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Le Peuple Souverain : Mythe, Réalité et Légitimité / Par Abdourahamane Oumarou LY

Peuple, qui es-tu ?

La souveraineté nationale appartient au Peuple, telle est la formule contenue dans bon nombre de constitutions dans le monde.  Les évènements du 26 juillet 2023 au Niger donnent l’occasion de s’interroger sur le véritable sens à attribuer à cet aphorisme, particulièrement au terme « Peuple », abondamment employé dans les différents discours et littératures du moment. Que n’avait- on pas entendu : « le vrai Peuple », « le Peuple debout », « le grand Peuple », « la volonté du Peuple » ? Chaque locuteur mentionnant le Peuple dans le sens de légitimer ou justifier l’action entreprise ou projetée.

Le Peuple est le facteur de la démocratie, d’où ce fameux principe énoncé par le Président Abraham Lincoln, « le gouvernement du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple »

Si l’identité et l’usage du concept Peuple (I) apparaissent peu évidents, aucun doute n’entoure le fait que le Peuple est la source du pouvoir (II).

  1. Le « Peuple » est un terme polysémique.

On peut l’aborder sur le plan politique, philosophique ou juridique. Sans s’attarder sur les considérations doctrinales, il convient de se référer à la définition de la Cour constitutionnelle du Niger intervenue dans le contexte du Tazartché en 2009. Ses tenants justifièrent leur acte par la demande du Peuple, qui sollicita la prolongation du mandat du Président de la République ; les opposants, de leur côté soutinrent que le Peuple ne saurait se ramener à un groupuscule d’individus. Saisie, la Cour constitutionnelle dans l’avis n° 02/CC du 25 mai 2009 considéra que : « le Peuple doit être compris au sens de l’ensemble des citoyens que sont les personnes rattachées à l’Etat par la nationalité. Le Peuple est unique et ne peut exercer sa souveraineté qu’en corps. Il est donc insusceptible de subdivision et c’est cette indivisibilité que consacre le second alinéa de l’article 5 précité. Elle en conclut qu’« aucun individu ou groupe de personnes, encadré ou non par des partis politiques, syndicats ou autres associations ne saurait s’identifier au Peuple dans le cadre de l’exercice de la souveraineté nationale. »

Tel que défini, l’on peut aisément se rendre compte que le Peuple, qui est l’ensemble des citoyens, est utilisé de manière abusive et impropre dans le langage commun. Aussi, une partie ou un fragment du Peuple sont-ils pris pour désigner le tout, c’est-à-dire tout le Peuple. Lorsque l’on soutient que le Peuple consent ou s’oppose, référence est faite à une partie du Peuple. Dans ce sens, même dans les démocraties les plus unanimistes, le Peuple ne s’accorde pas sur tout. Les simulacres d’élections dans l’ex Union Soviétique, les anciennes démocraties populaires de l’Europe de l’Est, organisées sans compétition, l’attestaient éloquemment ; les résultats n’atteignaient jamais les 100%.

Au vu de ce qui précède, dans les expressions introductives, telles le "vrai Peuple” ou la "volonté du Peuple”, il est plus judicieux de parler de majorité du Peuple ou de la partie la plus nombreuse du Peuple ou simplement d’une partie du Peuple, qui, sans équivoque, constitue la source du pouvoir.

  1. Le Peuple constitue la source du pouvoir

Dans la théorie de la souveraineté populaire de Jean-Jacques Rousseau, le pouvoir appartient au Peuple, qui est la source du pouvoir démocratique lequel trouve sa légitimité dans les citoyens, qui peuvent s’exprimer directement, ou à travers ses représentants.  

La question à se poser consiste à savoir si le Peuple peut légitimer un coup d’État ?

Il ressort du lexique des termes juridiques (édition 2017-2018) que la légitimité est la « qualité d’un pouvoir d’être conforme aux aspirations des gouvernés (notamment sur son origine et sa forme), ce qui lui vaut l’assentiment général et l’obéissance spontanée. La légitimité n’est pas immuable. »

Le dernier bout de phrase mérite toute notre attention. En effet, il est permis d’en déduire que la légitimité nécessite un ajustement permanent, afin d’assurer au maximum la parfaite concordance entre l’exercice du pouvoir et les aspirations du Peuple. Le meilleur moyen d’assurer la légitimité, gage de la prévention contre les ruptures démocratiques, reste le respect des principes de bonne gouvernance dans la gestion des affaires publiques.

Lorsque leur mise en œuvre n’est pas ou plus assurée par le gouvernement démocratiquement élu, cet accident politique de parcours, qu’est le coup d’État, trouvera bien des souteneurs au sein du Peuple. Du reste, Pierre Rosanvallon met en garde que « l’élection à elle seule ne garantit pas qu’un tel gouvernement soit au service du Peuple, ni qu’il y reste ». Si l’écrasante majorité des citoyens prend fait et cause pour la suspension des institutions démocratiques, que le changement va dans le sens souhaité par eux, il y a bien là un problème.

N’est-ce pas là, la preuve de la légitimation ? Inversement, il y aurait échec si la grande partie du Peuple se lève et s’insurge contre la rupture, comme ce fut le cas en Turquie lors des évènements de 2014 lorsque le régime de M. Erdogan fut l’objet d’une tentative de coup d’État. Il suffit d’un appel diffusé pour sonner la mobilisation générale d’une grande partie du Peuple, qui descendit dans la rue à mains nues pour faire échec à l’œuvre entreprise par les mutins pourtant lourdement armés. La légitimité a sauvé la légalité. Par contre, si le Peuple, au lieu de sauver la légalité, apporte massivement son assentiment, la preuve de légitimation est établie.

Convenons avec De Phocylide de Milet que : « le Peuple, le feu et l’eau sont des forces indomptables. »

 Les manifestations grandioses et spontanées de soutien des 27 août et 2 septembre 2023 à Niamey, et dans de nombreuses localités du pays, en faveur des nouvelles autorités, de mémoire de Nigérien, n’avaient jamais drainé autant de monde. Les organisateurs, de simples citoyens issus de la société civile, se débrouillaient avec les moyens du bord, contrastant d’avec les financements colossaux engloutis dans les rassemblements de la classe politique déchue, qui avait fait de l’argent l’unique source de la légitimité.

Cependant, le vernis de légitimité octroyé par le Peuple ne saurait constituer un blanc-seing ; la satisfaction de la volonté générale et du bien-être des populations devraient en être le corollaire. Le changement ne serait pas salvateur, si le pays ne se relevait pas, grâce à des actions de moralisation, de la situation de décadence morale et éthique dans laquelle il végète du fait de la gestion égocentrique de la classe politique.

En définitive, si le Peuple souverain, au lieu de sauver la légitimité démocratique, issue des élections, adhère à une entreprise autre, il est dans son bon droit. Aussi, ne revient-il pas à une puissance étrangère ou à une organisation internationale de connaître mieux que lui son bonheur. Ces dernières, en décidant unilatéralement de décerner un satisfecit de légitimité, de surcroît selon des critères propres à elles et au cas par cas, se substituent au Peuple. Comme pour proclamer définitivement l’autorité suprême du Peuple, Jean Marie Adiaffi ne disait-il pas que le « Peuple n’a besoin de personne, il se suffit à lui-même. »

Tout de même, répétons-le : la souveraineté nationale appartient au Peuple.

Abdourahamane Oumarou LY

Contribution Web.