques cadres du ministère du Pétrole. Manifestement, aucune poursuite judiciaire n’est prévue et le ministre est épargné dans une affaire dont il porte tout au moins la responsabilité politique. S’il n’est pas coupable du fait, il est au moins coupable de négligence. Or, il n’a ni été démis de ses fonctions ni contraint à la démission. À moins que ce soit une affaire qui remonte à l’ancien ministre du Pétrole, Barké Moustapha. Dans ce cas comme dans l’autre, le Cnsp brille par un silence coupable, laissant les citoyens dans une seule et unique posture : spéculer, au risque de pourrir le climat sociopolitique. Quant au contrat sujet à caution, vos compatriotes attendent de savoir s’il est désormais nul et de nul effet ou si, malgré tout, vous le maintenez. Avec cette histoire de l’alinéa 2 de l’article 22 de la Coldeff, j’ai dû admettre lors d’échanges entre amis que c’est possible que ZimarInc conserve malgré tout son affaire.

Laissons cette affaire de ZimarInc en espérant que ce ne sera pas une affaire de la Transition. C’est tout de même le Général Salifou Modi qui a signé en sa qualité de Premier ministre par intérim et cette signature, m’a-t-on fait observer, est intervenue alors que l’affaire serait déjà connue en haut lieu. Sur cette question également, j’ai dû admettre que c’est plausible si toutefois l’origine remonte au ministre Barké. Mon Général, Le 24 octobre 2024 restera un jour mémorable pour le peuple nigérien qui a perdu un de ses plus dignes fils en la personne de Hama Amadou dont je n’ai pas à retracer ici le parcours et les hauts faits. Comme il y a une part d’insondable dans toute disparition humaine, celle de Hama Amadou a affecté beaucoup de nos compatriotes, mais elle a réjoui aussi d’autres, certainement moins nombreux mais teigneux à mort et vindicatifs. Ceux-là, ce sont qui se sont toujours illustrés dans le mal et par le mal, qu’ils font si bien que c’est devenu une logique pour eux. Pour ceux-là, la disparition de Hama Amadou semble être un boulevard vers la réalisation de leurs sombres desseins pour le Niger.

Vous le savez, je ne partage pas un millimètre carré avec ces types de Nigériens qui ne portent aucune des valeurs fondant notre société. Nous avons Dieu, ils ont un dieu, c’est l’argent à qui ils vouent un culte sans limites et au nom duquel ils sont prêts à tout, y compris à faire couler le Niger. Malheureusement, vous avez offert une seconde vie à ces âmes malfaisantes qui, chacun peut le constater désormais, ont tout perdu sauf le pouvoir et leurs capacités de nuisance.

Dès le départ, vous avez tout brouillé si bien qu’il est impossible de distinguer le bon grain de l’ivraie. Cette confusion, vous l’avez d’abord semée en refusant d’accéder aux attentes de vos compatriotes, pourtant si fortes, de vous voir libérer tous les prisonniers politiques du régime que vous avez déclaré avoir mis à mort. 16 mois après votre accession au pouvoir, vous continuez à vous accommoder de cette situation insolite. Aujourd’hui, je crois qu’il n’y a plus aucun compatriote à croire à une remise en cause de votre part sur cette question. Ceux qui sont en prison depuis si longtemps le savent de toute évidence. Ceux qui vous soutiennent sont dans la gêne, sachant que votre position sur cette question est plus que sujette à caution. Moi, votre conseiller, plus que tout autre. Lorsque la question est abordée en public, je m’éclipse, histoire de ne pas être contraint d’admettre la réalité qui crève les yeux.

Mon Général,

Il n’y a pas que ça. Non seulement vous n’avez pas accédé à l’attente la plus ferme de vos compatriotes en libérant les prisonniers politiques, civils et militaires, mais vous avez accordé une couverture juridique épaisse à ceux qui ont ruiné le Niger. Cette couverture juridique, pensée, réfléchie et élaborée selon toute vraisemblance dans un atelier des plus intéressés, c’est l’ordonnance de création de la Coldeff et son fameux alinéa 2 de l’article 22 qui offre une sécurité juridique à des individus qui sont considérés comme des criminels par la loi pénale nigérienne qui prévoit la peine de mort lorsque les sommes dissipées ou soustraites sont égales ou supérieures à 500 000 000 FCFA ou si les biens dissipés ou soustraits sont d’une valeur équivalente. J’ai maintes fois entendu dire que l’alinéa 2 de l’article 22 ne vise pas autre chose que de mettre ces criminels, tous membres du PndsTarayya, à l’abri de la loi pénale .Vos compatriotes, je dois vous le rapporter, sont très nombreux à ne pas comprendre que vous soyez resté si indulgent vis-à-vis des auteurs du Mdngate, une affaire qui n’a pas coûté que des milliards à l’État. Les conséquences, vous les connaissez mieux que moi. J’ai même appris, sans toutefois le croire, tout autre chose qui donne la chair de poule. Est-ce vrai que les mêmes opérateurs économiques impliqués dans le Mdngate ont encore obtenu des marchés publics ? À ceux qui m’ont juré de mettre la main au feu si ce n’est pas vrai, j’ai simplement promis de vous poser la question en soulignant que vous ne pourriez pas tomber dans ces travers. Pour moi, c’est le fait des détracteurs.

Mon Général,

C’est tout cela réuni, le flou entretenu sur cette affaire de ZimarInc, les déceptions accumulées de la non-libération des prisonniers politiques qui aurait dû être spontané chez vous, l’absolution accordée à des criminels, etc. est la source originelle de la désaffection progressive des Nigériens vis-à-vis du Cnsp que vous constatez aujourd’hui. Si vous changez de paradigme, vous verrez tout le Niger à vos pieds. Si vous continuez dans la logique qui a prévalu jusqu’ici, tout le Niger risque de vous tourner le dos. Car, vos compatriotes, Hama Amadou l’a dit, détestent l’injustice et ceux qui la portent.

Mallami Boucar (Le Monde d’Aujourd’hui)