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La rentrée solennelle du président Issoufou : Par Moussa Tchangari

A peine six (6) mois après la cérémonie de transmission pacifique du pouvoir à Bazoum Mohamed, le président Isssoufou Mahamadou fait un retour remarqué sur la scène publique nationale; et il a bien choisi, peut-on dire, non seulement le moment, mais aussi le lieu de ce qui ressemble fort à une rentrée politique solennelle pour cet "ex" qui ne s'est jamais éloigné du plus haut lieu de pouvoir, à savoir le Palais présidentiel. C'est chez lui à Tahoua, son fief de toujours, où il est encore visiblement populaire, que l'ancien président a choisi de se (re)mettre en scène, au moment où son successeur s'est retiré chez lui, à Tesker, pour quelques jours de vacances.

Selon son entourage, le président Issoufou Mahamadou, qui est pourtant au repos depuis six (6) mois, entame lui aussi, à partir de ce jour, des vacances dans son village de Dandadji, loin de la capitale; et comme le président Bazoum, en route pour Tesker, a pris un petit bain de foule à Zinder, Mirriah et Gouré, il fallait bien que lui aussi fasse pareil sur son chemin pour Dandadji. Sur le tarmac de l'aéroport de Tahoua où il a été accueilli par une foule de partisans, particulièrement heureux de le revoir dans son boubou blanc et sa chéchia rouge, l'ancien président n'a pas caché ce qu'il ressent depuis ces longs mois où il est resté, à part quelques sorties à l'extérieur du pays, presque cloitré dans son nouveau bunker du Conseil de l'Entente à Niamey.

Devant la foule de ses supporters, l'ancien président a avoué qu'il ressentait jusqu'à ce jour le "anago", c'est-à-dire la nostalgie de ce qu'il venait de vivre à Tahoua : cet accueil de grand jour, digne d'un président en exercice ou d'un candidat en campagne. L'ancien n'a pas dit qu'il ressentait la nostalgie du pouvoir et de tout ce qui l'entoure; mais, on l'aura tous compris, il n'est pas loin de ça, de ce que l'un de ses ministres-conseillers du temps où il était président, le vieux Sanoussi Tambari Jackou, désignait sous le vocable clinique de "vertigo". Le terme fait référence à une "sensation soudaine de tournis interne et externe, souvent déclenchée par un mouvement de tête trop rapide".
 
Quand, il y a une trentaine d'années, le vieux Jackou avait introduit ce terme dans le vocabulaire politique de l'époque, c'était pour désigner la conduite des anciens barons du MNSD parti-Etat, éjectés du pouvoir dans la foulée de la conférence nationale souveraine de 1991. Le commun du citoyen s'était, à sa suite, approprié le terme pour désigner la conduite de tout celui qui, ayant perdu le pouvoir, continue de vivre dans la nostalgie de son ère de gloire et n'arrive pas à se faire à l'idée que les choses ont bien changé. Le vertigo en politique, aujourd'hui comme hier au Niger, c'est donc le "anago" dont parlait l'ancien président ce matin à Tahoua. C'est ce tournis interne et externe, qui s'empare d'un "ex" lorsqu'il n'arrive pas à réprimer le désir, parfois légitime, de reprendre les choses en mains.
 
Selon le journal panafricain, Jeune-Afrique, qui est l'un des acteurs clés de la communication politique du pouvoir en place, les relations entre les deux hommes, Issoufou Mahamadou et Bazoum Mohamed, semblent toujours au beau fixe; mais, comme le souligne le journal lui-même dans sa conclusion, "il conviendra que ces deux hommes qui se connaissent sur le bout des doigts sachent que les histoires de succession ne sont jamais des contes de fées". La mise en garde de l'auteur de l'article de Jeune-Afrique, François Soudan, un journaliste familier des milieux de pouvoir en Afrique, ne semble pas avoir reçu un grand écho dans les oreilles de l'ancien; car, en Afrique comme ailleurs, un "ancien" qui, après avoir usé et abusé de ses mandats légaux, s'autorise une rentrée solennelle comme celle de ce matin, risque bien d'apparaitre comme une menace.

En tout cas, quoi qu'en pensent le président Bazoum et ses proches, le show de l'ancien président n'est pas de bon goût; d'abord, parce qu'il vient rappeler que l'ère de l'ancien locataire du Palais présidentiel du bord du fleuve Niger n'est pas encore totalement révolue; et ensuite, parce qu'il risque, à terme, de prolonger le climat politique délétère qui a marqué le règne de 10 ans de Issoufou Mahamadou, et d'annihiler donc tous les efforts de décrispation du président en exercice. Bien entendu, cela importe peu pour "l'ancien", dont le seul souci est de continuer à entretenir sa propre légende de président exceptionnel; mais, il est bien clair qu'à ce jeu, le plus grand perdant pourrait être son chef d'orchestre, qui ne semble pas réaliser qu'après avoir commis autant de torts à son peuple, le mieux est de laisser le "nouveau" choisir la direction dans laquelle il veut marcher.
 
Au regard des graves défis auxquels le pays est confronté aujourd'hui, ainsi que des risques évidents de voir s'estomper le petit grain d'espoir auquel le régime doit le relatif répit dont il bénéficie à l'heure actuelle, on se demande bien ce qu'espère gagner le président Issoufou en continuant à se montrer comme le vrai tenant du pouvoir à Niamey. On peut comprendre, humainement, tout le mal qu'il ressent lorsque, dans les rangs de son propre parti tout comme dans les rangs de l'opposition, on le compare à celui qu'il a lui-même oeuvré à porter au pouvoir pour définitivement le ranger dans le placard des souvenirs douloureux; mais, on ne peut pas comprendre ce désir, apparemment irrépressible, de sortir montrer à la face du monde qu'il tient en otage son successeur. C'est peut-être une façon de se protéger pour celui qui est au coeur de tant et tant de dossiers; mais, on peut douter de son efficacité, surtout dans un contexte où la seule chose qui justifie le calme actuel c'est l'espoir d'une douce rupture.

Par Moussa Tchangari 

23 août 2021