La problématique de la dissolution des partis politiques au Niger : Par Abdourahamane Oumarou Ly
« Deux faits sont certains : une démocratie ne peut vivre sans partis organisés, elle peut mourir du fait des partis. » Ce constat dressé par Georges Vedel au siècle dernier est encore pleinement d’actualité. Il illustre l’ambivalence des partis politiques au sein des sociétés démocratiques : indispensables mais potentiellement dangereux.
En Afrique, depuis le retour au pluralisme démocratique des années 1990, le fonctionnement des partis politiques a engendré une perception largement négative. L’idée dominante est qu’ils ont travesti et trahi les idéaux démocratiques.
Au Niger, conformément à la Résolution n°3 des Assises nationales tenues du 15 au 20 février 2025 à Niamey, la cessation d’activités des partis politiques a été actée par l’Ordonnance n°2026-06 du 26 mars 2025. Cette dissolution entraîne d'importantes implications pour les partis eux-mêmes et pour l’État, nécessitant des mesures appropriées à court, moyen et long terme.
I. Des questions relatives aux partis politiques
Ces questions seront examinées sous l’angle de la liquidation (A), de leur future réhabilitation (B), et enfin, de la délicate problématique de l’adhésion des fonctionnaires (C). Autrement dit, comment vont-ils disparaître puis renaître de leurs cendres ?
A. La liquidation consécutive à la dissolution
La dissolution entraîne la liquidation, processus juridique qui aboutit à la disparition du parti. L’article 48 de la Charte prévoit trois types de dissolution : statutaire, administrative et judiciaire.
Dans le cas présent, il ne s’agit pas de dissoudre un seul parti mais tous les partis reconnus. Cette mesure exceptionnelle s’inscrit dans un contexte particulier consécutif au coup d’État du 26 juillet 2023. Avec la suspension de la Constitution en vigueur, il est inutile de débattre de la légalité de cette dissolution.
Comment assurer efficacement cette liquidation ? En consultant les statuts de deux grands partis ayant pignon sur rue, la procédure est similaire : la dissolution relève de la compétence d’un Congrès spécialement convoqué, après demande écrite d’une majorité qualifiée (4/5 ou 2/3). Une fois décidée, elle entraîne l’affectation des biens restants à une organisation politique poursuivant des objectifs semblables ou, à défaut, à une œuvre caritative.
Cependant, cette autodissolution statutaire est désormais impossible puisque les partis sont déjà dissous par les autorités publiques et ne peuvent plus se réunir. Il convient donc de chercher une solution dans les dispositions de l’Ordonnance n°84-06 du 1er mars 1984 relative aux associations, modifiée par les lois de 1984-50 du 5 décembre 1984et 1991-006 du 20 mai 1991. Toutefois, ces textes ne semblent pas adaptés à la situation actuelle.
B. La réhabilitation après dissolution
Les Assises ont recommandé d’instaurer une Charte régulant un multipartisme contrôlé (de deux à cinq partis), susceptible de favoriser l’émergence de grands partis, gages d'une stabilité sociale selon certains analystes.
Sur quels critères les partis seront-ils réhabilités ?
Le premier critère envisagé serait le regroupement idéologique. Théoriquement, au Niger, des partis de gauche, libéraux ou sociaux-démocrates existent déjà. Cependant, l’expérience montre que les alliances se nouent souvent davantage sur la base d’affinités et d’intérêts partisans. Il est probable que le paysage politique reconstruit ne changera pas radicalement : les mêmes acteurs ou leurs « lieutenants » expérimentés poursuivront leur quête électorale dans les mêmes fiefs traditionnels.
C. Les défis de l’implantation
Après leur reconnaissance, les nouveaux partis devront s’implanter durablement, tâche exigeante en temps, énergie et ressources. Comment réussir à fédérer les militants, organiser réunions et campagnes de terrain ?
D. Peut-on envisager une vie des partis sans fonctionnaires ?
Une recommandation des Assises propose d’interdire aux fonctionnaires la participation aux activités politiques sous peine de révocation, ce qui nécessite une clarification préalable. Les activités politiques incluent principalement l’expression du suffrage universel, la sensibilisation, la formation des membres et l’organisation interne, durant et hors campagnes électorales.
Actuellement, certains groupes (forces de défense, magistrats, chefs traditionnels) sont déjà exclus de la vie partisane. Faut-il étendre cette exclusion aux fonctionnaires, qui constituent pourtant l’ossature même des partis politiques ? Sans eux, les partis risquent d'être affaiblis, ouvrant la voie à d’autres acteurs moins structurés.
II. Des questions relatives aux pouvoirs publics
Ayant dissous les partis, les autorités publiques doivent gérer les suites opérationnelles, comprenant : l’arrêté précisant les modalités de dissolution (A), l’évaluation du fonctionnement antérieur des partis (B), l’octroi d’autorisations sur critères objectifs (C), un financement adéquat (D), et un mécanisme rigoureux de contrôle (E).
A. L’arrêté déterminant les modalités de dissolution
Face à une situation exceptionnelle, les textes existants s’avèrent insuffisants. Il est donc impératif que le ministre de l’Intérieur adopte rapidement un arrêté définissant précisément les modalités pratiques de la dissolution.
B. les enseignements tirés du passé
Un bilan critique du fonctionnement des partis dissous est indispensable. Malgré des dysfonctionnements graves et une faible culture démocratique constatée, il importe d’en identifier les responsabilités et d’en tirer les leçons afin d’éviter les erreurs du passé.
C. la détermination de critères objectifs pour l’octroi des autorisations
Le choix des partis agréés devra être effectué sur des critères clairs, précis et objectifs, pour éviter toute contestation, notamment parce que le nombre de demandes risque de dépasser le quota fixé par la nouvelle Charte.
D. Un financement suffisant et régulier
Le financement reste crucial. La subvention de l’État, correspondant à 0,30 % des recettes fiscales annuelles, devra être réorientée vers un nombre restreint de partis, leur permettant théoriquement un fonctionnement plus efficient et transparent.
E. Un contrôle rigoureux
La faiblesse historique du contrôle explique en grande partie les dérives des partis politiques. Une application rigoureuse des textes existants permettrait d’assainir durablement la vie politique. À défaut, même une nouvelle Charte n’empêcherait pas les abus passés.
Finalement, est-il préférable d'élaborer une nouvelle Charte ou simplement d'améliorer et d'appliquer pleinement celle déjà en vigueur ?
Abdourahamane Oumarou Ly,
Juriste